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fêter le nouveau décret, l'ancien théâtre de Ruy-Blas et de Richard III a donné, pendant quelques jours, à partir du 1er juillet, le Tartuffe, de Molière; et l'Avare, et le Dépit amoureux, et les Fourberies de Scapin, le Légataire universel, tout le répertoire classique, puis, d'une autre part, des opéras célèbres, le Barbier de Séville, la Norma. Les maëstros s'alliaient fraternellement aux poëtes: Rossini avec Molière, Bellini avec Regnard ou Marivaux. Mais la fortune du drame l'a emporté, et MM. d'Ennery, Dumas et Maquet sont redevenus maîtres de ce champ de bataille.

Ils sont les maîtres partout: témoin l'énorme succès à la Gaité de la Maison du Baigneur, drame en cinq actes et douze tableaux, de M. Aug. Maquet (4 février) 1. Sous un titre qui ne laisse rien pressentir des grands événements mis en œuvre, c'est un drame historique, ou soi-disant tel; le sujet est la découverte et la punition des complices de l'assassinat d'Henri IV. Ravaillac a expié son crime par un horrible supplice; mais les plus coupables ont échappé à la justice; ceux qui ont choisi le régicide, armé son bras, favorisé par une coopération active l'exécution du meurtre, en ont largement recueilli le fruit; c'étaient de grands personnages dans le royaume dont l'existence et les projets du roi gênaient l'ambition, et qui, après la mort du roi, ont obtenu les honneurs, la richesse, la puissance, et pris dans leurs mains les rênes de l'État. Les complices de Ravaillac, suivant M. Maquet, c'étaient, outre Mme de Verneuil, confidente de la reine, et un certain aventurier espagnol de fantaisie, le duc d'Epernon, le maréchal d'Ancre, et la veuve même du roi, Marie de Médicis, devenue régente. Il faut aux romanciers

1. Acteurs principaux: MM. Dumaine, Pontis; Lacressonnière, Siété-Iglésias; Deshayes, Dubourdet; Febvre, Bernard; Latourtre, le président; Alexandre, Lavienne; Manuel, Hugues ;- Mmes Lia Felix, Marguerite; Talini, Marie de Médicis; Jeanne And, Anne d'Autriche; Clarence, Sylvie; Desmonts, Aubin.

une assez grande hardiesse pour faire reposer de pareilles accusations sur des noms historiques d'un rang aussi élevé. M. Maquet ne les a pas inventées, dit-on, il les a prises dans quelques pamphlets du temps. Reste à savoir lequel vaut le mieux de créer l'histoire de toutes pièces avec son imagination ou de l'écrire d'après des libelles.

Mais qui donc a pu connaître la complicité de ces puissants personnages? Qui la révèlera? Qui en fournira les preuves et mettra le jeune Louis XIII en mesure de venger son père, en punissant ses meurtriers, et en enlevant le pouvoir aux mains indignes de sa mère? C'est ici que l'imagination du romancier, du dramaturge, prenant pour prétexte quelques vagues indications de l'histoire, va se donner carrière. Ces révélations entrevues et redoutées, tour à tour reprises et interrompues, éclatent enfin sur la tête des coupables; elles sont toute la pièce; elles en forment le sujet, l'intérêt, l'unité et le dénoûment.

Trois hommes connaissent le secret de Marie de Médicis et de ses complices: un avocat au parlement, Dubourdet, le président de Harlay et le chevalier Pontis. L'avocat presse le président de parler, mais celui-ci trouve opportun d'ajourner l'attaque contre des coupables si puissants. En attentendant le moment favorable, Dubourdet se retire au fond d'une province; il vit heureux au milieu de sa famille et se dispose à marier l'aîné de ses fils. Ce projet de mariage, compliqué tout à coup des plus étranges incidents, échoue, grâce aux rencontres les plus invraisemblables, et c'est un bonheur; car la fiancée du fils de Dubourdet n'était pas digne de lui. Pendant que le père jouit sans réserve de ses félicités domestiques, le président du Harlay, qui croit le moment venu de parler, le rappelle à Paris, pour s'appuyer de son témoignage. L'honnête homme n'hésitera pas à partir, malgré les douloureux sacrifices de la séparation; mais, au milieu de la nuit, sa maison est envahie par des assassins; un homme masqué lui ordonne de rester et de se taire, et,

sur son refus, le tue de sa main; sa maison s'écroule, incendiée, sur son cadavre. Une femme inconnne, poursuivie, à laquelle il avait donné asile, s'en échappe avec le plus jeune de ses enfants. Son fils aîné qui survit aussi à ces catastrophes, est entraîné à Paris, où l'assistance d'un ami lui permettra de les venger.

Après de nouvelles complications et de nouvelles rencontres inattendues, dont une maison de baigneur est le théâtre, le président du Harlay, qui s'est rendu au Louvre une première fois et a parlé au roi, malgré la reine-mère, doit y revenir pour tout révéler. Il tombe frappé de mort subite une heure à peine avant l'entrevue. Marie de Médicis et ses complices triomphent. Mais le président a écrit de sa main défaillante un seul mot, le nom de Pontis; le roi envoie chercher le chevalier, qui se présente à propos et de lui-même. Le chevalier, dont le témoignage tardif et unique serait sans force, veut que le roi voie de ses yeux et entende de ses oreilles les terribles vérités dont il a le secret; il le conduit par des souterrains noirs et humides, par une espèce d'égout, sous le pavillon de la rue de la Cerisaie. Là, dans une chambre basse, splendidement meublée, doivent se réunir, sur un mot d'ordre dont il dispose, les quatre complices de la reine-mère. Le roi placé auprès d'une pierre merveilleuse, marbre ou nacre du Levant, qui laisse passer à la fois la lumière et les sons, doit tout voir et tout entendre. Le théâtre est disposé de manière à laisser voir en même temps le caveau où le roi est aux aguets et la salle du rendez-vous. Pontis paraît au milieu des complices; il est armé jusqu'aux dents. Les pistolets aux poings, il arrache tour à tour à chacun d'eux l'aveu de sa participation au forfait, en leur montrant qu'il le connaissait d'avance. Mme de Verneuil a eu pour mission de monter l'imagination de Ravaillac; le maréchal d'Ancre lui a fourni les renseignements et le couteau; l'Espagnol Siété-Iglésias, déguisé en charretier de Beauce, a barré la rue avec une voiture de

foin; le duc d'Épernon, assis dans le carrosse d'Henri IV, s'occupait à détourner son attention, pendant que Ravaillac montait pour le frapper. Pendant ce temps, la reine-mère écrivait par avance à l'étranger la mort du roi, et sa lettre, interrompue par la nouvelle même de l'exécution du crime, était tombée entre les mains de Pontis caché dans l'appartement. Il leur offre de vendre son silence et la terrible lettre; on s'empresse d'acheter l'un et l'autre; le prix lui en sera payé le lendemain.

Le lendemain est le jour de la justice et de la vengeance. Le roi reprend l'autorité, avec l'appui du peuple; le maréchal d'Ancre est mis à mort, la reine est exilée. Quant à l'Espagnol Iglésias, un des types accomplis du traître de mélodrame, il meurt d'une façon tout à fait nouvelle, d'une mort inconnue aux annales mêmes de la haute et basse justice du boulevard du crime. Il y a, dans un pavillon de la maison du baigneur, un plafond qui deviendra célèbre. Par l'effet d'un ressort placé dans la pièce voisine, il descend doucement jusque sur le sol, et en rentrant sur ce nouveau plancher, on peut fouiller à l'aise dans les cachettes qu'il renferme. Une jeune femme a surpris ce secret, lorsque Mme de Verneuil, avant de prendre la fuite, est venue y puiser de l'or à pleines mains. Quelques instants après elle se réfugie dans ce pavillon avec la femme d'Iglésias, son amie, lorsque ce misérable, poursuivi, traqué, vient luimême y chercher asile. Près de tomber aux mains de ses ennemis, il veut se venger en immolant ces deux femmes qui ont contribué à le perdre. Ellos lui échappent en passant dans la pièce voisine, et, tandis que le furieux s'efforce de faire voler en éclats la porte refermée sur elles, celle qui connait le mystère du pavillon presse le ressort, et le plafond commence à descendre. Le malheureux, voyant cette espèce de pressoir qui s'abaisse lentement sur lui, court, s'agite, frappe aux portes, heurte les murs, brise une croisée qui ne peut lui donner passage.... et le plafond descend

toujours. Il baisse la tête, il courbe le corps, il se met à genoux, il rampe à terre, et le plafond descend toujours. Le rideau tombe heureusement au moment où le plafond va l'écraser sur le sol.

Je passe sous silence une foule de personnages, d'incidents, de rencontres, de reconnaissances, de coups de théâtre. Une analyse qui devrait suivre dans tous ses détails une pièce comme celle de la Maison du Baigneur, devrait avoir une longueur démesurée et serait illisible; un compte rendu d'une telle œuvre n'est clair qu'à la condition d'abréger. Je me souviens d'avoir voulu une fois me rendre compte d'une pièce de M. A. Maquet, sans l'avoir vu jouer, en prenant un résumé analytique qui la suivait, scène par scène; je m'y repris jusqu'à trois fois, sans encore bien comprendre. Et cependant, à la scène, rien n'est plus vif, plus rapide, plus clair que cet imbroglio. Rien n'attache plus la foule qui attend avec patience le mot des énigmes, mais qui veut que les énigmes soient nettement posées. Le public des théâtres de drame n'a pas peur de la longueur du chemin, ni des détours; mais il veut savoir où on le mène, et entrevoir toujours le but dont l'auteur le rapproche ou l'éloigne à volonté.

M. Auguste Maquet est un des auteurs qui comprennent le mieux les exigences de la curiosité populaire; ses pièces sont solidement et habilement construites. L'histoire n'y prend pas pour règle la vérité, ni l'imagination la vraisemblance. Il s'agit de frapper l'esprit et les yeux du spectateur, de le tenir en haleine; d'exciter l'intérêt à tout prix, d'irriter au besoin la curiosité et de la satisfaire à propos. Il entend bien le rôle du Deus ex machina; il laisse quelquefois succomber l'innocence, mais il la venge toujours, il aime à frapper le coupable, à recompenser la vertu, et le peuple applaudit, en frémissant, à la Providence et au dramaturge qui s'en fait l'instrument. Ajoutez que ces pièces fécondes en merveilles pour les yeux et l'esprit, ne

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