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Les pièces à grand spectacle, ramassis d'ana, j'ai presque dit d'àneries, de vieux calembours et de ficelles usées, réussiront mieux sur les théâtres à décors et à machines que les plus gracieuses fantaisies d'une imagination poétique sur les scènes habituées au culte des succès littéraires. La féerie réussit encore très-bien sur les théâtres lyriques, qui lui doivent leurs plus beaux souvenirs: Oberon, le Freyschutz, Robert le Diable, Giselle, etc. C'est que la musique se prête mieux que le dialogue à l'illusion. Le chant et l'harmonie bercent l'esprit dans un certain vague que détruit tout d'un coup la netteté de la parole. Dans la pièce imprimée d'avance par Mme Sand, sous le titre de Drac, il y une foule de choses qui n'ont pas été mises à la scène. Telle est cette conversation, du ciel à la terre, entre les personnages humains et l'esprit du drac évanoui. Ces choses-là, on peut les rêver, on ne peut se les figurer tombant sous les sens. On pourrait les chanter, on ne peut les dire; et ce serait le cas de répéter, en lui donnant un autre sens, le mot fameux: Ce qui ne peut être dit on le chante. »

Le Vaudeville n'aura rien à se reprocher dans ses efforts malheureux. Après la féerie, il aborde bravement l'histoire, et il étale sur son affiche un grand nom, un des souvenirs les plus populaires de la Révolution française, il donne la Jeunesse de Mirabeau, pièce en quatre actes de M. Aylic Langlé (11 novembre). J'aurais souhaité voir le Vaudeville tenir enfin un vrai et durable succès; car l'œuvre le méritait, quelles que dussent être ses destinées auprès de ce souverain capricieux qu'on appelle le public.

Le Mirabeau de M. Aylic Langlé n'est pas encore cet orateur tout-puissant, arbitre d'une assemblée politique

1. Acteurs principaux : MM. Delannoy, Brugnières; Félix, Gensonné; Parade, de Monnier; Febvre, Mirabeau; Saint-Germain, Changuyon; Mmes Fargueil, Sophie; Cellier, la chanoinesse.

sans égale, tribun populaire qui tient en ses mains le sort d'une monarchie vieille de quatorze siècles. C'est un jeune homme ardent, impétueux, richement doué par la nature, excessif en toutes choses, ne connaissant point d'obstacles à ses passions, à ses désirs. Esprit puissant, tête exaltée, cœur inflammable, il mène de front toutes les études, tous les plaisirs; il se rit de toutes les lois, il triomphe de toutes les résistances. Sa laideur, peu commune, a été encore accrue par la petite vérole; car, comme il le dit lui-même, tous les venins lui ont été inoculés. Trapu, un cou de taureau, la tête enfoncée dans les épaules, il exerce cependant sur les femmes une séduction irrésistible, une sorte de fascination. C'est que le reflet du génie illumine sa figure et toute la gloire de l'avenir qu'il porte en lui semble rayonner sous le masque de son intelligente laideur.

Au moment où le prend le drame, le jeune Mirabeau est déjà célèbre par ses dettes, par des aventures scandaleuses, par les rigueurs plus ou moins justifiées de son père contre lui. Le marquis de Mirabeau a obtenu plus de cinquante lettres de cachet pour faire enfermer son fils. Cette fois, il le fait retenir au fort de Joux près Pontarlier. Mirabeau s'en échappe, il s'éprend d'un ardent amour pour Mme de Monnier, femme d'un premier président de la chambre des comptes de Dôle. Il fuit avec elle et se réfugie en Hollande où ils vivent ensemble dans un état voisin de la misère. Découvert, il est arrêté, ramené en France et enfermé au donjon de Vincennes; c'est de là qu'il entretient avec Mme de Monnier la célèbre correspondance connue sous le nom de Lettres à Sophie. La Jeunesse de Mirabeau est la mise en scène de cette aventure historique, modifiée suivant les besoins de l'émotion dramatique.

Le principal changement est dans le dénoûment, car les autres scènes sont si bien choisies et si naturellement adaptées à l'histoire, que la donnée première étant connue, on les devinerait presque toutes. M. Aylic Langlé nous montre

Mirabeau évadé de sa prison, s'introduisant furtivement chez son père, dont il insulte publiquement la maîtresse, devant le buste de sa mère. Cette scène, qui redouble les colères paternelles, est d'un grand effet, et c'est elle qui allume dans l'âme de Sophie les premières lueurs de son enthousiasme pour le jeune homme. L'avocat Gensonné, le futur député girondin, qui se trouve là par des motifs assez invraisemblables, s'éprend d'une amitié très-vive pour Mirabeau. Il accompagne les fugitifs à Amsterdam, et y partage leur misère. Il les aide à déjouer les poursuites de la police, qui finit par les atteindre.

Le dévouement de Sophie a sauvé un instant Mirabeau qui, ne voulant pas l'accepter, revient se livrer avec elle et s'offrir à la prison et à toutes les rigueurs d'un père armé des complaisances de la loi. Au moment où une double condamnation vient de tomber sur leur tête, M. de Monnier, le président, vient offrir la grâce de Mirabeau, à la condition que sa femme consentira à rentrer au toit conjugal. Sophie, voulant sauver Mirabeau sans trahir son amour, se frappe d'un coup de poignard et tombe morte entre son mari et son amant. Ainsi une aventure galante, sérieuse, sans être tragique, tourne au drame; elle se dénoue par la mort comme une tragédie, sans doute par l'impossibilité où était l'auteur de la dénouer, comme une comédie, par un mariage.

On reconnaît, dans l'auteur de la Jeunesse de Mirabeau, les bonnes qualités littéraires que nous avons signalées, l'an passé, dans Un Homme de rien. M. Aylic Langlé étudie srieusement ses personnages; il ne manque pas de vigueur dans l'invention des scènes et les enchaîne avec art; il a dans sa dernière œuvre plus de force et plus d'habileté; sans être un styliste, c'est-à-dire un ciseleur de phrases, il sait écrire. Puisse-t-il ne pas perdre le talent de la forme, en apprenant le métier de la construction! Puisse aussi le public encourager, par un accueil favorable, ces essais de

drame littéraire, plus vivant que la comédie d'intrigue ou de mœurs de convention, et plus vrai que les pièces à grand spectacle!

A la dernière heure de l'année, le Vaudeville produit encore une grande pièce, dont l'échec était trop facile à prévoir, et qui devait même emporter avec elle l'administration théâtrale dont elle a été la dernière défaite. Je veux parler de la Charmeuse', comédie en quatre actes de M. Mario Uchard, représentée dans des circonstances assez singulières pour attirer un peu d'attention (28 décembre).

L'auteur de la Fiammina avait remis sa nouvelle pièce, encore inachevée, à la direction du Vaudeville qui, se trouvant au dépourvu, suivant une malheureuse habitude, l'avait mise immédiatement en répétition. Le rôle principal avait été confié à M. Febvre, qu'une maladie subite vint mettre dans l'impossibilité de le jouer. La direction, sans perdre de temps, fait étudier ce rôle à un autre acteur. L'auteur n'accepte pas cette substitution et demande que les répétitions soient ajournées. Le directeur persiste dans ses arrangements et réclame le dénoûment qui manquait encore à la pièce. M. Uchard, qui était en train de l'écrire, ne veut pas le livrer, pour gagner du temps. La direction ne s'arrête pas pour si peu; les répétitions vont leur train; la répétition générale a lieu, et la première représentation de la pièce, toujours sans dénoûment, est annoncée sur l'affiche. M. Uchard a beau protester, faire marcher les huissiers, réclamer à coups de papier timbré, et l'acteur qui lui est dû, et la répétition d'une pièce entière; la Charmeuse paraît, sans le moindre dénoûment, devant le public.

Voilà donc un auteur joué malgré lui, mais le théâtre qui le joue sera, qu'on nous passe le mot, joué lui-même.

1. Acteurs principaux : MM. Parade, le Marquis; Saint-Germain, Vauvert; Mmes Jane Essler, Andrée; Cellier, Jacqueline.

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Cette œuvre inachevée, reniée par l'auteur, est accueillie froidement par la critique; puis, tandis que M. Uchard plaide pour la retirer, ce n'est pas l'empressement du public qui explique l'obstination de M. de Beaufort à la retenir. Le tribunal de commerce juge les contrats relatifs aux œuvres littéraires, comme s'il s'agissait de la promesse et de la livraison de toute espèce de marchandises; il a donné raison. au négociant en denrées dramatiques, c'est-à-dire autorisé M. de Beaufort à mettre dans son commerce la livraison partielle de son fabricant attardé, M. Uchard. Malheureusement on n'écoule pas une partie de drame comme on écoule une partie de drap; et, le public qui n'aurait peut-être pas montré beaucoup plus de faveur pour la totalité, n'a pas voulu de l'à-compte.

Il n'est pas question dans la Charmeuse de ces sorcières de l'Égypte ou de l'Asie, qui fascinent les serpents ou autres monstres. L'héroïne de M. Uchard a des vertus moins surnaturelles et moins bienfaisantes. Avant que Mlle Andrée de Mayanne paraisse au château où l'amitié l'attend, elle est annoncée comme un ange, comme une fée, comme une enchanteresse. Tout le monde l'aimait au couvent, et la fille de la maison espère bien que tout le monde l'aimera aussi autour d'elle; elle recommande surtout à son fiancé de lui faire bon accueil, On devine dès lors la pièce: le fiancé de Jacqueline, l'amie d'enfance d'Andrée, se laissera prendre par la séductrice qui va venir, et le pouvoir de la charmeuse ne se fera sentir que par des douleurs domestiques.

Depuis sa sortie de pension, Mlle Andrée a eu une existence agitée et un peu irrégulière. Maîtresse de sa personne et de sa fortune, elle a couru le monde; elle a cherché les impressions de voyage et elle a rencontré des aventures. Elle s'est attachée, par une erreur de cœur, à un homme cynique qui s'est joué indignement d'elle. Par une nuit de carnaval, il l'a conduite à un souper de courtisanes. Mlle Andrée, reconnaissant le guet-apens, s'est enfuie,

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