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le 24 Février, de Zacharias Werner, le Devin du Village, de J. J. Rousseau, et Pierrot posthume, de M. Théophile Gautier.

Le théâtre de la Fontaine n'est pas aussi à dédaigner que plusieurs l'ont bien voulu dire, et le Florentin1, en particulier, est une comédie charmante de versification, où les bonnes inventions comiques ne manquent pas, où l'on trouve sous une première empreinte, déjà puissante, des types qui ont grandi depuis sur le théâtre français. C'est le pendant de l'Ecole des Femmes, et le germe du Barbier de Séville. Agnès et Bartholo y sont en présence, sous d'autres noms, et s'y livrent le même combat qui aboutit à la même victoire, à celle de la nature et de l'amour. La Fontaine est, à la fois, dans le Florentin, le précurseur de Beaumarchais et le rival de Molière, et ceux-là n'ont jamais rien vu jouer de son théâtre, qui écrivent dans nos histoires de la littérature que les œuvres dramatiques de la Fontaine n'ajoutent rien à sa gloire. Elles sont une preuve de plus de la souplesse admirable de son génie.

Le 24 Février de Werner est un des types primitifs du drame lugubre, tel qu'il a dû être conçu et enfanté dans la brumeuse Allemagne. C'est une horrible histoire de fatalité domestique sur laquelle la superstition accumule une nuit impénétrable à la foi dans la Providence. On sait qu'il s'agit d'une date funèbre, d'un jour trois fois marqué de sang dans une famille où le crime engendre le crime à échéance. L'auteur a mis en œuvre cette hérédité du parricide avec la naïveté d'un parfait croyant. Pour ne pas sentir ses cheveux se dresser à cette abominable légende, il ne suffit pas de n'y pas croire, il faut en rire; et encore, je ne dis pas qu'elle

1. Acteurs principaux: MM. Saint-Germain, Harpagème: Mmes Lambquin, Agathe; Bianca, Marinette.

ne vous poursuivra pas comme un sombre cauchemar. Le Vaudeville avait cependant atténué l'horreur du dénoûment, en supprimant le quatrième et dernier meurtre. Le fils, assassin de sa sœur, revenu au sanglant bercail, dans la nuit du 24 février, se réveille au moment où le père, assassin de l'aïeul, va le frapper. La nuit fatale est passée sans crime, le sort est rompu, et le pardon est peut-être enfin descendu sur cette famille maudite.

Le Devin du Village n'est qu'une bergerie musicale, une idylle de Florian mise en chansons, une opérette de salon, une bluette, si on le compare aux moindres œuvres lyriques de nos théâtres modernes. Mais si l'on songe au nom qui la signe, au moment où elle s'est produite, cette bluette devient digne de toute notre curiosité. Ces ariettes de Colin et Colette ont été écrites par une main qui devait remuer profondément les sociétés. J. J. Rousseau, qui portait déjà dans son cerveau tout un monde nouveau, essaya de préluder à la révolution philosophique, sociale, religieuse, par une révolution bien innocente, une révolution musicale. Le Devin du Village, entre les psalmodies monotones de Rameau et les mélodies animées de Grétry, a sa place dans l'histoire de la musique française; ce fut une transition, un progrès. Aujourd'hui, avec nos complications mélodiques et harmoniques, avec nos grands et savants effets, notre orchestration bruyante, nous sommes tentés de trouver bien simples et bien fades ces airs et ces accompagnements qui sortent à peine des trois notes de l'accord parfait; et pourtant, cette musique, à son heure et à son jour, était une protestation contre la tradition, elle pouvait s'appeler, elle aussi, la musique de l'avenir. A part toute question d'histoire et d'érudition musicale, c'était une heureuse idée de nous rendre ces vieux airs qui valurent au pauvre JeanJacques un triomphe sans mélange et que le roi Louis XV chantait tout le jour, « de la voix la plus fausse de son

royaume. » C'était reprendre un de leurs plus charmants souvenirs aux Confessions pour lui rendre la vie.

Je ne m'arrêterai pas à analyser Pierrot posthume1, où M. Théoph. Gautier prête à des personnages muets d'ordinaire le langage harmonieux de la poésie. Il s'excuse d'avoir attaché le grelot d'or de la rime, à des fantaisies que l'action et la pantomime suffisent à interpréter; il faut l'en féliciter et nous en réjouir. Pierrot, Colombine, Arlequin, ces joyeux héros de la Commedia del arte, ne sont pas moins amusants parce qu'ils parlent et, qui plus est, parce qu'ils parlent bien. Ils disent des choses fort gaies, bouffonnes même en bons vers. Il faut que la langue des dieux soit d'une bien grande souplesse; car voilà qu'elle se prête, sans déroger, à des bagatelles de parade. La poésie dramatique a commencé par les tréteaux, pourquoi rougirait-elle d'y revenir? Les grands maîtres du théâtre antique ne craignaient pas de mettre en scène les satyres impudents et bavards. Les personnages de la comédie populaire italienne, pour être moins grossiers, sont des bouffons auxquels il faut conserver l'esprit et le ton de leur rôle. C'est la première règle de l'art, et l'auteur de Pierrot posthume a bien fait de n'y

pas manquer.

Ces quatre représentations excentriques n'étaient, pour le Vaudeville, que le prélude d'une excentricité plus téméraire, la comédie fantastique en trois actes et quatre tableaux de notre illustre romancière, le Drac (28 septemb.). Le titre seul était fait pour intriguer le public étranger aux mœurs et à la langue provençales. Le Drac est pour certaines populations des bords de la Méditerranée une sorte de lutin, de malin

1. Acteurs principaux MM. Saint-Germain, Pierrot ; Grivot, ⚫Arlequin; Ricquier, le Docteur; Mlle Bianca, Colombine.

2. Acteurs principaux : MM. Delannoy, André; Parade, Lesquinade ; Febvre, Bernard; Mmes Jane Essler, Fleur de Mer: Cellier, Fran

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cine.

esprit, moitié maritime moitié terrestre. Il a les attributs du follet du Berry, du korigan de la Bretagne, du cobold suédois, des ondins et ondines du Rhin, de l'orco de Venise, et de tant d'autres personnifications superstitieuses si nombreuses chez les populations primitives. Mais partout où l'imagination moderne a créé ou conservé ce monde surhumain d'esprits et de génies, elle s'est plu à former des légendes qui prêtent à quelqu'un d'entre eux le désir de prendre la forme humaine et de s'exposer à nos douleurs pour avoir part à nos joies. Le motif ordinaire de ces métamorphoses, c'est l'amour d'une belle enfant de la terre. L'amour, assez puissant sur l'homme pour nous faire renoncer à la vie, est assez puissant sur les dieux pour les faire renoncer à l'immortalité.

Il y eut donc une fois un drac qui, touché de la beauté d'une fille de pêcheur, a obtenu de la reine des esprits des mers de prendre la forme humaine, en se substituant à un jeune garçon qui vient de mourir dans une tempête. Mais aimer c'est souffrir, et le drac, sous le nom et les traits de Fleur-de-Mer l'éprouve cruellement. La belle Francine ne peut répondre à son amour; elle ne voit en lui qu'un enfant; elle aimait d'avance un jeune pêcheur, Bernard, dont le caractère violent a causé bien des malheurs, et qui est revenu vers elle, après deux années d'éloignement et d'épreuves, corrigé mais toujours amoureux. Le drac ressent les mouvements inconnus de la jalousie. Ne pouvant se faire aimer, il se vengera. Génie ordinairement favorable aux hommes, il aura toute la méchanceté humaine, et il emploie ce qui lui reste de sa puissance surnaturelle pour faire le mal. Il trompe Bernard et Francine; il inspire à celle-ci la défiance, à l'autre la colère; il tente la cupidité par l'appât de l'or, la vanité par le respect humain. Il souffle autour de lui la discorde, la violence, la rage; il met le couteau à la main des pêcheurs et les pousse à des luttes, à des duels sans merci.

Mais tous ces manéges, ces méchancetés, ne servent qu'à faire souffrir Francine, et Bernard déploie une bonté d'âme qui finit par toucher le drac et le remplir de confusion et de repentir. Alors il veut être bon. Il rapprochera Bernard et Francine, en tirant le père de celle-ci de la misère. Des trésors gisent au fond de la mer, au milieu de rochers affreux; aucune créature humaine ne peut tenter d'y plonger sans périr. Le drac, qui est assez complétement homme pour ressentir l'horreur de la mort, se précipite dans le gouffre. Bernard s'y lance après lui pour le sauver et il rapporte le cadavre de Fleur de Mer qui tient dans sa main un collier de perles du plus grand prix. Pendant ce temps, revenu à sa nature de génie, le drac s'élève du sein des flots vers le ciel, applaudissant à l'union des deux amoureux.

L'inconvénient des pièces comme le Drac est de rencontrer dans le public une incrédulité, une impossibilité d'illusion contre laquelle il est difficile de lutter, même à force de talent. La légende du surnaturel ne peut réussir avec les seules ressources de la littérature que dans le livre. Elle inspirera surtout des nouvelles et des fantaisies gracieuses. Transportée au théâtre, il lui faut autre chose que des sentiments, des idées et du style. Il lui faut des merveilles de décors, des mouvements prodigieux de machines, des changements à vue, enfin la manifestation, pour les yeux, d'une puissance magique. Qu'on se souvienne du prologue de Faust. Voyez ce que demande le directeur à ses auxiliaires pour monter cette poétique et profonde féerie: « Ne m'épargnez aujourd'hui ni les décorations, ni les machines; mettez en œuvre le grand et le petit luminaire du ciel; vous pouvez prodiguer les étoiles; l'eau, le feu, les rochers, les bêtes, les oiseaux ne manquent pas. Parcourez, dans l'étroite baraque, le cercle entier de la création, et, d'une course rapide et mesurée, passez à travers le monde, du ciel dans l'enfer. » Goethe a raison: si la féerie a de telles exigences, ni le génie poétique, ni l'invention littéraire ne peuvent y suffire.

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