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historiques se trouvent ici compliquées, il n'y a plus, dans les Fils de Charles-Quint, de personnage auquel l'intérêt puisse s'attacher. Si rempli qu'il soit pour l'imagination, le drame est vide pour le cœur; on regrette la légende et son héros; on se prend à regretter les fables de Saint-Réal et de Schiller, que la lumière de l'histoire a dissipées d'une manière si fâcheuse pour l'art dramatique. On est tenté de s'écrier avec Voltaire :

O l'heureux temps que celui de ces fables!

Le raisonner tristement s'accrédite;
On court, hélas! après la vérité !

Ah! croyez-moi, l'erreur a son mérite.

Est-ce la faute de ia petite part faite par M. V. Séjour à la vérité, moins intéressante, en cette rencontre, que les erreurs établies, ou bien est-ce celle des éléments romanesques mêlés avec profusion à quelques rectifications historiques? toujours est-il que le drame des Fils de Charles-Quint n'a rien pu ressaisir de la popularité attachée par Schiller à l'ancien personnage de don Carlos. En vain, M. Beauvallet a mis dans le rôle de Philippe II les restes de son grand talent, il n'a pu prêter à ces combinaisons indécises entre le roman et l'histoire la vie galvanique que son ex-camarade de la Comédie-Française, Ligier, avait donnée, il y a douze ans, au drame de Richard III.

Qu'il nous suffise de mentionner ensuite, sur la scène de l'Ambigu, les drames nouveaux suivants : le Comte de Saules, en cinq actes, de M. Éd. Plouvier (6 avril); la Fille du Maudit, en cing actes et sept tableaux, de M. Jules Barbier (25 juin); Roccambole, en cinq actes et neuf tableaux, de MM. Anicet Bourgeois, Ponson du Terrail et Ern. Blum, pièce découpée dans l'interminable roman des Drames de Paris (26 août); l'Ouvrière de Londres, en cinq actes,

de

M. Hostein, pièce émouvante, tirée d'un des terribles romans de miss Braddon, les Réprouvés (11 novembre); Marie de Mancini, en cinq actes et huit tableaux, de MM. d'Ennery et Ferdinand Dugué, mettant à la scène pour la vingtième fois la minorité orageuse de Louis XIV. Et dire que, malgré cette provision de drames nouveaux, il y a eu encore place à l'Ambigu pour des reprises comme la Prière des Naufragés et l'Homme au masque de Fer!

Le drame à grand spectacle se déroule aussi sur la vaste scène du Théâtre Impérial du Châtelet. Trois reprises et une seule pièce nouvelle l'y représentent. Les reprises sont : le Naufrage de la Méduse, drame en cinq actes de MM. Ch. Desnoyers et d'Ennery (16 janvier), la Case de l'Oncle Tom, drame en cinq actes et huit tableaux, de MM. Dumanoir et d'Ennery, les Sept Châteaux du Diable, féerie en trois actes et vingt tableaux, de MM. d'Ennery, tant de fois nommé, et Clairville.

La pièce nouvelle à grand spectacle est la Jeunesse du roi Henri, drame en cinq actes, de M. Ponson du Terrail (26 mars) 1, et dont l'année entière n'a pas suffi à épuiser le succès. Elle s'est soutenue, et se soutiendra encore, grâce à une belle exhibition chorégraphique et à un effet de cynégétique nouveau, et digne de rivaliser avec la scène du plafond de la Maison du baigneur. Cet effet est la curée, où vingt-quatre chiens se précipitent sur le cadavre ou plutôt sur le mannequin d'un cerf et le mettent en pièces.

Avec une telle invention, le drame peut se passer de tout autre élément d'intérêt. Peu importe la vérité historique,

1. Acteurs principaux: MM. Desrieux, Henri de Navarre: Gouget, duc de Guise: Maurice Coste, Charles IX; Brésil, René: Williams, Malican; Arondel, Pibrac; Donato, Torre Spada: Sully, de Noë: Mmes Vigne, Catherine de Medicis: Esclozas, Marguerite de Navarre: Suzanne Lagier, Jeanne d'Albret: Théric, Nancy: Colombier, Paolo: Letourneur, Amina.

sur laquelle on a tant discuté à propos de la Maison du baigneur, peu importe l'art de poser les personnages, de conduire les scènes, de préparer le dénoûment; peu importe le style. Un plafond qui descend sur la tête d'un coupable, une meute de chiens affamés, de vrais chiens, qui se précipitent sur une pâture; voilà ce qui suffit ponr attirer la foule; ceux qui en cherchent plus long sont des idéalistes, des rêveurs, des artistes, que le culte du succès ne satisfait pas et qui ont le tort impardonnable de respecter le public plus qu'il ne veut être respecté lui-même. La liberté des théâtres, à peine inaugurée, rendra-t-elle le public plus exigeant, les directeurs plus indépendants du succès à tout prix, et l'art plus libre, plus fier, plus jaloux de lui-même ? C'est, encore une fois, ce qu'on souhaite plus qu'on ne l'ose espérer.

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Scènes de genre: Variétés; Palais-Royal; Folies-Dramatiques. Théâtre-Déjazet; Scènes Lyriques.

Le théâtre des Variétés est celui qui a le mieux profité de la liberté des théâtres. Il n'a pas demandé au nouveau régime le droit d'exploiter un genre qui lui fût inconnu. Il a pris à la loi son nom pour le donner à une parodie bouffonne dont cent dix-huit représentations consécutives ont à peine épuisé le succès. C'est la Liberté des Theatres (10 août)1 qui se définissait sur l'affiche un salmigondis en six actes et quatorze tableaux et que les auteurs s'étaient attachés à rendre digne de cette qualification. Ils auraient pu l'intituler tout aussi bien Sans queue ni tête,si ce titre n'avait déjà été

1. Acteurs principaux: MM. Dupuis, Foiteuquille; Michel, Grospoulot; Potier, Desardoises; Grenier, Dufouillis; Couder, Carcasson: - Mmes Duval, Dubrochet; Silly, Cydalise; Vernet, Mousseline; Renault, Rosalie,

pris, et avec bonheur, au même théâtre. Ils ont fait défiler tour à tour, sous des formes grotesques, un vaudeville, une tragédie, un opéra, une féerie, un drame militaire, tous les genres en un mot que, grâce à la liberté, la direction du premier théâtre venu pourra désormais mettre en scène. Le théâtre des Variétés a ainsi touché, lui aussi, à tous les genres, au sortir de celui où il a de tout temps excellé, la parodie.

C'est par une œuvre capitale du même ordre qu'il devait finir l'année et remplir peut-être l'année suivante. L'Enlèvement de la Belle Hélène, opéra bouffe en 3 actes de MM. H. Meilhac et L. Halévy, musique de M. Offenbach (17 décembre), est une sorte de débauche d'esprit qui a soulevé des orages dans tous les rangs de la critique. On a traité de sacriléges ses facéties extrêmes et d'un goût volontairement équivoque, dont les dieux et les héros d'Homère font les frais; on s'est montré plus jaloux du culte de l'antiquité que de l'antiquité elle-même, on a oublié que les Grecs et les Romains se moquaient eux-mêmes, à l'occasion, de leur Olympe. Sans descendre aux temps de Lucien, ce représentant du voltairianisme païen, le drame satirique ne s'unissait-il pas, chez les anciens Grecs, dans l'austère tragédie, dans la trilogie classique? On se fâche de voir l'Iliade et l'Eneide travesties; on crie au scandale; on accuse notre génération d'irrévérence et de scepticisme; on monte sur les grands mots et les grandes phrases; on défend de toucher à l'arche sainte de l'art antique. Comme si on témoignait plus de respect aux chefs-d'œuvre en les oubliant, qu'en les parodiant! Comme si le rire et le sarcasme des gens d'esprit n'était pas, pour les œuvres sublimes, encore une façon

1. Acteurs principaux: MM. Dupuis, Paris; Kopp, Ménélas; Grenier, Calchas; Couder, Agamemnon; Guyon, Achille: Hamburger, Ajax 1oo; Andof, Ajax II: · Mmes Schneider, Hélène ; Silly, Oreste ; Renault, Bacchis: Alice, Parthenis.

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d'hommage! comme si enfin, les poëmes d'Homère ne méritaient plus qu'une épitaphe respectueuse, comme celle-ci :

Sacrés ils sont, car personne n'y touche!

Hors de ces deux pièces de longue vie, le théâtre des Variétés a donné successivement: La Fiancée du Corps de garde, vaudeville en trois actes de MM. Clairville et Siraudin (12 février); Le Petit de la rue du Ponceau, comédievaudeville en deux actes de MM. E. Martin et A. Mounier (26 février); la Vieillesse de Brididi, vaudeville an un acte de MM. A. Choler et H. Rochefort (1er mars); Un Bal d'Alsaciennes, vaudeville en un acte de MM. Siraudin et E. Blum (3 mars); L'homme n'est pas parfait, vaudeville en un acte de M. Lambert Thiboust (12 mars); le Joueur de flúte, vaudeville en un acte de M. J. Moineaux, musique de M. Hervé (12 avril); les Coiffeurs, vaudeville en trois actes de MM. E. Grangé et E. Sauvage (7 mai); une Femme qui ne vient pas, scène (7 juin); la Postérité d'un Bourgmestre, vaudeville en un acte, signé Durand, pseudonyme, dit-on, de M. Mario Uchard (9 juin) : cette folie s'était appelée d'abord la Postérité d'un gendarme; les Mémoires d'une femme de chambre, vaudeville en deux actes de MM. Clairville, Siraudin e. Blum (18 juin); les Pinceaux d'Héloïse, vaudeville en un acte de MM. A. Choler et H. Rochefort (1er juillet); une Femme, un Melon et un Horloger, vaudeville en un acte, de MM. Varin et Michel Delaporte; le Bal des cinq Kopp, à propos (26 novembre), sans compter deux reprises le Bourreau des cranes, vaudeville en trois actes, de MM. Lafargue et Siraudin (26 novembre), et la Belle Espagnole, bouffonnerie musicale de M. Hervé (26 novembre).

Le Palais-Royal a presque tous les ans une pièce de résistance dont le succès tient en grande partie aux folles ex

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