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le fond n'est pas nouveau et cette intrigue qui aurait pu être plus intéressante et plus forte. MM. Labiche et Ed. Martin semblent s'être mis en garde contre eux-mêmes et leurs penchants naturels. Ils se sont dit qu'ils n'étaient plus au Palais-Royal ou même au Gymnase. Ils n'ont pas cru qu'un nouveau Voyage de Perrichon pût être à sa place à la rue Richelieu, et les auteurs les plus gais que l'on connaisse n'ont pas produit une œuvre aussi amusante qu'on l'attendait de leur collaboration.

Le Théâtre-Français a-t-il voulu démentir ceux qui l'accusaient d'un dédain superbe pour les écrivains vivants, en accueillant à bras ouverts des auteurs qui ont à peine commencé de vivre? Toujours est-il qu'on s'est étonné de son indulgence subite pour des essais qu'il faudrait renvoyer à des théâtres de société ou à des scènes de débuts. La première petite nouveauté de ce genre s'appelle, d'un joli titre, Adieu, Paniers! (30 mai.) C'est, sous prétexte de comédie en un acte, un vaudeville sans couplet, dont l'heureux auteur, M. de Launay, avait donné à l'Odéon, en 1860, en collaboration avec M. Rasetti, une première comédie en un acte, Une épreuve avant la lettre. Arriver aussi vite à la maison de Molière, c'était une grande faveur; mais, sous peine de la voir tourner contre soi, il aurait fallu apporter une œuvre moins faible, et ne pas faire interpréter par des comédiens consommés une intrigue de sentiment qui aurait pu paraître gracieuse et nouvelle, il y a quelque trente ans, sur le Théâtre de Madame.

Adieu, Paniers! n'est, en effet, que l'histoire d'un de ces anciens colonels du Gymnase qui, ayant vu périr en Afrique un de ses compagnons d'armes, a recueilli sa veuve et sa fille. Celle-ci grandit auprès de lui et est le charme de sa vie; mais un jour vient où elle est aimée d'un beau jeune homme qui demande sa main et à qui elle a donné déjà son cœur. Le colonel s'aperçoit alors qu'il a lui-même pour sa

pupille un sentiment plus tendre qu'une amitié de père adoptif, et il veut l'épouser, pensant qu'il est encore aussi propre à la rendre heureuse qu'un jeune godelureau. Il entre tout à fait dans la situation et les sentiments de l'Arnolphe de Molière. Il en sortira comme le Jean Baudry de M. Aug. Vacquerie.

La jeune fille, par reconnaissance pour son bienfaiteur, se dévoue et fait au jeune homme évincé des adieux douloureux; le colonel les surprend; il ne veut plus pour lui d'un bonheur qui coûterait si cher à la pauvre enfant, et, lorsque le notaire vient pour dresser le contrat de mariage, il fait substituer à son propre nom celui du jeune amoureux. Adieux, paniers, vendanges sont faites. Ainsi le devoir l'emporte sur toute la ligne. Les Arabes contre lesquels le colonel va se mettre en marche, porteront la peine de son douloureux sacrifice.

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La figure, beaucoup trop connue de ce colonel de théâtre, avait été, du moins, rajeunie par le talent supérieur de M. Geffroy, qui fait une si consciencieuse étude pour ses moindres rôles. On dit même que c'est pour fournir à cet artiste, trop rarement employé dans le répertoire moderne, l'occasion d'une création que la Comédie-Française avait accueilli, à défaut d'autres, une pièce aussi insignifiante. Est-ce une excuse?

Une œuvre plus étendue, mais non moins faible, devait aussi se produire, à l'étonnement de tous, sur notre première scène : c'était une comédie en quatre actes et en vers, la Volonté (septembre) '. L'auteur, M. Jean du Boys ou Duboys, - l'un et l'autre se disent, avait eu contre lui un premier malheur, celui d'être trop heureux. A peine connu,

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1. Acteurs principaux: MM. Maubant, Lacroix; Coquelin, Philippe: Verdellet, Marcel, Andrieu, un jeune homme ; Mmes Royer, Loure; Ponsin, Louise.

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au théâtre, par sa collaboration à une autre comédie en vers, plus ingénieuse que forte, le Marchand malgré lui, jouée à l'Odéon, en 1858, il voyait s'ouvrir devant sa seconde œuvre les portes de la Comédie-Française, fermées depuis si longtemps à la poésie. On se le rappelle: MM. Ponsard, Émile Augier n'ont vu leurs principales compositions obtenir l'hospitalité du Théâtre-Français qu'après avoir traversé les limbes de l'Odéon. Combien n'a-t-il pas fallu à M. L. Bouilhet de succès poétiques sur la rive gauche de la Seine pour avoir le droit de venir échouer, avec Dolorès, sur la rive droite! Que d'influences, combien de relations. puissantes ont dû aider au talent ou y suppléer pour amener devant une si auguste rampe, les élucubrations dramatiques de tel ou tel grand fonctionnaire ! Et voilà qu'un nom inconnu va briller, seul et sans collaborateur, sur l'affiche d'une maison si peu hospitalière aux talents non encore éprouvés ; il signera, non pas un de ces modestes essais qui passent inaperçus, mais une œuvre capitale par l'étendue, sous un beau titre et sur un magnifique sujet. N'est-il pas à craindre que le trop heureux auteur porte mal tant d'honneur? que le succès d'estime réservé par l'Odéon à toutes les tentatives courageuses ou imprudentes ne lui échappe à la Comédie-Française? qu'enfin il n'éprouve à ses dépens la vérité de ce vers devenu banal:

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier?

C'est en effet ce qui est arrivé à l'auteur de la Volonté. Il suffit de raconter l'œuvre, pour montrer si l'accueil qui lui a été fait par la presse est aussi juste que sévère.

Un clerc d'huissier de campagne demande à entrer, comme commis, dans les bureaux d'un banquier millionnaire dont le neveu a été son camarade. Il se voit refuser, parce qu'il ne sait ni l'anglais ni l'allemand, ni la tenue de livres. Il a beau dire « J'apprendrai, j'apprendrai; le banquier lui

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conseille rudement de rester, avec son ignorance, dans son village :

Qui vivote en province à Paris meurt de faim.

Mais le jeune Philippe Michon a juré qu'il irait à Paris et qu'il serait admis chez le banquier Lacroix. C'est que le banquier a une fille dont le petit rustre est tombé amoureux, et pour l'obtenir, il est capable de tout, même d'une éducation improvisée. Il est vrai que la belle Laure aime son cousin Marcel, le camarade de Philippe, ou, ce qui revient au même, elle croit l'aimer, et elle l'épouserait tout de suite si l'oisiveté, mère de tous les vices, ne retenait le jeune homme dans une vie de légèreté et de dissipation peu favorable à des projets de mariage.

Un an après, à l'heure où le banquier, sortant de table, fait un beau sermon sur le travail à son neveu et à quelques désœuvrés de ses amis, il se présente un commis de nouveautés, apportant une robe pour Mlle Laure. C'est Philippe. Il sait l'anglais, l'allemand, la tenue de livres. Il est venu à Paris apprendre tout cela au milieu d'une vie de privations et de courage. Le banquier le prend, séance tenante, pour caissier :

Ce garçon sait vouloir, ce garçon parviendra.

Il parvient en effet, et très-vite, non-seulement à la fortune par l'énergie de la volonté, mais au bonheur par l'amour. Malgré tous les sermons de son oncle, le beau Marcel, fait, par désœuvrement, toute sorte de folies. Une indigne femme l'asservit, et le jeu le ruine. Philippe est chargé de le tirer de l'abîme. Sacrifiant héroïquement son amour à la reconnaissance, il ramène lui-même son rival, repentant et confus, auprès de sa belle Laure. Mais celle-ci, qui n'aimait pas Marcel aussi profondément qu'elle avait cru, s'est éprise de Philippe, plus digne de son amour, et

c'est ce jeune parvenu de la volonté qu'elle épousera. Il reste, pour consoler Marcel et le fixer dans une voie meilleure, une autre cousine, une parente pauvre que le banquier a adoptée, et qui, amie et confidente de Laure, l'a aidée à voir clair dans les mystères de son cœur.

Prise dans la conception générale, la pièce de M. J. Duboys a pour principal tort de manquer d'élévation et de portée, en s'annonçant avec de hautes visées philosophiques. La volonté y est, à tout moment, un beau texte de déclamations et de leçons, mais elle ne trouve qu'une application bien modeste. Son triomphe consiste à faire d'un clerc ignorant un excellent commis. Ce n'est pas assez. Une fois dans sa place, comme caissier, Philippe se fait estimer, admirer, aimer par son honnêteté, sa loyauté, son dévouement, mais il ne personnifie plus spécialement la volonté, et nous ne voyons se produire aucun des miracles qu'on nous promettait en son nom. Où sont, d'ailleurs pour notre héros, les obstacles à vaincre à force d'énergie ou à tourner par une habileté persévérante? La volonté, comme la foi, transporte les montagnes où sont les montagnes à déplacer ? Rien de plus uni, de moins escarpé que le chemin de Philippe : une pente naturelle le conduit au dénoûment. Point de lutte, ni contre les hommes, ni contre les choses. Les jeunes gens qui l'entourent ne sont là que pour le faire valoir par contraste; son rival même lui fait repoussoir. Ce n'est pas là cette grande mêlée de la vie moderne où tant de concurrents se précipitent vers le même but et travaillent à se supplanter, où celui que la naissance et les hasards de l'éducation n'ont pas mis en passe, ne peut avancer, comme dans une foule, qu'en jouant sans cesse des coudes et des épaules, où il faut déployer une énergie toujours renaissante contre des obstacles renaissants.

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Quel intérêt peut nous inspirer un héros de la volonté qui la personnifie si peu ou qui la met au service de si petits objets! A côté de Philippe, vas un personnage auquel on

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