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acteurs et le public aient également à se plaindre de ce monopole, que la concurrence soit anéantie, que le monde dramatique entier soit placé sous les fourches caudines d'une administration toute-puissante, que tous les genres soient sacrifiés à la mode et au succès, que l'art, s'il ne fait pas recette, soit abandonné pour les pièces de métier et les exhibitions populaires. La réaction naîtra du mal même, et, ce qui est à considérer, la liberté qui aura permis l'abus, offrira à l'initiative individuelle ou collective les moyens de le détruire. Lorsque le mal, au contraire, a une sanction légale et officielle, on ne voit plus sur quoi l'on pourra s'appuyer pour le combattre. Sous un régime libre, ceux qui souffrent des excès des puissants peuvent se les imputer à eux-mêmes, puisqu'il dépend d'eux de les faire cesser. Il en est alors du théâtre comme du gouvernement, chaque époque a celui qu'elle mérite.

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Bibliographie dramatique. Théâtre d'Alexis de Comberousse'.

On se figure difficilement ce que la consommation annuelle des théâtres de Paris dévore de pièces et ce qu'elle absorbe des forces vives de l'intelligence française. Que d'efforts, que de talent dépensés pour amuser une génération, et combien la reconnaissance publique en garde peu de souvenir ! Avec quelle rapidité le temps en efface la trace! Voici, par exemple, les deux frères de Comberousse, qui ont été entraînés par une véritable vocation, du barreau et de l'administration vers le théâtre. Fils d'un juriste distingué du premier Empire, qui, entre deux plaidoiries ou entre deux consultations, sacrifiait aux muses et mettait le Code

1. Hachette et Cie, 3 vol. gr. in-8 à 2 colonnes.

Napoléon en vers français, ils ont été piqués tous deux de la tarentule dramatique, et ils ont écrit tous deux des tragédies et des drames, des pièces satiriques et des vaudevilles. Tous deux ont été loués, applaudis à leur jour, puis ensevelis, encore vivants, dans le vaste linceuil de l'oubli. Lorsque l'aîné, Hyacinthe Comberousse, mourait il y a huit ans, qui se souvenait qu'il avait fait représenter au ThéâtreFrançais, par Mlle Duchesnois, une tragédie sacrée, Judith, et à l'Odéon une amusante comédie, le Présent du prince? Qui se rappelait le titre des pièces politiques qui l'avaient mis aux prises avec la censure sous la Restauration?

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Alexis de Comberousse est mort plus récemment, en 1862. Il a écrit pour le théâtre presque jusqu'à nos jours; il a été depuis 1850 le collaborateur de vaudevillistes encore vivants et en activité de service. Se souvient-on néanmoins qu'il était, il y a une trentaine d'années, l'un des plus féconds et des plus heureux auteurs dramatiques de Paris? Il ne compte pas moins de quatre-vingts ouvrages: des drames, des comédies, quelques opéras-comiques, des vaudevilles surtout. Parmi ses drames, où les droits de la littérature n'étaient pas encore sacrifiés aux fantaisies du « grand spectacle, on a remarqué, vers 1830, l'Incendiaire, les Frères Faucher, le Cocher de fiacre, le Fou, l'Abolition de la peine de mort, etc. Une seule de ses comédies fut jouée aux Français, l'Espion du Mari, mais il en a donné au Gymnase quinze marquées au meilleur coin du temps. Il régnait au Vaudeville. Il a aussi écrit, avec Bayard, Frétillon, pour Mlle Déjazet, alors au Palais-Royal, et ce fut un des plus grands succès de l'actrice et du théâtre. Avec divers collaborateurs en renom, Alexis de Comberousse a fourni des rôles heureux aux meilleurs artistes de son temps, à Léontine Fay, à Bouffé, à Mme Doche, à Lafont, à Jenny Colon, à Vernet, à Legrand, à Provost, à Bocage, à Frédéric-Lemaître, à Mme Dorval.

Une cinquantaine de ses pièces les mieux accueillies, réu

nies à quelques œuvres inédites, remplissent les trois beaux volumes dont une main pieuse et amie vient de composer son Theatre. Une Notice, par Jules Janin, émue et intéressante, marque bien la place encore très-honorable d'Alexis de Comberousse dans le mouvement dramatique du siècle; elle fait comprendre comment sa mémoire, un instant submergée par les hardiesses tumultueuses des tentatives romantiques, mérite pourtant de surnager et de survivre.

CRITIQUE, HISTOIRE LITTÉRAIRE,
MÉLANGES.

La critique physiologique appliquée à l'histoire littéraire.
M. H. Taine.

Chaque année a son livre destiné à en être l'événement, et ce livre appartient tour à tour aux branches les plus diverses de la littérature. Un jour c'est un volume de poésie, comme les Contemplations ou la Légende des siècles, une autre fois c'est un roman comme Mme Bovary, les Misérables ou Mlle la Quintinie; assez souvent c'est une œuvre dramatique comme les Effrontés, le Fils de Giboyer, ou Nos Intimes. Je ne parle que des années les plus rapprochées de nous et dont l'Année littéraire résume l'histoire. L'année dernière, c'était un livre d'exégèse religieuse, la fameuse Vie de Jésus. Aujourd'hui c'est un livre de critique littéraire, l'Histoire de la littérature anglaise par M. Taine‘.

Rien n'a manqué à la fortune de cet ouvrage. Publié en partie dans le Journal des Débats, son apparition en volume. a été signalée dans toute la presse comme un fait littéraire d'une importance capitale. Il l'était pour le talent de l'auteur, pour l'éclat donné à des thèses discutables, pour l'émotion

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que devait exciter la franchise des opinions malsonnantes. En effet les attaques se produisirent à côté des éloges, et eurent la plus grande part, comme d'ordinaire, à la réputation de l'auteur. M. Taine, déjà enveloppé dans des anathèmes collectifs avec MM. Renan et Littré, devint l'objet d'une persécution particulière. Son livre présenté au concours pour les prix de l'Académie française, fut chaudement soutenu par quelques partisans, mais la raison d'Etat qu'on appelle l'orthodoxie, l'emporta sur toute considération littéraire et la majorité repoussa le livre de M. Taine, sans en trouver un qui fût digne d'être couronné à la place. M. Villemain, dans un de ces rapports qui sont des modèles d'habileté sinon d'éloquence, expliqua comment la vertueuse et austère Académie, n'avait pu décerner un prix à une belle œuvre, qui était en même temps un mauvais livre. L'Académie avait exclu l'année précédente la personne même de M. Littré qui ne s'en porta que mieux. Elle immolait cette année M. Taine en effigie, c'était une bruyante recommandation pour son ouvrage.

Un des traits de l'Histoire de la littérature anglaise de M. Taine et une de ses faiblesses, est de n'être pas une histoire, et surtout une histoire littéraire. Intitulez l'ouvrage « Considérations philosophiques à propos de la littérature anglaise, et vous aurez une idée du cadre; prenez les lieux communs des philosophes du dix-huitième siècle contre la spiritualité de l'ame et la liberté humaine; revêtez-les d'un style précis, énergique, quelquefois systématiquement brutal, tour à tourd'une aridité technique ou splendidement coloré, et vous comprendrez les matériaux qui remplissent ce cadre, et l'art puissant qui leur donne du prix.

Les doctrines de M. Taine ne sont pas, il s'en faut, la meilleure partie de son livre, mais elles en sont la plus visible, j'allais dire la plus voyante et comme l'enseigne. L'auteur les condense d'abord dans une Introduction, il les répand d'une main plus ou moins discrète dans tout l'ou

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