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riage et qui le croit toujours libre. Un enfant est né de cette union secrète. On comprend ce que cette sorte de bigamie offre d'inquiétudes, de douleurs et de dangers.

L'intrigue accessoire, destinée à les mettre en relief, est encore moins nouvelle que la donnée principale. La seconde nièce du père Vaubernier a épousé l'avocat Chenevières, vrai modèle de tendresse et de fidélité conjugale. Cette antithèse qui est un lieu commun au théâtre, en appelle une autre la femme du mari fidèle est jalouse comme une tigresse et interprète toutes les apparences comme des trahisons; la femme trompée, au contraire, n'a l'esprit ouvert à aucun soupçon. L'oncle Vaubernier, pour compléter ce contraste classique, surveille avec défiance ses neveux et traite naturellement l'innocent comme le plus coupable. Enfin l'orage éclate, la femme légitime vient faire une scène de larmes et de désespoir, Juliette, si prompte à se croire trahie par son mari, a compris la situation du mari de Camille, et il s'agit de sauver sa sœur du coup dangereux qu'une révélation subite pourrait lui porter. On imagine sur-lechamp de faire endosser et la séduction de Louise et l'enfant qui en est né et la donation, faite par Marcel pour faciliter la rupture, à l'oncle Vaubernier qui porte précisément les mêmes prénoms que son neveu. Le bonhomme tout ahuri de cette substitution s'y prête par affection pour sa nièce, il épouse la maîtresse de son coquin de neveu et reconnaît son enfant par-devant notaire. Jamais on n'avait poussé plus loin le droit de faire payer aux oncles de comédie les folies de jeunesse de leurs neveux.

On est étonné que le parterre ait accepté sans protestation une conclusion aussi inattendue de combinaisons vieillies, et un dénoûment brusqué après deux actes d'une extrême lenteur. Aucun personnage n'appelle sur lui l'intérêt qui manque à l'action. Pour la première fois peut-être l'auteur des Faux Bonshommes a failli voir se soulever contre lui ce public qu'il maîtrise si bien d'ordinaire. Un acteur

d'une originalité populaire, M. Numa, a tout sauvé. Au milieu de tant de rôles sans caractère, il a rencontré pour lui le personnage de l'oncle Vaubernier, merveilleusement conforme à sa propre nature et à ses habitudes scéniques. M. Numa donne une incroyable vie à ces êtres mécontents, grincheux, insupportables, mais dont la mauvaise humeur n'empêche pas le cœur d'être bon. Type grotesque, mais vivant, du bourru bienfaisant, l'oncle Vaubernier appartient à ce genre de comique crispant, qui vous fait rire et vous agace tout ensemble et que M. Numa porte à sa dernière limite.

Le Gymnase, pour finir l'année, renouvelle entièrement son affiche avec un lever de rideau et une grande comédie qui ne sont pas destinés à la tenir longtemps.

Le lever de rideau s'appelle les Trusses (11 décembre), et ne mérite d'être mentionné que comme la dernière œuvre de M. Édouard Martin, le spirituel auteur ou collaborateur de plusieurs pièces amusantes, atteint depuis quelques mois d'une maladie terrible.

Cette petite comédie vaudeville qu'il a signée avec M. Albert Monnier, est un double jeu, un chassé-croisé de jalousie conjugale, à l'occasion d'une poularde truffée. La gourmandise satisfaite console un vieux parasite de ses propres inquiétudes, tandis qu'un jeune couple sacrifie volontiers les truffes et la poularde pour être seul et tout entier ́à son amour.

Le Point de Mire, comédie en quatre actes, de MM. Eugène Labiche et Delacour a été donné à Compiègne, avec un grand succès, dit-on, avant de paraître au Gymnase (12 décembre). C'est une pièce des bons faiseurs et qui,

1. Acteurs principaux MM. Lesueur, Duplan; Blaisot, Carbonel; Ménéhand, Pérugin; Victorin, Lajonchère; - Mmes Chéri-Lesueur,

à en juger par le passé des auteurs, devrait renouveler aut Gymnase le succès de gaieté du Voyage de M. Perrichon ou de la Poudre aux Yeux. Nous avouons pourtant que la nouvelle œuvre n'est pas faite pour causer autant de plaisir. Nous ne lui reprocherons pas d'être amusante jusqu'à la folie, elle ne mérite pas ce reproche. Nous ne dirons pas que les auteurs se sont trompés de porte et que la direction de l'élégant théâtre de Madame, en prenant une pièce faite. pour le Palais-Royal, a failli à ses traditions. Ce seraient là de gros mots pour des torts bien légers et qui même ne sont pas réels.

Je ne crois pas qu'il y ait eu, dans ces dernières années, des frontières, des démarcations aussi tranchées entre les genres et les théâtres, que les prud'hommes attardés de la critique se plaisent à le dire; en tous cas, aujourd'hui, sous le règne naissant de la liberté, ces récriminations contre le libre échange des produits dramatiques n'ont plus aucun sens. Le malheur de la comédie le Point de Mire n'est pas d'être une comédie de Palais-Royal par certains procédés d'invention, mais de n'en être pas une, par l'entrain et la verve continue. Elle manque tout à fait de nouveauté dans la donnée principale, et le plus souvent de gaieté dans le détail et la conduite de l'action.

Qu'on se figure une famille bourgeoise composée d'un mari très-commun, ancien limonadier, de sa femme, une belle dame de comptoir sur le retour, et d'une jeune fille de vingt ans en qui l'éclat de la jeunesse éclipse les petits ridicules dont la sottise paternelle et maternelle a dû la gratifier. Nous voyons cette famille un jour de réception, car Madame a son jour, elle reste chez elle le mercredi. Les visites qu'elle reçoit ne servent qu'à mettre en relief les travers et les mesquineries de ce ménage à l'esprit étroit et

Mme Perugin; Mélanie, Mme Carbonel; C. Montaland, Lucy; B. Pierson, Berthe.

à la sottise prétentieuse. Une des manies, l'idée fixe, de M. et Mme Carbonel est de rêver un millionnaire pour gendre.

Parmi leurs amis un autre couple est digne de leur faire pendant, non pour le plus grand honneur de la petite bourgoisie. M. et Mme Pérugin, ont aussi une fille, pour laquelle ils ont rêvé le million matrimonial jusqu'au moment où ils se décident à la marier, sans le moindre million, à un jeune architecte qui l'aime.

Le million rêvé tombe comme une bombe entre les deux familles dans la personne du jeune Maurice Duplan, fils de maître Duplan, ancien notaire à Courbevoie, devenu le plus acharné amateur de rosiers. Ce jeune homme, qui a le cœur facile et la tête inflammable, arrive d'Italie où il s'est épris tour à tour, avec une égale passion, des yeux bleus et des yeux noirs, des chevelures blondes et brunes. Les deux mères livrent à sa personne et à sa fortune un violent assaut; c'est un duel terrible et perfide où toutes les armes sont bonnes, flatteries, morsures, calomnies, trahisons. Un million est l'enjeu de la partie.

Pour qui Maurice se décidera-t-il? Berthe Carbonel est une blonde adorable, Lucie Pérugin une brune accomplie. Entre les deux son cœur balance, ou plutôt il court de l'une à l'autre comme l'aiguille folle d'une boussole détraquée; l'acharnement des mères à le tirer violemment chacune de son côté, ajoute encore à la perplexité où le jettent des charmes si différents. Enfin après avoir longtemps vu la blonde avec délice, la brune avec ivresse, Maurice se décide pour la fille des Carbonel, tandis que la fille des Pérugin épouse son architecte. Le vieux notaire que toutes ces intrigues et ces incertitudes ont bien tourmenté, peut retourner à sa maisonnette de Courbevoie et à ses rosiers.

Les irrésolutions de l'amoureux Maurice sont un vieux thème de comédie. La lutte acharnée des deux mères se disputant un gendre, n'est pas plus nouvelle. Cette dernière invention devait paraître cette fois d'autant moins originale

qu'elle avait été mise en œuvre, il y avait deux mois à peine, dans une comédie de l'Odéon, les Mères terribles. Est-ce l'embarras de reprendre un thème chargé de tant de réminiscences, qui a gêné les auteurs? Toujours est-il que, sur quatre actes, il y en a deux au moins, peut-être trois, où l'action ne marche pas. Les situations lentes à s'annoncer ne marchent pas moins lentement au dénoûment; la pièce semble tourner sur elle-même. Mais à la fin, l'action se précipite et s'achève dans un tardif accès de gaieté. «< Mieux vaut rire tard que jamais, dit M. Paul de Saint-Victor. L'hilarité qui éclate au dénoûment cause au spectateur une heureuse illusion, il se retire en riant, et croit qu'il a ri pendant toute la pièce.

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Vaudeville: M. et Mme Fernel; Aux Crochets d'un gendre; les Marionnettes de l'Amour; le Drac; la Jeunesse de Mirabeau; la Charmeuse; le Florentin; le 24 Février; le Devin de village, etc.

Le Théâtre du Vaudeville, dont l'administration vient de sombrer, avait réellement du malheur. S'il est vrai qu'un vent de stérilité soufle depuis quelque temps sur notre littérature dramatique, aucune de nos grandes scènes n'en a été atteinte d'une manière aussi fâcheuse. Depuis Nos Intimes, il ne s'est pas rencontré une œuvre d'une assez grande valeur pour appeler le public à la salle de la place de la Bourse, ou du moins pour l'y retenir. Tout le bruit qui s'est fait, à la fin de l'année dernière, autour des Diables noirs n'a pu les maintenir au répertoire.

Cette œuvre bizarre de M. V. Sardou avait déplu par la crudité et la violence des effets, la pièce qui lui succéda, Monsieur et Madame Fernel', comédie en quatre actes, de

1. Acteurs principaux: MM. Delannoy, Bourgoin; Parade, Fernel; Laroche, Renaut; - Mmes J. Essler, Mme Fernel: Cellier, de Soligny.

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