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sements, de quiproquos, les jeux de scène, les brusques conversions de caractère, les effets de dispute symétrique, etc., etc. M. Legrelle met en regard les scènes qui ont le plus de rapport et justifient ainsi le titre de son livre: Holberg considéré comme imitateur de Molière.

Grâce à l'action que l'auteur français a exercée sur lui et grâce aussi à ses facultés personnelles, Holberg a pris et conservé une place importante dans la comédie moderne. M. Legrelle fait la part des nuances propres à son génie et arrive à cette conclusion que trois grandes analogies les rapprochent de Molière: comme son modèle, Holberg peint les vices et les travers de l'humanité; il donne au caractère la prépondérance sur l'intrigue; enfin il a exercé sur les mœurs une influence libérale. Cette filiation intime établie entre Molière et Holberg recommande celui-ci à notre attention, et elle est, comme dit M. Legrelle, une occasion naturelle d'étudier Molière de plus près.

Enseignement de notre histoire littéraire à l'étranger.
M. Antonin Roche.

Il ne faut pas oublier les Français qui propagent à l'étranger notre langue et notre littérature par leur enseignement et leurs livres, quand ces derniers sont dignes de prendre chez nous une place honorable. C'est le cas des divers ouvrages publiés par M. Antonin Roche directeur de l'Éducational Institute de Londres. Ils forment presque une bibliothèque complète de littérature et de grammaire; quelques-uns datent déjà d'assez loin et ont eu des éditions plus ou moins nombreuses; mais ils viennent d'être réunis sous un format élégant et commode, en une collection nouvelle que je crois devoir signaler. Le plus ancien est un recueil

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de morceaux choisis dans les meilleurs auteurs de la littérature française, depuis les origines jusqu'à nos jours. Il comprend naturellement deux séries: la prose, et les vers. y a longtemps que j'ai entendu citer avec éloge et consulté moi-même avec fruit les Prosateurs français1 et les Poëtes français de M. Antonin Roche. Les dernières éditions n'ont pu qu'améliorer ce double recueil, l'un des mieux faits que je connaisse.

Passons sur une grammaire française du même auteur3. Chaque professeur a la sienne qu'il croit supérieure à toutes les autres. Et l'on comprend que chacun se fasse aisément cette conviction, en voyant combien la plupart de celles qui existent sont mauvaises.

Ne nous arrêtons pas davantage à un Traité du style et de la composition littéraire“, qui n'est autre chose qu'un livre élémentaire de rhétorique française. On y trouvera tout ce que contiennent d'ordinaire les rhétoriques, c'est-à-dire une foule de choses inutiles et superflues ou des choses utiles qui ne devraient s'apprendre qu'en étudiant les modèles.

Un livre plus personnel de M. Antonin Roche est l'Histoire des principaux écrivains français depuis l'origine de la littérature jusqu'à nos jours'. Il ne faut pas y chercher ce que l'auteur ne s'est pas proposé d'y mettre, c'est-à-dire des études originales et profondes, des aperçus nouveaux et ingénieux. C'est un résumé des leçons faites pendant plus de vingt ans à l'Éducational Institute, et l'on peut dire que ces leçons valent bien celles qui se sont faites pendant le même temps chez nous dans nos établissements nationaux. Les travaux des grands critiques modernes, MM. Villemain, Saint-Beuve, Saint-Marc Girardin, Nisard, etc., ont été mis

1. Hetzel, in-18, 530 p.

2. Même librairie, in-18, 528 p. 3. Même librairie, in-18, 208 p. 4. Même librairie, in-18, 342 p.

5. Même librairie, 2 vol. in-18, 352-348 p.

D

à profit avec autant d'intelligence que de modestie. Car, remarquons-le, l'auteur n'a pas eu l'ambition d'intituler son livre Histoire de la littérature française; il lui semble que pour justifier ce titre, il aurait fallu parler d'un grand nombre d'auteurs que le professeur avait dû négliger. Il a pris simplement le titre d'Histoire des principaux écrivains français, et, en effet, nos grands maîtres de la prose et du vers y sont largement traités. C'est à rendre l'enseignement français de Paris jaloux de celui de Londres. Je ne sais si nous étudions mieux, chez nous, nos propres auteurs; mais quelle est l'institution, le lycée, la faculté même, où l'on enseigne Shakespeare, Pope ou Milton, comme M. Antonin Roche enseigne Corneille, Bossuet, Montesquieu, Voltaire à nos voisins?

HISTOIRE. GÉOGRAPHIE.

VOYAGES.

1

Philosophie de l'histoire. L'homme et le sol. La raison géographique. MM. Od. Barot et V. Duruy.

Les relations entre l'histoire et la géographie, c'est-à-dire entre le développement d'un peuple et la nature du pays qu'il habite, sont incontestables; elles forment un des chapitres obligés de la philosophie de l'histoire, et peuvent être l'objet d'études intéressantes et utiles. Il est certain qu'une foule d'événements humains ont dépendu et dépendent encore des accidents géologiques ou climatologiques au milieu desquels ils se préparent et s'accomplissent. L'histoire d'une nation est un vaste drame où l'homme n'a pas toujours choisi son rôle et la manière dont il le joue. C'est une pièce sans auteur connu qui paraît se modifier d'elle-même suivant le théâtre. Il importe donc d'étudier le lieu de la scène et l'action incessante des décors sur les rôles et le jeu des personnages.

N'oublions pas cependant que ces personnages, ce sont les hommes avec leur intelligence progressive, avec leur conscience et leur liberté, qui leur donnent toujours une part de responsabilité dans leurs destinées. Il ne faut pas sans doute s'exagérer la portée de l'action libre de l'homme dans le développement collectif des sociétés; mais, s'il est inexact de sacrifier la liberté humaine à l'ensemble des in

fluences contre lesquelles elle lutte ou sur lesquelles elle s'appuie, combien n'est-il pas à la fois faux et puéril de s'attacher, par une vaine recherche d'originalité, à une seule de ces influences et d'en faire la loi dominante de toute une destinée nationale?

C'est cependant une tentative à la mode aujourd'hui, soit parmi les politiques qui font de l'histoire, soit parmi les historiens qui font de la politique. L'influence à laquelle on rapporte de préférence les évolutions d'un peuple, est celle du pays où le hasard ou la Providence l'ont jeté. La géographie n'est plus seulement comme autrefois l'un des flambeaux de l'histoire, elle en est l'oracle, elle lui impose des formules souveraines et ne lui laisse que la tâche modeste de les vérifier. Cette méthode systématique, qui a entraîné Montesquieu lui-même aux exagérations de sa théorie des climats, conduit des esprits moins justes et moins puissants à des paradoxes insoutenables ou à des banalités déclamatoires.

C'est du côté du paradoxe que se jettent de préférence les publicistes qui veulent à tout prix appeler l'attention par la nouveauté de leurs doctrines politiques. C'est ainsi qu'on a remarqué pour leurs hardiesses excentriques les Lettres sur la philosophie de l'histoire de M. Odysse Barot1. Insérées dans le journal la Presse que M. E. de Girardin a toujours aimé à ouvrir, comme un champ de bataille, aux idées les plus opposées, elles paraissaient particulièrement dirigées contre deux théories en grande faveur auprès des hommes d'État modernes : celle des nationalités et celle des faits accomplis.

Placée entre ces deux théories, la politique tend à transiger sur les difficultés du présent en conciliant des principes et des intérêts qui cherchent également leur force dans le passé. Tous les jours, il est question, dans les brochures des

1. Germer Ballière, in-18, 244 pages.

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