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puisse s'intéresser davantage. Tous les autres jeunes gens de la pièce, y compris Marcel, ne sont que des comparses. La fiancée est une de ces ingénues raisonneuses, dont le Duc Job nous a donné le premier type, qui calculent trop bien pour sentir vivement et mesurant leur affection pour l'amant sur les revenus qu'elles attendent du mari. Son amie serait plus sympathique sans l'obscure complexité de ses sentiments où se mêlent un amour involontaire, des efforts d'abnégation, et des apparences de machiavélisme. Quant au banquier, c'est un moraliste de comédie dont le type, usé par les innombrables épreuves qui en ont été tirées, aurait besoin de recevoir un peu de vie de l'ensemble de la pièce, loin de pouvoir l'animer.

Avec une action si faible, des héros si peu attachants, la Volonté ne pouvait plus se sauver que par le détail du style, par le mérite des vers. On y trouve, en effet, quelques lieux communs, plus ou moins indépendants de l'action, qui sont traités avec talent, quelques-unes de ces tirades qui, bien lancées, trouveront toujours un auditoire pour les applaudir.

M. LACROIX.

Est-ce la volonté ces flammes d'un moment?
Non, c'est de la folie ou bien de l'impuissance.
Le courage n'est rien, il faut la persistance.
Vis-tu jamais un cric soulever des fardeaux?
L'ouvrier, patient, sombre, courbant le dos,
A peine à chaque tour hisse l'énorme masse;
Mais le travail toujours sur le travail s'amasse;
Au fronton des palais le dur bloc est monté.
Ce cric tenace et lent, voilà la volonté !

Voilà la volonté !

PHILIPPE.

M. LACROIX.

Prendre un parti bizarre,
Rechercher un danger brillant, un péril rare,
Se camper en héros de drame, en incompris,
Quand au milieu de tous on resterait sans prix,

THÉÂTRE.

N'ayant point de valeur se créer une pose,

Ce n'est rien. Mais vouloir toujours la même chose,
Lutter de front avec une difficulté,

Fût-elle sans grandeur, voilà la volonté.

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Ces vers, d'un bon mouvement oratoire, mais d'une trame de style très-inégale, seraient mieux à leur place dans un poeme philosophique sur le travail que dans un drame. On a remarqué de plus qu'ils font l'effet d'un écho, et qu'ils commencent comme une trop fidèle paraphrase de ces vers de M. Ponsard, dans l'Honneur et l'Argent:

La vertu qui n'est pas d'un facile exercice,
C'est la persévérance après le sacrifice.

En général, l'imitation des comédies de M. Ponsard et de celles de M. Em. Augier écrites dans une manière analogue à celle de Ponsard, a été très-reprochée à M. J. Duboys. De toutes les cordes que l'Honneur et l'Argent ou la Jeunesse ont fait tout à tour vibrer, il n'en est pas une seule qui ne rende ici quelque son, mais un son affaibli. L'auteur de la Volonté les touche d'une main plus molle; et puis, si énergiques que puissent être des vibrations, à force de frapper les oreilles, elles n'apportent plus à l'âme que des sensations émoussées. Que dire de sentences exprimées dans le style de la suivante:

.... On possède un bien à l'abri du voleur Quand on peut le baser sur sa propre valeur!

Combien ne faudrait-il pas de vers-maximes, brillants, solides et sonores, pour racheter, outre la pauvreté de l'action et le manque d'intérêt, une absence aussi complète de nouveauté et d'à-propos? On ne peut en vouloir sans doute au jeune auteur de la Volonté d'avoir été mis ainsi en évidence par notre première scène avec une œuvre telle quelle; mais la critique a été à peu près unanime pour représenter à MM. les sociétaires du Théâtre-Français que, lorsqu'on

offre au public si peu de pièces nouvelles, on est tenu de les donner plus fortes.

Les œuvres fortes, la Comédie-Française sait à qui les demander, et elle s'est relevée promptement et sûrement avec Maitre Guérin1.

Les dernières œuvres de M. Émile Augier avaient soulevé toute sorte de discussions étrangères à l'art. Le Mariage d'Olympe, les Lionnes pauvres, le Gendre de M. Poirier, les Effrontés, le Fils de Giboyer remuaient les questions les plus brûlantes de la morale sociale, de l'histoire ou même de la politique contemporaine. Maitre Guérin n'était pas destiné à provoquer les mêmes polémiques. La politique n'a rien à y voir, et la morale, outragée par un fripon, est suffisamment vengée au dénoûment. Ce n'en sera pas moins une œuvre très-discutée et qui mérite de l'être ; mais les discussions se renfermeront dans l'esthétique dramatique et relèveront toutes de la critique littéraire.

Un grand embarras s'est manifesté chez tous ceux qui ont essayé de faire connaître Maître Guérin par une analyse. L'œuvre est si complexe, l'action si multiple, les détails si nombreux, qu'on se retrouve à peine dans cette diversité de personnages, dans ce labyrinthe d'événements. Pendant que la pièce se déroule sous vos yeux, le talent de l'auteur vous tient en haleine, vous domine, vous conduit, sans que vous sachiez bien le but où il vous mène et les chemins où il lui plait de vous égarer. Mais la représentation finie, vous cherchez péniblement dans votre mémoire l'itinéraire qu'on vous a fait suivre; il vous échappe; le plan se dessine mal à vos yeux; la multitude des impressions vous permet à peine d'en avoir une qui soit nette. On dirait d'une carte trop

1. Acteurs principaux MM. Geffroy, Desroncerets; Got, Guérin ; Delaunay, Arthur; Lafontaine, Louis Guérin; Montet, Brénu; - Mmes Nathalie, Mme Guérin; Favart, Francine; Arnould-Plessy, Lecoutellier.

chargée de détails, où, pour avoir voulu trop nous montrer, nous finissons par ne rien voir.

Essayons de résumer nos souvenirs.

Maitre Guérin, qui donne son nom à la pièce, est un notaire avide et retors, égoïste comme un spéculateur, impitoyable comme un usurier. Il a le droit pourtant de se dire honnête, et personne n'a celui de le contredire; il sait son Code et il s'y tient; il connaît la lettre de la loi et il la respecte. Aucune manœuvre, même déloyale, aucune intrigue, si odieuse qu'elle soit, ne lui répugne, pourvu que la justice, armée du droit écrit, n'ait pas à y regarder. La crainte du procureur impérial le touche plus que la crainte de Dieu, et les règlements de la chambre des notaires lui tiennent lieu de tous les commandements de l'Église.

A l'abri, par son habileté, des poursuites judiciaires ou disciplinaires, il se livre à toute espèce de petits tripotages qui lui rapportent gros. Il prête à la petite semaine, arrondit ses capitaux par l'usure et les double par d'occultes spéculations. Il achète des terres à réméré et dépouille tout doucement le vendeur qui, dans l'espérance du rachat, les avait engagées à vil prix. Mais, comme toutes ces opérations sont interdites à un officier public, maitre Guérin les fait sous le nom et le couvert du père Brénu, son homme de paille qu'il paye peu, mais qu'il a eu soin de mettre dans sa dépendance et son servage. Cependant maître Guérin est assez bien posé dans le monde; ses clients le considèrent; son intérieur est modeste et respectable; sa femme est une douce et pieuse personne, très-bornée, mais pleine d'admiration pour la force de tête de son mari. Il a un fils, qui a suivi glorieusement la carrière des armes, est devenu colonel à trente-trois ans, et vient d'être promu chevalier de la Légion d'honneur.

De l'autre côté de l'horizon dramatique, embrassé par M. Émile Augier, nous voyons paraître, dans le château de Valtaneuse, un pauvre rêveur, qui aspire à la gloire des

inventeurs et qui s'est déjà ruiné aux trois quarts par ses idées saugrenues. Une invention aussi folle que les autres tourmente cette faible tête: cent mille francs lui suffiraient, pense-t-il, pour la réaliser, et lui donner, en moins d'un an, la célébrité et la fortune. Personne ne les prêterait à ce propriétaire gêné et sans crédit; M. Guérin les lui donne, comme acquéreur du château, sous le nom de Brénu, en lui laissant une faculté de rachat dont il sait bien que le pauvre fou ne pourra pas se servir. M. Desroncerets a auprès de lui une noble jeune fille, Francine, qui veille sur son vieux père, se dépouille pour lui de ses propres droits, et sacrifie tout son avenir pour rendre le présent supportable

à un vieillard en train de redevenir enfant.

Entre les deux pôles de la pièce se place un centre intermédiaire de l'intrigue. Mme Lecoutellier, née de Valtaneuse, mariée à un bourgeois enrichi, est une grande coquette, qui joue avec le sentiment et dont les manœuvres galantes sont aussi compliquées que sa toilette. Elle perd son mari, mais ne s'afflige pas outre mesure de son veuvage. Quand ce deuil l'a surprise, elle menait une intrigue en partie double avec son neveu Arthur, jeune député et fashionable, comme il est difficile d'être l'un et l'autre à la fois, et avec le brillant officier Louis Guérin, si peu semblable à son père. Le fils du notaire, dans sa simplicité loyale, s'est épris pour cette femme, qui le mérite si peu, d'un sentiment sérieux et profond. Il s'éloigne d'elle pour respecter son veuvage et part pour le Mexique, où il cueille beaucoup de lauriers, tandis que la belle Mme Lecoutellier, qui voulait bien de lui pour soupirant, mais non pour mari, intrigue de son mieux pour rentrer dans le monde, en grande dame, et effacer par une seconde union. la première. Elle a un certain procès de succession avec son neveu et elle le dénouera volontiers par un mariage qui rendrait à la jeune tante son nom de Valtaneuse.

Toute l'ambition de maître Guérin est de faire échouer

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