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péditions lointaines, les missions ambitieuses qui avortent, les aventures qui déciment et qui ruinent, les provocations et les immixtions qui vous mettent le monde entier sur les bras. Les malheurs et les agitations de notre histoire manifestent la vitalité de la nation française, comme les orages perpétuels de certaines régions de montagnes celle d'un arbre séculaire les rameaux sont brisés, le feuillage emporté à tous les vents; mais le tronc inébranlable se recouvre sans cesse de pousses nouvelles et plus vigoureuses, et ses racines s'enfoncent chaque jour plus profondément dans le sol. Tel est le sentiment général que nous inspire le nouveau tableau de nos destinées tracé par M. Am. Gouet. L'Histoire nationale nous montre d'abord, par une sorte de prédestination, le Français sous les Gaulois. Elle résume tout ce qu'on sait des usages, du caractère, des institutions de nos ancêtres, de leurs expéditions aventureuses au dehors, de leurs divisions sanglantes au dedans, de leur développement intellectuel, de leurs idées morales et religieuses. Les relations des Romains avec la Gaule sont la principale source de nos renseignements sur l'ancien état de ce pays, et les conquêtes de César, si péniblement accomplies en neuf années, nous font comprendre la valeur de ce peuple par les efforts que sa chute a coûtés à son vainqueur. Le nom de Vercingétorix plane encore sur cette glorieuse défaite.

La conquête romaine désarma la Gaule et la livra aux invasions des Germains contre lesquels elle était plus capable d'être défendue par ses propres armes que par la protection romaine. La seconde conquête fut plus funeste que la première; elle fonda ce long antagonisme de deux races qui se retrouvent au fond de toutes nos sanglantes alternatives de répression et de révoltes. « Depuis plus de treize siècles, dit M. Guizot, la France contenait deux peuples: un peuple vainqueur et un peuple vaincu. Depuis plus de treize siècles, le peuple vaincu luttait pour secouer le joug du peuple vainqueur. Notre histoire est l'histoire de cette lutte. De nos

jours une bataille décisive a été livrée; elle s'appelle la Révolution. »

de

M. Am. Gouet semble. s'être proposé de développer et prouver cette thèse. Pour lui l'histoire nationale ne commence, à proprement parler, qu'à ces journées décisives de la Révolution. Tout ce qui précède n'est pas l'histoire de notre nationalité; ce n'en est que l'orageux prélude. C'est un long et douloureux enfantement, une pénible croissance; mais une fois parvenu à l'âge d'homme, le peuple fait éclater enfin toute sa virilité, et ce qu'il faut voir jusque-là dans sa vie, c'est la lente élaboration de ces facultés originairement si puissantes qui se sont si souvent trompées d'objet et que plus souvent encore la nation, égarée par l'influence d'un génie qui n'était pas le sien, a tournées contre elle-même.

C'est donc surtout dans ses égarements et dans les malheurs qui le suivent, que l'auteur de la nouvelle Histoire nationale de France cherchera les manifestations de notre génie. J'ai hâte de dire que nous n'avons pas à faire ici à une de ces généralisations systématiques, devant lesquelles les faits se plient avec docilité, se transforment avec souplesse, se dénaturent à plaisir. M. Am. Gouet prend les témoignages les plus sûrs de l'histoire ; il n'éprouve pas le besoin de les altérer, ni d'assujettir les événements à un système; seulement il ose les examiner avec indépendance et il les soumet aux appréciations du seul esprit qui soit au-dessus des partis, l'esprit libéral. La liberté et la vérité sont éternellement sœurs et amies; inséparables dans tout ordre de science, elles ont dans l'histoire une manifestation commune, l'impartialité.

Les deux premiers volumes de l'Histoire nationale de M. Am. Gouet le conduisent au milieu des temps féodaux. Souhaitons-lui de poursuivre son œuvre en restant fidèle à ces deux sœurs qui sont trop rarement les muses de l'his

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Histoire de France. Monographie d'une province et d'une époque. M. Max. Deloche.

Les origines gauloises de notre histoire sont l'objet d'études qui ne manqueront pas de recevoir une nouvelle impulsion. L'Histoire de César qui est en ce moment racontée par le chef même de l'Empire, ramène en effet plus que jamais l'attention sur l'état de la Gaule à l'époque et à la suite de la conquête romaine. On ne saurait dire combien d'obscurités enveloppent des points très-importants de la géographie historique de la Gaule et combien il est difficile de suivre les marches de Jules César dans un pays décrit par lui seul et d'une manière sommaire et insuffisante. Nous aurons occasion de revenir sur le vague et l'insuffisance des indications géographiques qu'on trouve dans les Commentaires. Ce livre si vanté pour la précision du style n'a pas celle des renseignements, et je comprends bien la bonne foi naïve des anciens éditeurs, qui mettent dans leurs notes à propos d'un grand nombre de noms de nations ou de pays: Populus, ou locus Galliæ incertus. Nos érudits d'aujourd'hui n'ont plus la même simplicité. Chacun d'eux tranche les difficultés dans son sens avec un aplomb qui a pour correctif l'aplomb de ses contradicteurs.

Il faut convenir du reste que de beaux travaux modernes disposent à cette confiance. Nous citerons dans le nombre, les Études sur la géographie historique de la Gaule1, de M. Maximin Deloche, couronné par l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres. Elles traitent spécialement des divisions territoriales du Limousin au moyen âge, c'est-à

1. Imprimerie impériale (couverture 1864, faux titre 1861), gr. in-4°, 356 pages avec 2 cartes.

dire à une époque où les documents et les chartes de toutes sortes abondent et permettent de reconstituer toute la topographie politique et administrative du pays.

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Histoire de France. Monographies d'un règne.
M. Eug. Bonnemère.

Il n'est pas de règne qui ait duré aussi longtemps que celui de Louis XIV, et il en est peu de plus étudiés par les critiques et les historiens. Les faits importants abondent dans cette longue période de l'histoire de France, qui commence en 1643 et finit en 1715. La monarchie absolue y trouve sa formule la plus complète; elle s'affirme despotiquement en face de la nation, elle l'absorbe; et quand le pays sort épuisé des mains du grand roi, il n'a plus, comme le dit Saint-Simon, le désir ni la force de veiller lui-même à sa conservation et à ses destinées.

M. Eugène Bonnemère, auteur de l'Histoire des paysans, a entrepris de nous dire en détail, d'une part, ce despotisme et, de l'autre, cet épuisement. La France sous Louis XIV, est un tableau navrant de cette époque que les classiques. appellent ordinairement le grand siècle, et, malgré le ton sombre du style et la couleur, un peu chargée peut-être de certains accessoires, il a un caractère de triste vérité auquel on ne peut se méprendre. M. Bonnemère, en nous retraçant avec l'indignation d'un honnête homme, des spoliations et des actes d'un criant arbitraire, s'entoure des documents les plus sérieux et s'appuie de citations levant tous les scrupules et tous les doutes.

Après avoir longuement et savamment parlé des vols et

1. Librairie internationale, 2 vol. in-8, 564-526 pages.

des brigandages de tout genre commis pendant la Fronde, par les princes révoltés ou par Mazarin, après nous avoir donné sur l'immoralité sans vergogne de ces années de trouble, des détails et des preuves impossibles à récuser, il entre dans une ère nouvelle. C'est le véritable règne de Louis XIV qui commence. Le prince est jeune : il est généreux, magnifique, presque populaire. Le peuple taillé jusqu'alors à merci par la noblesse et par la reine, respire un peu ; il est misérable, mais il espère. L'illusion ne sera pas de longue durée. Au système d'intimidation persuasive, de basses intrigues, de cauteleuses machinations, employé jusque-là par Mazarin, succède un despotisme implacable, fruit d'un orgueil insensé. Plus de lois, plus de coutumes, plus de justice; la volonté du roi tient lieu de tout. C'est le triomphe de l'adulation et du bon plaisir.

Avec le temps, le désordre, l'injustice et la misère prennent les plus effrayantes proportions. Mme de Maintenon elle-même, sur laquelle à tort ou à raison on veut rejeter, pour l'honneur de Louis XIV, une bonne part de ces infamies, s'indigne et gémit dans le particulier. En 1698, au moment où l'épuisement des finances touchait presque à son dernier période, elle se plaint « qu'on fait encore un corps de logis. Marly sera bientôt un second Versailles. Je n'ai pas plu, dit-elle, dans une conversation sur les bâtiments. Ma douleur est d'avoir fâché sans fruit. Il n'y a qu'à prier et à souffrir; mais le peuple que deviendra-t-il? »

Et M. Bonnemère ajoute: « Lorsque au nom de la politique non moins qu'au nom de la religion, la fondatrice de Saint-Cyr lui demandait de l'argent pour les pauvres, il répondait sèchement. « Un roi fait l'aumône en dépensant beaucoup ! Il spoliait ses peuples pour gorger d'or ses courtisans, il gaspillait tout en dépenses superflues, en travaux qui ne profitaient qu'à un petit nombre d'êtres parasites, et dans son orgueil il se flattait de maintenir ainsi la prospérité dans ses Etats, lorsqu'il ne faisait au contraire

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