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qu'établir la ruine en principe et la réaliser en mettant en pratique ses ineptes théories. >

Tel est le ton général du livre de M. Bonnemère, et les faits qu'il cite, malheureusement trop nombreux, autorisent cette chaleureuse indignation. Je crois cependant qu'une aussi sérieuse étude sur un siècle trop vanté, eût gagné à supprimer le plus possible la dureté et la véhémence du commentaire, à laisser parler d'elle-même la muette éloquence des événements. Je crois aussi que M. Bonnemère, censeur convaincu de l'immoralité du dix-septième siècle, croit un peu trop naïvement peut-être à la vertu du dix

neuvième.

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stoire de France; la biographie dans l'histoire. Mme Roland.

La publication posthume des mémoires d'un personnage célèbre ramène sur lui l'attention publique et livre sa vie tout entière, pendant quelques mois au moins, aux discussions des historiens et aux appréciations de la critique. La célèbre Mme Roland a eu particulièrement cette année ce privilége. Deux ouvrages ont paru presque en même temps, destinés à recueillir les souvenirs ou les documents inédits émanés d'elle, ou à ratifier sur certains points ceux que l'on connaissait déjà. Ils ont tous deux pour titre : Mémoires de Mme Roland et sont publiés, l'un par M. Dauban1, l'autre par M. P. Faugère2. Une sorte de conflit s'est élevé entre les deux éditeurs, sur le droit plus ou moins exclusif de l'un d'eux de mettre au jour les manuscrits, les papiers de famille consultés. Cette discussion importe très-peu, surtout à la distance de quelques mois seulement, et il s'agit plutôt de

1. H. Plon. 1 vol. in-8, avec portrait.]

2. Hachette et Cie, 2 vol. in-18.

savoir quelle lumière nouvelle ces révélations apportent que de contester à tel ou tel le droit de la produire.

Grâce à cette double publication, le nom de Mme Roland a tenu, toute cette année, autant de place dans les études historiques et littéraires de la presse périodique que celui de Mme Swetchine, pendant les deux ou trois années précédentes. J'avoue que pour ma part j'attache un intérêt bien plus grand aux Mémoires de Mme Roland, qu'aux récits posthumes de cette présidente d'un petit club aristocratique, femme à l'esprit étroit, dévote au cœur sec, dont on a voulu faire après coup un écrivain de génie et une sainte. Mme Roland est jetée dans une mêlée ardente d'intérêts, de passions, d'orages. Sa vie intime touche au roman, sa vie publique est un chapitre d'histoire, sa mort courageuse a quelque chose du martyre.

Les côtés les plus intéressants de cette existence si agitée sont précisément ceux qui sont mis en lumière par les nouveaux Mémoires. Mme Roland a passé tour à tour par le rêve et par l'action, ou par l'un et l'autre à la fois. La préoccupation des affaires publiques n'a pas tué chez elle le sentiment, elle lui a fourni un aliment de plus et a offert à son cœur l'occasion de luttes nouvelles entre la passion et le devoir. Ses mémoires nous la montrent, presque encore enfant, s'initiant à la pensée philosophique du dix-huitième siècle, et se pénétrant de la littérature émue, mais un peu déclamatoire de son temps. Portée par goût et par habitude à réfléchir sur elle-même et à observer les autres, elle se rend compte de tous ses mouvements intérieurs et prend plaisir à peindre les hommes par les impressions qu'ils excitent en elle. Ses notes et ses lettres sont remplies d'analyses psychologiques et de portraits. Mais le portrait qui ressort entre tous les autres est le sien. Elle se peint avec une sincérité naïve, malgré une certaine emphase de sentiment et de langage qui est comme le cachet de l'époque.

HISTOIRE.

GÉOGRAPHIE. VOYAGES.

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Bien des hommes politiques lui font cortége, et nous apparaissent dans son cercle avec des traits qui caractérisent bien leur physionomie historique. Deux surtout se détachent de la foule et représentent, de chaque côté de Mme Roland, deux idées différentes qu'elle s'efforçait de concilier : c'est Roland son mari, objet d'un attachement plus respectueux que tendre, et Buzot, l'ami sympathique, objet d'une affection exaltée, contenue non sans peine par une raison supérieure. Ces luttes morales et secrètes se déroulent à nos regards curieux au milieu des luttes bruyantes et sanglantes d'une terrible époque. Les Mémoires de Mme Roland, mêlant à la réalité des choses qui appartiennent d'ordinaire au domaine de la fiction, devaient fournir naturellement à la critique un beau motif de plus à l'étude de ce qu'on appelle le roman dans l'histoire.

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Géographie et voyages. Exploration de notre pays; innombrables renseignements sur les communes de France.-M. Ad. Joanne.

Voici un livre dont le titre et le prospectus promettent beaucoup, ce qui n'est pas rare, mais dont l'exécution, ce qui est plus rare, tient et surpasse toutes les promesses. On nous annonce près de cinq mille colonnes de texte, contenant, en quelques centaines de milliers de lignes, un million de renseignements: c'est beaucoup dire, et c'est sans doute trop peu. Il suffit d'ouvrir le livre au hasard pour voir que, grâce à l'économie des abréviations et à l'habileté consciencieuse avec laquelle les indications uniformes et courantes sont groupées, un grand nombre de lignes offrent jusqu'à cinq ou six notions intéressantes ou utiles. Tout ce que la géographie peut nous apprendre d'élémentaire sur une contrée, une ville, un cours d'eau, etc., position, étendue, forme, limites, population, produits, relations de voisinage, état

présent, transformations passées, souvenirs historiques, etc., tout est là, dans un résumé précis, complet, sobre de mots, plein de choses, sous le nom de chacune de nos 37 500 communes de France, sous celui de chacun des fleuves ou filets d'eau qui les arrosent.

Cette masse énorme de renseignements, puisés aux sources ou vérifiés d'après les informations les plus sûres, est ce qui frappe d'abord dans le Dictionnaire des communes de la France. En le feuilletant, chaque lecteur court aux noms des lieux qu'il connaît particulièrement, et il est étonné de trouver, en quelques lignes, des notions qui répondent à ses propres souvenirs, qui les précisent d'ordinaire, qui les complètent le plus souvent. Voici, d'après les derniers recensements, la population des plus grandes villes et des moindres agglomérations; voici l'état de l'industrie, le tableau du commerce, les produits du sol, l'énumération des établissements publics ou des plus importants établissements particuliers; voici la vie de chaque localité exprimée en faits positifs, en chiffres. Consultons et vérifions, dans la mesure de nos plus sûres informations personnelles, et nous serons émerveillés de trouver, sur les points que nous connaissons le mieux, tant de précision et d'exactitude.

Ces deux mérites devaient être les premiers, dans un tel ouvrage; ils ne sont pas les seuls. M. Ad. Joanne a d'abord voulu faire, de son Dictionnaire des communes, un livre à consulter, un livre utile, et il y a réussi. A-t-il voulu en faire un ouvrage à lire, qui attache, qui intéresse, qui retienne, par un charme élevé, celui qui venait y chercher seulement un fait, un renseignement, un chiffre? Je n'en sais rien; mais si telle a été son intention, elle a été pleinement réalisée dans certaines parties. A côté de ces indications pour ainsi dire matérielles que comprend le squelette de tout répertoire géographique, on trouve dans le Dictionnaire des communes une foule de notions qui se rapportent à la physionomie même de chaque pays et sont comme le

reflet de la pensée, de l'activité, du caractère du peuple qui l'habite. Toute la statistique de la France est là, éparpillée ou plutôt distribuée avec intelligence dans des milliers d'articles; elle est là, avec ses groupes ingénieux de chiffres qui donnent lieu à tant de rapprochements piquants, à tant de comparaisons instructives; elle est là avec toutes ces relations. fixes ou régulièrement changeantes qui révèlent dans les lois de la vie nationale de la France, les lois mêmes du développement de l'humanité.

Il y a bien des voyages à faire, en imagination et au hasard de l'alphabet, avec le secours du Dictionnaire des communes de la France voyages de curiosité, voyages d'instruction, voyages de ressouvenance, voyages de méditation philosophique. Sans sortir de mon fauteuil, je cours, au gré de ma fantaisie, à travers tous les lieux que j'ai connus, habités, aimés, à travers ceux où mes sentiments, les relations de la vie appellent le plus souvent ma pensée. J'en retrouve ou j'en apprends les traits principaux, tels que les livres de géographie les plus exacts ou les récits de voyage les plus fidèles peuvent les reproduire. Telle est l'alliance des qualités que M. Ad. Joanne nous a habitués à retrouver dans ses Itinéraires et ses Guides: aux détails, aux renseignements, d'une précision technique, il joint la représentation assez pittoresque des lieux et des monuments. Pour prendre un exemple entre mille, après nous avoir donné, sur une petite ville des bords de l'Indre, toutes les indications géographiques, administratives, civiles, militaires, commerciales, agricoles, manufacturières, géologiques, etc., il ajoutera :

<< Loches, dit-il, est une des villes les plus pittoresques et les plus intéressantes de l'intérieur de la France. Bâtie sur la rive gauche de l'Indre, dans une large vallée où la rivière se divise en plusieurs bras, et réunie par une longue ligne de ponts et de maisons à la ville de Beaulieu, elle s'est groupée autour d'un rocher que couronnent sa collégiale,

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