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source. Chacun a un égal droit sur les données simples et vraies qui sont dans le domaine public; il s'agit de se les approprier par la manière de les traiter.

C'est ce que l'auteur des Plumes du paon n'a pas fait. L'originalité qui manque forcément à l'idée, manque à toute la mise en œuvre. Le plan général, les ressorts de l'intrigue, les personnages n'ont rien de neuf ni de vivant. Il n'y a ni mouvement, ni intérêt. A part le troisième acte, où l'action s'anime un peu, toute la pièce a un défaut qu'on n'attend pas d'un homme d'esprit, elle ennuie. Cela tient sans doute à la société hétérogène que M. Leroy a mise en scène; il a été chercher dans je ne sais quelles régions souterraines du monde littéraire une collection d'individus déclassés qui n'intéressent ni n'amusent. Ils ne sont ni de la Bohême, ni du demi-monde, ni d'aucune fraction du monde : ce sont, en argot d'ateliers, des bonshommes impossibles; ils ont plus de bizarrerie que d'originalité; pleins de contradictions dans leurs mœurs, leurs sentiments, leur langage; leur excentricité n'est pas prise assez au sérieux par eux-mêmes pour nous en faire rire.

L'intrigue a pour centre les bureaux d'abonnement d'un petit journal, le Perroquet, qui se qualifie lui-même assez spirituellement de « journal intermittent, » et qui paraît quand il peut, c'est-à-dire quand il y a de l'argent en caisse. D'ordinaire, la caisse ne contient que les cigares du directeur M. Champagnac. Un poëte sans éditeur, un auteur dramatique sans théâtre, un musicien qui cherche en vain un librettiste, et une femme auteur qui ne trouve pas de collaborateur, s'agitent dans leur vanité et leur impuissance, à la porte de cet antre grotesque du petit journalisme. Un abonné se présente à ce phénomène inouï, stupeur générale le directeur se trouve mal d'émotion. Cet abonné est un négociant retiré qui fait donner des leçons d'italien à sa fille par l'auteur dramatique non joué, attaché à la rédaction du Perroquet. M. Guerbois, tel est son nom, est fier

de voir le style du professeur de sa fille, en lettres moulées, dans un journal; il s'abonne pour trois ans !

Il pousse le zèle pour l'art encore plus loin. Désireux de conquérir un peu de gloire, après avoir amassé des écus, il donnerait volontiers sa fille à un écrivain en passe de se faire un nom. Le jeune Paul Gérard, le collaborateur du Perroquet, lui paraît convenir pour ses vues ambitieuses; on dit d'autant plus de bien de ses œuvres dramatiques qu'on ne les a pas encore jouées. Inutile de dire qu'il aime la jeune fille et qu'il en est secrètement aimé. Un succès éclatant, sur lequel comptent les amoureux, comblera la distance que mettent entre eux les millions du père. Hélas! les chefs-d'œuvre de Paul Gérard sont refusés par tous les directeurs de théâtre. Dans un moment d'extrême misère, et pour payer une dette sacrée de reconnaissance, il consent à vendre à un certain M. Lardières, entremetteur d'obscurs tripotages, sa dernière comédie, en jurant sur l'honneur qu'il ne fera jamais connaître, quoiqu'il arrive, qu'il en est l'auteur. La pièce, intitulée très à propos le Bien d'autrui, est revendue à un personnage assez indéfinissable, moitié homme de lettres, moitié homme du monde, M. de la Haye, qui se voit déjà, grâce à un seul succès dramatique, arrivant à l'Académie et épousant Mlle Camille Guerbois.

Tout seconde ses burlesques espérances. La pièce est reçue d'emblée au premier théâtre, et jouée au milieu des applaudissements les plus enthousiastes. Le faux auteur, qui croît n'avoir à redouter que les indiscrétions de Lardières, achète son silence par des sacrifices d'argent, et il jouit avec une certaine sécurité des félicitations de la société littéraire et des acclamations de la foule, tandis que l'auteur véritable pleure de rage dans les couloirs du théâtre, sans vouloir violer le serment de se taire. Cependant Champagnac, qui arrive, un peu pris de vin, avant la fin de la représentation, a reconnu l'œuvre de son ami Paul Gérard; il avait lu, à son insu, son manuscrit; il ne veut pas laisser consommer une

telle injustice, et, malgré les résistances du loyal jeune homme, il se précipite dans la salle au moment même où l'on proclame le nom de M. de la Haye, et il s'écrie d'une voix tonnante: « Cela est faux, on vous trompe : l'auteur c'est M. Paul Gérard. » Ce coup de théâtre du troisième acte et les scènes qui l'amènent sont les seules combinaisons un peu vives et vraiment intéressantes de la pièce. Le scandale de cette déclaration d'un homme ivre ne suffit pas pour rendre à Gérard la gloire et les profits de son œuvre. Le jeune auteur s'obstine à se taire, et son silence est interprété contre lui. Mlle Guerbois, qui pénètre son secret, lui conserve son amour; mais le père, qui veut toujours associer son nom à la gloire littéraire, entend donner sa fille au litté rateur officiel. Nos amoureux sont sauvés par Lardières. Il revient de Clichy où de la Haye l'a laissé conduire, tout exprès pour proclamer la vérité. Le voleur ou l'acheteur de gloire perd du même coup la dot de Mlle Guerbois et le fauteuil vacant de l'Académie française.

On conçoit qu'une action aussi impossible et aussi invraisemblablement conduite au milieu de personnages chimériques, ne puisse pas beaucoup intéresser. Mais, dira-t-on, l'esprit sauve tout. L'esprit de M. Leroy a déjà suppléé une fois, dans les Relais, à l'insuffisance d'une donnée ingénieuse, mais bien légère pour quatre actes, et prise, en outre, d'un mauvais biais; n'a-t-il pas fait aujourd'hui le même miracle? Je ne le pense pas. Si M. Leroy montre de l'esprit dans les Plumes du paon, ce n'est pas celui qui convient au drame, cet esprit qui naît à la fois du caractère et de l'intrigue, qui se mêle à l'action, l'anime et l'égaye, qui jaillit en étincelles de chaque mouvement des personnages et de leurs frottements réciproques : l'esprit comique, en un mot. Si on doutait de la différence qu'il peut y avoir entre le livre et le théâtre, entre une scène de comédie et un article de journal, l'exemple des Plumes du paon suffirait à la montrer. L'auteur cherche l'esprit plus qu'il ne le trouve, et quand il l'a ren

contré, il faut nous associer aux efforts que ces mots lui ont coûtés pour le comprendre.

On voit qu'il se travaille à dire de bons mots.

Un exemple entre cent: Lardières voyant les magnifiques droits d'auteur que peut valoir à son compère de la Haye la pièce achetée par son entremise, vondrait bien en avoir sa part. Il peint en traits recherchés, le défilé, l'attroupement des billets de banque vers la caisse, et il ajoute qu'il ⚫ arrêterait volontiers au passage quelques émeutiers de la manifestation. Ces associations d'idées, venues de si loin, peuvent paraître spirituelles dans une colonne de journal satirique; elles ne sont pas faites pour jeter beaucoup de vivacité et de gaieté dans une suite de scènes.

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Le plus grand reproche, et le plus inattendu, à faire à l'auteur des Plumes du paon, c'est précisément qu'il manque de gaieté. Il fait bien dire à l'un de ses personnages: ▾ Amuse, amuse avant tout; moralise, si tu peux. » C'est une excellente théorie dont la pratique lui échappe. Il moralise au contraire à tout propos; ses personnages raisonnent à outrance; ils n'ont pas peur de ce qu'on appelle, en style charivarique, des tartines et des rengaines. Ils font assaut tour à tour de mots recherchés ou de plaisanteries grotesques, sans que la charge soit plus gaie, entre eux, que les préciosités de l'esprit. Cela vient sans doute de ce que l'auteur ne s'efface pas assez lui-même pour laisser parler et agir ses personnages. Le grand talent de l'auteur dramatique est de disparaître complétement derrière les types auxquels il donne la parole et la vie.

Comme lever de rideau il suffit de mentionner l'essai de comédie en un acte, de M. Louis d'Anthoine, précieusement orné d'un titre assez obscur, Une défaite avant la victoire (9 septembre). Ce début, qu'un chroniqueur a spirituellement appelé le premier péché de M. d'Anthoine, a moins

ressemblé à une victoire qu'à une défaite. Il faut souhaiter que, suivant la promesse énigmatique de son titre, la victoire viendra après. On a pourtant traité avec trop de dédain cette petite restauration du marivaudage et du genre précieux. L'auteur ne s'était pas borné à mettre en scènes les grâces apprêtées des boudoirs du dernier siècle; il avait encadré les exploits audacieux et malheureux de deux beaux officiers de nos anciens régiments et la cruauté minaudière de la belle qui leur résiste dans un imbroglio assez vivement intrigué.

Nous nous arrêterons davantage aux Mères terribles, comédie en un acte, que la grande critique a un peu trop maltraitée et que le public n'a pas assez soutenue (1er octobre). Pour ma part, je ne blâme pas les jeunes auteurs, MM. Chivot et Duru, pourvoyeurs ordinaires des petits théâtres de genre, d'avoir franchi d'un bond la distance qui sépare les Folies-Dramatiques ou même le Palais-Royal du second Théâtre-Français. Je les verrais même avec plaisir passer à celui de la rue de Richelieu. Leur comédie n'est qu'un vaudeville sans couplets; mais pourquoi bannir les vaudevilles de nos grandes scènes? Pourquoi vouloir les entourer de je ne sais quelle dignité prude et farouche qui leur interdit le franc rire et les mouvements un peu lestes? Pourquoi ne pas entremêler plus souvent les créations de la grande comédie de mœurs ou du drame, de pièces vives et légères qui vengent gaiement la raison de la sottise, ou qui nous font oublier la raison elle-même par quelque bon accès de fou rire?

Les Mères terribles étaient, en effet, une satire beaucoup plus vive que neuve des mœurs bourgeoises. Il s'agit de deux

1. Acteurs principaux : Romainville, Pibalier; Clerk, Bergeret; Delacour, Blainval; Mmes Picard, Mme Bergeret; Lemaire, Mme du Coudray.

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