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Monsieur le Sous-préfet.... et monsieur l'Inspecteur,
De sonner l'Angelus il a toujours mémoire,

Et, le dimanche, assis dans sa chape de moire,
Il dort, les yeux ouverts, aux sermons du pasteur.

Il a le nez pointu, l'œil triste et pas de ventre;
Ne se grise jamais, jamais.... quoiqu'il soit chantre
Il est instituteur, greffier et sacristain :

Il met, à certains jours, assez bien l'orthographe;
Et des autorités déchiffre le paraphe....

Ce qui me fait penser qu'il sait le chaldéen.

Il cache maints talents sous un modeste voile :
Autrefois, dans sa classe, il faisait de la toile:
Il pèse habilement le tabac des fumeurs;

Il fait un peu de tout.... et de mille autres choses...
Enseigne le plain-chant, écussonne les roses
Et dans son jardinet fait pousser des primeurs ;

N'allez pas lui parler, pour Dieu, d'arithmétique,
D'histoire ou de grammaire et surtout de logique,
Il est bien trop sensé pour savoir tout cela!

Que voulez-vous de plus, pourvu qu'il les enseigne !
Plus d'un ne fait pas mieux qui pourtant le dédaigne;
Je sais de grands savants de cette force-là.

Les vers de cette tournure et de cette grâce peut-être un peu féminines, me plaisent mieux, dans les Brins d'Herbe, que les essais de poésie historique et politique, où le plus souvent l'auteur force son talent et fausse sa voix.

Un volume de pièces de poésie peut avoir, outre l'unité du ton et du style, celle du cadre qui les rapproche et du fil ingénieux qui les relie. M. Antoine Campaux, auteur d'un travail estimable de critique et d'histoire sur Villon, ne s'est pas borné à étudier le poëte turbulent du quinzième siècle; il a eu l'idée de reprendre son œuvre, en l'adaptant à nos mœurs et à notre époque. Les Testaments de Villon lui ont inspiré, par une imitation ingénieuse, les Legs de Marc-An

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toine'. Un jeune poëte qui meurt de faim à Paris, va prendre un petit emploi dans un collége de province. Selon le mot fameux de Villon:

Nécessité faict gens mesprendre,

Et faim saillir le loup du boys.

Avant de partir, il lègue à ses amis tous les petits objets, compagnons et souvenirs de sa misère.

A Jacque, item, voyons que léguerai-je ?
J'ai son affaire, un encrier de liége,
Vieux puits bourbeux où je péchais sans fin
Croyant toujours au fond trouver la gloire,
Sans que jamais de sa profondeur noire,
J'aie amené que la soif et la faim.

L'auteur des Legs de Marc-Antoine n'a pas la verve ni l'énergie du poëte des Testaments. Il a plus de chasteté, de réserve, et il ne manque pas d'une certaine grâce mélancolique. Je voudrais ses vers plus souples et plus harmonieux. La rencontre de syllabes qui s'entrechoquent, les inversions forcées, caractérisent dans Villon la langue de l'époque. La forme poétique, aujourd'hui si assouplie, ne peut plus s'en accommoder.

M. Emmanuel des Essarts est fidèle, en vers comme en prose, au culte du beau et de l'idéal. Nous l'avons vu porter dans le roman la préoccupation de la moralité jusqu'aux limites de ce qu'on appelle la littérature édifiante; en poésie, il tient pour les traditions de l'art spiritualiste; mais sa prédilection pour la beauté immatérielle ne l'empêche pas de comprendre celle des formes extérieures, et de la chanter. Son volume des Elévations s'ouvre par un Hymne à la beauté qui débute ainsi:

O donneuse de vie et d'immortalité,

1. Dentu; Hachette et Cie; (Strasbourg) Derivaux, in-8.

2. Librairie du Petit Journal, in-18.

Mère au flanc généreux des Vénus et des Èves,
C'est toi, c'est toujours toi que poursuivent mes rêves,
Toi seule que j'invoque, ô parfaite Beauté.

α

» on

Si l'auteur se range parmi les « chercheurs d'idéal, voit qu'il ne le poursuit pas à travers les abstractions et qu'il le trouvera aussi bien parmi ces belles formes vivantes, jadis rêvées, réalisées et adorées par le génie grec, que parmi les froides entités dont le moyen âge nous a transmis l'héritage. Mais que M. E. des Essarts chante la matière ou l'esprit, la forme antique ou l'idée moderne, qu'il soit païen ou chrétien par le sentiment, son vers, sa strophe, ont de la souplesse, de la grâce, et les écarts mêmes de néologisme qu'il se permet ne paraissent pas en altérer la pureté.

M. A. de Flaux, après avoir visité le nord de l'Europe, ne s'est pas borné à consigner en prose ses souvenirs de voyage et à écrire des livres d'histoire avec des documents nouveaux; il a aussi voulu donner à ses impressions de touriste la forme poétique, et ne reculant pas devant l'emploi continuel d'un rhythme difficile et à la longue monotone, il a publié tout un volume de Sonnets'. Si le moule est toujours le même, les sujets sont assez variés; le soustitre porte: « Voyages, Fantaisie, Sentiment, Descriptions, Réflexions, Variétés, Histoire. Les meilleurs de ces sonnets. sont ceux qui expriment les impressions personnelles, rapportées par l'auteur de ses plus lointaines excursions. En voici le ton général.

α

Je n'avais jamais vu d'aurore boréale.

Quel spectacle imposant à mes yeux s'est offert!

Grands dieux! le ciel n'est plus qu'un vaste écrin ouvert
D'où s'échappent l'onyx, la turquoise, l'opale.

1. Michel Lévy, in-8.

Aucune des splendeurs que l'Orient étale,

Ni ses monts aux flancs noirs, ni ses eaux au flot vert,

Ni ses blonds horizons sans fin où l'œil se perd,

N'ont cette majesté du Nord que rien n'égale.

1

Tant qu'un souffle de vie animera mon cœur,
Sombre et triste Finmark, ta sauvage grandeur
A mon esprit charmé demeurera présente;

Je n'oublierai jamais tes marais, ton chaos,
Tes rocs glacés venant se perdre dans les flots,

Ni tes oiseaux de mer chantant dans la tourmente.

Toute une série de sonnets est consacrée à l'histoire de France, sous le titre de Valois et Bourbons. C'est une idée assez singulière que de résumer, sous cette forme, les traits de nos rois ou les principaux événements de leur règne. Les idées de M. A. de Flaux sont justes et sympathiques à l'esprit libéral. Mais les appréciations les plus claires de l'histoire ne sont pas ce qu'il faut particulièrement au sonnet: la moindre inspiration poétique, une ciselure savante de la forme feraient bien mieux son affaire.

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Les recueils de poésie (suite). Mme Penquer, M. et Mme Fertiault, MM. P. Delamare, J. Boulmier, Ch. Laurent.

Le volume des Révélations poétiques de Mme Auguste Penquer n'est pas précisément une révélation. L'auteur s'était déjà fait connaître avec ses qualités et ses faiblesses par un volume de vers dont nous avons parlé l'année dernière. Son recueil nouveau mérite d'être signalé pour le sentiment de l'art, le mouvement, le rhythme. Mme Pen

1. Didier et Cie, in-18, vш-348 pages.

quer a, pour la forme poétique, un souffle prolongé et soutenu qu'on trouve rarement dans les poésies de femme; elle rime quelquefois des riens gracieux, des enfantillages fades et maniérés, mais il lui arrive aussi de saisir au bond une grande idée et de la faire éclater en strophes étincelantes. Son dithyrambe à Victor Hugo, intitulé Réponse au Proscrit de Jersey, a de l'harmonie, de la grandeur et de l'éclat on y trouve comme un écho de la poésie du maître, auquel elle paye un tribut d'admiration et de reconnaissance. Le maître lui avait dit : « Montez, montez, montez encore; vous avez des ailes; vous êtes faite pour aller dans l'aurore. >> L'élève s'est efforcé de répondre à cet appel et s'est élancé vers les sublimes sommets, sauf à s'y perdre.

La poésie est quelquefois la consolation des âmes affligées l'esprit soulage le cœur. La douleur peut donc se traduire dans des vers intimes, et la sincérité du sentiment est une des meilleures conditions de l'éloquence: Pectus est quos disertos facit. Mais la force personnelle des émotions peut être trahie par l'insuffisance de la langue, et, dans ce cas, le caractère intime de la poésie ne la sauve pas de l'insignifiance ou même du ridicule. Il importe donc d'y regar-, der à deux fois avant de livrer au public les effusions poétiques d'une âme atteinte par quelque grande douleur. Le public, saturé de confidences poétiques, est tenté de les prendre toutes indifféremment pour des élégies sur des maux imaginaires, et la critique s'expose à froisser des douleurs respectables en trouvant mauvais les vers qui les expriment.

Un couple de poëtes, M. F. Fertiault et Mme Julie Fertiault, ont bravé ce danger. Frappés dans leurs affections paternelles, ils avaient écrit ensemble un recueil de vers, le Poëme des larmes, qui unit pour la première fois leurs

1. Curmer, 2 édition, 1857, XLIV-132 pages.

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