Images de page
PDF
ePub

MM.L. Ulbach et Crisafulli, devait déplaire par ses tons trop adoucis et l'absence de relief. Les inspirations de M. Sardou étaient criardes et fiévreuses; celles de M. Ulbach se trouvèrent ternes et froides. C'était, disait un critique, après le vitriol, du petit lait. Le public n'a goûté ni l'un ni l'autre breuvage.

Monsieur et Madame Fernel, c'est la simple mise en scène d'un roman qui n'avait aucune des qualités que réclame le théâtre. On a beaucoup parlé de la transformation des romans en drames, et moins pour en montrer les avantages que les inconvénients. Il est difficile, en général, d'encourager cette méthode ou de la condamner absolument. Il y a des romans où tout est mouvement, action, coups de théâtre, où les personnages à peine ébauchés vivent, s'agitent, tuent ou sont tués, éprouvent ou inspirent toutes les passions tour à tour de tels romans, il n'y a qu'à les découper en actes, en scènes, en tableaux, et l'on a des drames tout faits, voire même des mélodrames, animés, émouvants ou terribles.

Mais il y a aussi des romans, et souvent des meilleurs, dont le seul intérêt consiste dans les peintures et les analyses, où l'action n'est rien ou presque rien; ce sont des prétextes à des études de morale, des cadres d'observation psychologique. Comment les transporter à la scène où l'action doit être le premier élément d'intérêt? Comment faire mouvoir des personnages immobilisés dans une seule attitude, celle où il a plu au peintre de les faire poser devant lui? Il faut laisser les portraits dans leurs cadres ; il ne faut pas risquer leurs placides images dans les luttes ardentes des passions; leur réunion dans la galerie du livre n'a rien de commun avec la mêlée de la vie dont la scène reproduit le spectacle. Le roman de M. Ulbach était de cet ordre, et la traduction en pièce de théâtre d'un livre trop loué devait être nécessairement malheureuse.

M. Fernel est un bourgeois vulgaire de Troyes, en Cham

pagne, un ancien notaire à qui la vie calme et retirée pèsent. Il rêve de Paris et des aventures joyeuses qu'on peut courir dans une grande ville. Mme Fernel ne jette pas un charme bien vif dans son existence monotone. Jeune encore, belle, faite pour inspirer l'amour et l'éprouver, son cœur n'a pas trouvé dans le mariage l'occasion de s'épanouir. Elle a des enfants sur lesquels elle reporte son ardeur d'affections légitimes. Dévouée à son ménage, elle excelle dans les petits soins, les petits arts domestiques, et fait admirablement les sucreries, la pâtisserie, les confitures; extrêmement dévote, elle laisse, sans s'en apercevoir, son mari se morfondre d'ennui.

On sort pourtant de ce calme plat. Un petit journaliste de Troyes a fait une excursion à Paris, où M. Fernel l'a suivi de ses regrets envieux; il en revient accompagné d'une jeune veuve, Mme de Soligny, que le hasard lui a donnée pour compagne de chemin de fer, et qui est une ancienne amie de couvent de Mme Fernel. L'ex-notaire s'éprend d'un bel amour pour la visiteuse qui est jolie, écervelée, coquette, et qui lui semble le vrai type de la Parisienne. Pendant ce temps là, Mme Fernel, courtisée par Jules Renaut, le journaliste, n'est pas insensible aux attentions dont elle est l'objet, et toute sa dévotion peut à peine comprimer l'explosion d'un amour coupable. Le moyen de rendre à tout le monde la paix, c'est de marier Jules Renaut à Mme de Soligny. C'est le but d'une espèce de conspiration de toute la société troyenne.

Un vieux médecin voltairien est à la tête. Par ses conseils, Mme Fernel use de l'ascendant de sa beauté pour ramener à elle son mari, par la vanité sinon par l'amour. Le petit journaliste, le cœur tout plein de l'image de Mme Fernel, est poussé par sa vieille mère à conquérir la main de Mme de Soligny, dont la fortune et les belles relations parisiennes assureront son avenir. La jeune veuve, en butte à toutes ces poursuites mesquines, intéressées, importunes,

:

a un instant l'envie de laisser toutes ces petites gens, leurs intrigues et leur commérage, et de s'enfuir à Paris c'est ce qu'elle aurait eu de mieux à faire, et cela eût été le dénoûment naturel d'une pièce plus franche et plus forte, où la peinture des mœurs ridicules aurait tourné en satire. Les auteurs de M. et Mme Fernel avaient esquissé avec trop de complaisance leurs personnages pour ne pas leur procurer une fin plus agréable. La conspiration du mariage réussit; Mme de Soligny cède, on ne sait pourquoi ni comment; Jules Renaut sera riche, habitera Paris et sera journaliste influent; la vieille mère a case son fils; M. Fernel s'est repris à aimer sa femme; le docteur, qui ne croit pas à son art, a sauvé ses clients sans faire de la médecine.

On comprend combien une pareille intrigue offrait peu d'intérêt au théâtre. J'ai trouvé autrefois qu'elle n'en offrait pas davantage dans le livre, où le mérite général de la forme littéraire était singulièrement compromis par des préciosités de sentiment et de style, mais je ne veux rien ajouter aux reproches trop légitimes dont la mise à la scène de M. et Mme Fernel a été l'objet, même de la part des critiques, qui pour consoler un confrère d'un échec au théâtre, y ont vu l'occasion de reprendre l'éloge du livre.

Pour rompre le mauvais sort du Vaudeville, MM. Théod. Barrière et Lambert Thiboust lui ont vainement apporté une étude de caractère qui rappelle les Faux Bonshommes dans une franche bouffonnerie de Palais-Royal. Aux Crochets d'un Gendre est une grande pièce en quatre actes (8 avril)1, qui va sans cesse de la comédie de mœurs à la charge, et qui pousse à leurs limites les qualités et les défauts propres à ces deux genres différents.

1. Acteurs principaux: MM. Félix, Fontelais; Delannoy, Moutonnet; Parade, Beljame; Saint-Germain, Onésime; Ariste, René;- Mmes Lambquin, Mme Beljame; Cellier, Mme Fontalais; Brémond, Blanche: Bianca, Suzanne.

Un jeune ménage qui n'a pas encore passé toute la lune de miel, est tout entier à son bonheur, lorsqu'il voit arriver tout à coup la famille entière de la femme. M. Beljame, ruiné en jouant à la baisse sur les cotons d'Amérique, vient demander asile à son gendre, M. Fontelais, agent de change. M. Beljame est un bourgeois solennel et hargneux, une sorte de prud'homme de mauvaise humeur. Il vient étaler chez ses enfants toute sa pompeuse sottise et son mécontentement chronique. Sa femme est digne de lui: elle affiche une reconnaissance plate sous laquelle on sent plus d'ingratitude encore que dans l'humeur revêche du beau-père. Ces deux tristes personnages reçoivent le meilleur accueil; on s'immole pour eux, et ils se plaignent qu'on les traite en étrangers. Ils prennent possession de la maison, ils disposent de tout; ils y établissent avec eux des amis qui leur ressemblent, le pharmacien Moutonnet et son fils, Onésime, seconde épreuve du jeune Diafoirus, véritable crétin qui prétend à la main de la plus jeune fille de Beljame, digne d'un meilleur partage.

Tous ces intrus, importuns et mécontents, finissent par chasser le maître du logis qui se voit réduit à aller coucher à l'auberge. On va plus loin, on ourdit une véritable conspiration contre lui; on s'imagine gratuitement qu'il trompe sa jeune femme, et on s'efforce de persuader celle-ci de cette trahison. On s'apprête à faire prononcer entre les deux époux une séparation. A diverses reprises, l'amphitryon forcé songe à reprendre le plus simple droit du charbonnier, celui d'être le maître chez lui: aussitôt il voit tous ces hôtes insupportables se poser en victimes et le transformer en bourreau. Enfin, et heureusement pour tout le monde, l'amour que la femme de l'agent de change conserve pour son mari et l'entremise de sa gracieuse jeune sœur, ramènent la paix dans le pauvre ménage. Les parents fâcheux sont honorablement relégués dans un appartement à part; l'agent de change et sa femme reprennent leur lune de miel au crois

sant où elle s'était éclipsée; la jeune sœur, débarrassée des poursuites de l'affreux petit Moutonnet, trouve un mari selon son esprit et son cœur. Quant au couple hargneux du beau-père et de la belle-mère, ils seront heureux, s'ils peuvent ou s'ils veulent, on ne leur souhaite pas, mais ils n'empoisonneront plus le bonheur d'autrui.

On ne peut pas citer la donnée de cette pièce comme bien nouvelle. A propos d'Aux Crochets d'un Gendre, on a rappelé l'Infortunée Caroline dont on retrouve ici une seconde édition; sans sortir du Vaudeville, nous nous souvenons d'avoir vu, il y a trois ans, sur ce même théâtre, la Poule et ses poussins, de M. de Najac, pièce imitée elle-même de la Belle-mère et le gendre de M. Samson. Indépendamment de l'idée principale, on y trouvait plus d'une situation analogue. Le jeune mari, pour échapper aux obsessions de la bellemère, projetait d'enlever sa femme au logis, et lui préparait un petit hôtel, où il se voyait accusé de vouloir établir sa maîtresse. C'est, à quelques détails près, dans la comédie nouvelle, l'histoire de l'hôtel de la rue Léonie.

Ce qui rajeunissait la pièce de M. de Najac, c'était la gaieté, la vivacité de la mise en scène, au second et dernier acte surtout; MM. Barrière et Thiboust ont aussi employé cette recette de rajeunissement. Ils ont particulièrement réussi dans les deux premiers actes; rien de plus amusant, de plus vif, de plus ébouriffant que l'entrée en scène de tous ces grotesques et fâcheux personnages. C'est du vrai comique. Mais c'est du comique agaçant; je ne sais pas si l'on peut mettre plus de vérité dans une charge, mais il est difficile de faire la vérité plus désagréable. Après avoir ri, et franchement, on est tenté de se fâcher; on trouve la patience du gendre excessive; ses persécuteurs vont trop loin; il n'est personne qui, à sa place, ne les eût poussés à la porte ou jetés par les fenêtres. « On riait, dit M. Paul de Saint-Victor, dans une de ces analyses pittoresques, comme lui seul sait les faire, on riait du bougonnement solennel de M. Bel

« PrécédentContinuer »