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rait difficile d'en citer une en entier, mais on y trouverait un certain nombre de stances qui ne sont ni pires ni meilleures que beaucoup de poésies imprimées dans la capitale, M. Henri Dottin répète en vers les plaintes tant de fois exhalées de toutes parts contre l'indifférence de notre épo-que en matière de poésie. Il croit que tout conspire contre la littérature, à une époque où règne la fièvre des spéculations et des affaires.

A MON JOURNAL.

O toi qui chaque matin.
Accours frapper à ma porte,
Voyons un peu ce qu'apporte
Aujourd'hui ton bulletin.

Est-ce la paix ou la guerre?...
Mais mon esprit peu profond
A ton article de fond

Souvent ne s'arrête guère.

Puis, voici de l'étranger
Venir plus d'une nouvelle;
Ce grimoire en ma cervelle
A du mal à se loger.

De tes faits divers la page
M'allèche pour un moment;
Oh! quel désappointement
La réclame y fait tapage.

Si je me laissais séduire
Par tes filandreux romans,
A de longs abonnements
Cela pourrait me conduire;

Aussi, je m'en garderai,
Et, pour dernière ressource
Cherchant du style, lirai
Le bulletin de la Bourse.

Dans la Revue des Provinces, organe de décentralisation littéraire, dirigé par M. Ed. Fournier, j'ai vu citer sous ce titre général, les Livres de la province', un certain nombre de recueils de vers. Écrits dans les départements, plusieurs s'éditent à Paris, et me sont déjà tombés sous la main; un certain nombre sont vraiment provinciaux, et les auteurs se font un honneur de publier leurs poésies au lieu même où elles sont écloses. C'est encore un symptôme de cette tendance à la décentralisation littéraire qui a contre elle un courant général tout-puissant.

Parmi ces vers venus de la province, j'en trouve quelques-uns qui valent bien ceux de Paris. Ainsi je vois mettre justement à côté des Passiflores de la baronne de Montaran qui se fait éditer par la librairie Didier, les Fleurettes de M. Edmond Febvre qui n'a d'autre éditeur que l'imprimeur voisin. Cela n'empêche pas qu'on ne puisse citer quelquesuns de ces vers, ce qui est la meilleure manière de les louer. Voici, par exemple, une jolie épigramme, en douze vers, contre l'intolérance:

Je voudrais être assis au haut de la montagne.
Sur un âpre rocher d'où l'on vit l'univers;
Je voudrais à mes pieds voir, rivé comme au bagne,
Le genre humain maudit tout ployé sous ses fers!
Je voudrais voir au loin sous mon trône superbe,
Ramper le front royal des antiques cités,

Et les fils des humains, frissonnant comme l'herbe,
Hurler au souvenir de leurs iniquités!

Et moi, je serais juge, et mon regard terrible,
Portant dans tous les cœurs un jour éblouissant,
Je les jetterais tous, palpitants, dans un crible:
L'enfer prendrait l'ivraie, et le ciel le froment. »

Ainsi parlait un jour un saint homme en colère.
Dieu, souriant, lui dit : « Petit, laisse-moi faire. »

1. Livraison du 15 novembre 1864.
2. Strasbourg, imprimerie Silbermann.

Les autres recueils de vers que je vois citer avec éloge, comme venant de province, ont du bon sans doute; mais je n'en vois reproduire aucun extrait. Je veux croire que les Heures de loisirs de M. P.-A. Génicot, imprimées à Reims, ou les Rimes Provinciales, publiées à Bordeaux par M. Amion-Faure, ou les Rhythmes et Refrains de M. Paul Ristelhuber, de Strasbourg, ou les trois volumes simultanés de M. A. Ducom, de Toulouse (Essais poétiques, Bluettes, Ine maison d'hiver), peuvent soutenir la concurrence, peu écrasante d'ailleurs, des poésies parisiennes de naissance ou par élection de domicile.

Malheureusement pour la poésie, elle a, dans tous les départements comme dans celui de la Seine, à se débattre contre la même ennemie, l'indifférence pour la beauté littéraire dont le vers a été si longtemps la forme la plus goûtée; mais s'il se produit un retour des esprits vers les choses poétiques, ce mouvement sera le même dans le pays tout entier. Car répétons-le: Il n'y a plus, en littérature, comme dans l'art, comme en toutes choses, de provinces ni de capitale; il y a toute la France qui vient concentrer à Paris ses forces vives, pour en faire ensuite rayonner l'action sur elle-même et sur le monde.

9

Le vers français à l'étranger: la poésie de parti en Belgique.

A en juger par le livre que voici, parvenu, depuis un an déjà, à sa quatrième édition, nos voisins les Belges auraient le goût du vers français plus que les Français eux-mêmes. Quel est le volume de vers imprimé à Paris depuis une vingtaine d'années qui ait eu les honneurs de ces éditions multiples? Il est vrai que chez l'auteur, M. Benoit Quinet, le culte de la poésie ne paraît pas être la première préoccu

pation; il ne sacrifie pas aux muses pour elles-mêmes, il voit dans le langage rhythmé un instrument de propagande politique, philosophique et religieuse, une arme de polémique: Dantan chez les Contemporains illustres1 n'est qu'une suite de satires où les questions sociales modernes sont abordées de front, où toutes les idées chères à un parti sont défendues contre leurs adversaires.

M. Benoit Quinet est, dans son pays, catholique et conservateur. On sait qu'en Belgique les questions religieuses et politiques sont plus intimement mêlées que chez nous et que dans les luttes des partis, à la chambre, devant les électeurs, dans les journaux, partout, la religion est un drapeau. Elle est celui de l'auteur de Dantan, et une foule de dogmes politiques modernes que les publicistes français ne mettent pas nécessairement en opposition avec elle, sont ici pourchassés en son nom. Aux yeux de M. Benoit Quinet, le progrès, la liberté, l'égalité, la fraternité, le socialisme, le communisme, l'anarchie proudhonienne ne sont que des nuances d'une même erreur dont la Révolution française, celle de 1789, a été l'explosion et dont la Terreur, en 1793, a été la conséquence fatale; les secousses de la société et des trônes, dans toute l'Europe, en 1848, en ont encore été le contre-coup. 1848 et 1793 sont, pour l'auteur de Dantan, deux dates funèbres, et sa haine de poëte politique n'épargne aucun des noms qui ont été mêlés aux œuvres de ces maudites années.

La satire de M. Benoit Quinet ne reste pas générale, comme celle des poëtes moralistes; elle est personnelle; elle prend à parti les hommes; elle les cite à comparaître devant elle, par leurs noms; elle dresse leur acte d'accusation, elle les condamne par coutumace, elle les exécute en effigie. Et je ne parle pas des acteurs des drames révolutionnaires de 1793; leurs noms appartiennent au passé, leurs actes ont

1. Mons, Manceaux, gr. in-8.

été tant de fois jugés par l'histoire, que la poésie peut s'en emparer à son tour et leur jeter l'anathème, si la conscience. l'inspire ainsi. N'est-il pas convenu que l'on doit des égards aux vivants, mais que l'on ne doit aux morts que la vérité ?

L'auteur de Dantan chez les Contemporains illustres met les morts et les vivants sur la même ligne. Il exerce sa verve conservatrice aux dépens de MM. Louis Blanc, Barbès, Proudhon, Ledru-Rollin, Béranger, Lamartine et d'une foule d'autres acteurs de la révolution de 1848, avec la même liberté que s'ils étaient allés rejoindre dans la tombe leurs ancêtres de la première Révolution française. Aristophane, que M. Benoit Quinet met en scène dans sa première satire, avait plus de vigueur, mais il n'avait pas plus de franchise. Sans vouloir ni pouvoir discuter dans ce livre les violents griefs du satirique belge contre ces hommes. atteints depuis par la disgrâce et par l'exil, nous croyons que leurs noms n'auront pas beaucoup à souffrir de cette poésie exotique déchaînée contre eux. Les actes des hommes politiques des temps modernes se jugeront par d'autres documents, et l'avenir ne tiendra plus guère de compte des satires que des apothéoses.

Parmi les hommes que je viens de nommer, M. Lamartine n'est pas seulement condamné comme homme politique, il est aussi jugé comme écrivain, ainsi que Chateaubriand, ce socialiste d'outre-tombe. M. Quinet unit ici, dans ses jugements, avec la sévérité, l'indépendance et le bon sens. Il a fait une analyse assez piquante du Raphaël de notre grand poëte, et cette analyse en est, à elle seule, la critique. Voyez cette jeune fille qui se sent trop malade pour se laisser séduire :

« Mon ami, restons purs.... ou je meurs!» disait-elle.... Et moi je respectais sa noble chasteté.

C'est si beau la vertu par raison de santé.

Tous les vers de Dantan chez les Contemporains illustres

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