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tels personnages, qui lui apportent dans son modeste domicile de chocolatier les parfums du monde et l'éclat de ses girandoles. Toutes ces scènes du premier acte, quoique tournant un peu à la charge, sont pleines de traits de bon et de véritable comique. On retrouve tout à fait, dans sa franche gaieté, l'un des auteurs du Voyage de M. Perrichon.

La charge, le grotesque déborde dans le second acte. Le jeune mari est en train de lancer sa femme et, de conserve, son beau-père, sa belle-sœur, en un mot, toute la famille Lépinois. Nous retrouvons tous les personnages que nous avons entrevus au premier acte; ils se rencontrent dans un bal champêtre que donne le baron et la baronne de Grangicourt dans leur salon transformé en foire de village. La plupart des amis d'Olivier ont des situations plus ou moins anormales, et ces dames, dignes de briller dans le demimonde, ne sont pas la fleur du panier des pêches à quinze sous. Olivier oublie un peu vite, dans ce milieu, sa jeune épousée, pour courir après une femme séparée de son mari, Mme de Tremble, tandis que son ami, M. de Jonsac, paraît très-assidu auprès de Mme de Maillencey. De son côté, M. Lépinois, ébloui par les girandoles de ce monde après lequel il a tant soupiré, s'attache à une prétendue princesse moldave, et s'expose à la fois à des rebuffades de la part de la belle étrangère et à des scènes de jalousie de la part de sa légitime moitié. L'amphitryon Grangicourt poursuit, dans le même temps, la seconde fille de Lépinois, que protége un jeune artiste, son amoureux et son fiancé. Jamais on a vu, même au Palais-Royal, un tel chassé-croisé d'amoureuses intrigues.

La fête champêtre finit pour tous nos coureurs d'aven➡ tures par une révélation scandaleuse qui disperse tout ce monde, on ne sait trop pourquoi; car ces messieurs et ces dames n'ont pas le droit de se montrer très-sévères à l'endroit de leurs positions sociales respectives. Grangicourt, pour vaincre les résistances de la petite Lépinois, lui pro

met le mariage et demande sa main. Mais n'est-il pas déjà marié, ou qu'est-ce donc que Mme la baronne de Grangicourt chez qui le bal a lieu? Il avoue que la maitresse de la maison n'est autre chose que sa maîtresse, et tout ce grand monde enpaysanné s'enfuit au plus vite d'une maison où l'on a si peu de souci de la morale. Tout ce second acte ne se discute pas, et le coup de théâtre qui le termine est aussi invraisemblable que les scènes auxquelles il vient mettre fin. Mais tout cela, logique ou non, moral ou non moral, est très-vif, très-gai; toute cette société est aussi animée que mêlée, et la désertion de l'hôtel Grangicourt, pour cause d'honnêteté blessée, est aussi burlesque que les scènes plus ou moins honnêtes dont il a été le théâtre.

La pièce finit moins follement qu'elle ne promettait ou menaçait de le faire. Il était difficile de soutenir la gaieté à un pareil diapason, et les auteurs sont revenus brusquement, avec le troisième acte au ton plus calme, mais aussi très-gai du premier. Nous sommes rentrés chez M. Lépinois où se déroulent les conséquences du scandale de la nuit précédente. La jeune dame de Meillencey, indignée de la légèreté d'Olivier, veut se séparer de lui; Mme Lépinois fait expier à son mari, par des colères conjugales, ses infidélités hors de saison; le baron de Grangicourt veut renouveler ses tentatives pour obtenir la main de la seconde fille de l'ex-chocolatier et se voit rudement éconduit; Olivier, informé des médisances auxquelles ont donné lieu les assiduités de Jonsac auprès de sa femme, veut en tirer vengeance. Mais tout s'arrange et finit bien. Le vicomte de Jonsac est un ami dévoué et fidèle: voyant les dangers auxquels la légèreté d'Olivier exposait Mme de Meillencey, il a joué le rôle de séducteur, pour écarter les séducteurs véritables et conserver à son mari la jeune femme pure et irréprochable. Instruit par la singulière leçon de ce nouvel ami des femmes, » Olivier ne songera pas à lancer la sienne davantage. Les colères de Mme Lépinois s'apai

sent devant la sage résolution que prend le pauvre homme de renoncer à satan et à ses pompes, c'est-à-dire au monde et à ses girandoles. Quant à la plus jeune fille de M. Lépinois, débarrassée des poursuites de Grangicourt, elle épousera le brave artiste qui l'aime et qui saura la rendre heureuse, sans la lancer comme sa sœur aînée.

Ainsi, une leçon de sagesse sort de la folie. L'une ne nuit pas à l'autre, et telles oreilles sévères qu'aurait effarouchées tout ce bruit de grelots, en garderont une impression assez indulgente, à cause de l'honnête conclusion à laquelle il sert d'accompagnement.

Les Oiseaux en cage, comédie en un acte de M. E. de Najac (4 juin) nous offre un joli titre pour une pièce qui ne répond pas complétement à toutes les idées qu'il éveille. Une excellente mère a deux fils sur lesquels ou plutôt sur l'un desquels elle veille avec sollicitude. Son aîné lui semble un modèle de régularité et de sagesse, le second lui fait l'effet d'un mauvais sujet dont il importe de calmer la fougue par le mariage. La mère se trompe sur le compte de chacun d'eux. C'est l'aîné seul qui est emporté par des passions illégitimes; le cadet aspire seulement à faire des folies, à courir des aventures, sans en trouver l'occasion. Par amour-propre il se laisse imputer les faits et gestes de son frère; puis, par dévouement, il en porte les conséquences jusqu'au duel inclusivement. La mère tremble pour lui, et il y a lieu; il a pour adversaire un mari jaloux et furieux qui, marié pour la troisième fois, a déjà tué deux hommes, un par femme. Il ne sera pas le troisième; mais, quoique vainqueur, il renonce volontiers à cette vie d'émotion et d'aventures dont il ne connaît que les mauvais côtés, et il consent enfin à épouser sa cousine. C'est à celle-ci de retenir désormais dans la cage l'oiseau qui brûlait si bien d'en sortir.

De l'indécision dans la marche de cette jolie petite pièce,

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un des deux rôles principaux, celui de l'aîné, tout en dehors de la donnée ou du moins du titre, voilà les seuls défauts des Oiseaux en cage, qui n'auraient justifié, ni plus ni moins que Adieu Paniers, les honneurs d'une représentation aux Français; traités suivant les traditions du Gymnase, ils méritaient un accueil bienveillant sur ce théâtre et l'ont obtenu.

Viennent ensuite deux épreuves plus scabreuses, en une même soirée (17 octobre): les Curieuses, comédie en un acte de MM. H. Meilhac et A. Delavigne, et Un Ménage en Ville, comédie en trois actes de M. Th. Barrière.

Les Curieuses1 ont une donnée plus dangereuse que nouvelle. C'est l'histoire de deux grandes dames qui veulent pénétrer par pure curiosité dans les mystères de la vie de courtisane. La comtesse russe Ismaïl s'est logée pour tout un jour dans l'appartement de la célèbre Nina, pour le moment en excursion à Hambourg; elle se promet beaucoup de plaisir à recevoir, sous le faux nom de Fanny Lear, et au titre d'amie de la petite dame absente, les visites qui affluent dans ce riche boudoir. Le même jour une autre dame du grand monde, Mme de Lauvereins, s'y fait conduire par un sien cousin, qui la présente à la fausse Nina sous le nom de Bébé Patapouf. Chacune de ces dames observe l'autre de l'œil curieux et prétend reconnaître dans sa compagne d'aventures le signe distinctif des femmes de leur prétendue profession. « Quelle différence entre elles et nous. se disent-elles toutes deux ! » Et chacune ajoute, en parlant de l'autre « Quel spectacle va-t-elle me donner? Que saitelle bien faire pour amuser les gens? » Elles ne réussissent toutes deux qu'à s'intriguer. L'introducteur de la visiteuse qui a pénétré très-vite le secret de la comtesse Ismaïl, se

1. Acteurs principaux: MM. Berton, le Vicomte; - Mmes Delaporte, la comtesse; Pierson, Mme Lauwereins; Chaumont, Francine.

plaît à exciter son inquiétude comme celle de sa cousine. Chaque visite nouvelle est une menace, un danger, une terreur. On annonce l'arrivée des connaissances, des amis de ces dames, et même du mari de l'une d'elles. Bref, nos deux filles d'Eve ont passé par de telles transes qu'elles doivent être guéries du défaut de la curiosité.

Les Curieuses présentent des situations qui manquent rarement leur effet sur le public, disposé à se laisser allécher, comme les héroïnes de la pièce, par l'attrait du fruit défendu. On voudrait que les auteurs eussent profité de l'occasion pour flageller ou tout au moins pour ridiculiser davantage cette manie qu'ont aujourd'hui les femmes honnêtes de ressembler par le plus de côtés possible à celles qui ne le sont pas. Car c'est une des misères du temps présent, que cette sorte d'émulation entre la femme du monde et la courtisane, cet assaut de luxe, de toilettes tapageuses, de costumes bizarres, d'excentricités, d'allures masculines, de langage impertinent. Les moralistes et les prédicateurs ne peuvent pas grand'chose contre ces extravagances de la mode; il serait digne de la comédie d'essayer si quelques fines satires ne seraient pas plus puissantes.

Le Gymnase n'est pas précisément en veine d'originalité, et son neuf de cette semaine est bien vieux. Un ménage en ville' de M. Barrière met en scène pour la mille et unième fois, les conséquences dans le mariage des liaisons d'amour antérieures au mariage. L'oncle Vaubernier a marié les deux nièces auxquelles il a tenu lieu de père. Marcel, le mari de Camille, n'a pas eu l'énergie de rompre avec Louise Vernon et mène la vie en partie double avec sa femme légitime et avec la maîtresse à laquelle il a promis le ma

1. Acteurs principaux MM. Numa, Vaubernier; Landrol, Chenevière; Nertann, Marcel; Dalbert, L. d'Orilly: Mme Fromentin Vernon, etc.

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