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triste exemple. Il veut que nous sortions des temples païens avec nos femmes, nos enfants et nos amis. Il nous dirait volontiers, s'il se permettait des réminiscences littéraires :

Rompez, rompez tout pacte avec l'impiété.

On accusera M. Larroque de fanatisme. Il pourrait répondre par l'exemple des anciens chrétiens qui protestaient d'une façon autrement énergique contre les dogmes et le culte du passé. Ils n'allaient dans les temples que pour insulter aux cérémonies; ils approchaient des autels pour les renverser, des idoles pour les briser. Leur zèle de néophyte s'emportait à des actes qui seraient passibles aujourd'hui de la police correctionnelle.

M. Larroque est infatigable dans sa lutte contre les préjugés ou les erreurs qui touchent aux choses religieuses. Les questions de fait ne doivent pas plus admettre de transactions que les questions de principe, et l'histoire le trouve aussi inflexible que le dogme. De là son livre de l'Esclavage chez les nations chrétiennes. Il est, en effet, une question d'histoire religieuse que l'on s'est habitué à résoudre dans le sens de l'orthodoxie. C'est celle de l'abolition de l'esclavage et de ses rapports avec l'établissement des sociétés chrétiennes. On fait d'ordinaire honneur au christianisme de la transformation puis de la destruction de cette antique institution si contraire à la dignité humaine.

Des ouvrages pleins de savoir et de talent, et honorés de toutes les récompenses académiques, comme l'Histoire de l'esclavage dans l'antiquité de M. Vallon, ont développé complaisamment la thèse de l'influence des doctrines évangéliques sur l'affranchissement des esclaves. M. Larroque soutient que cette thèse est sans aucun fondement, et il entreprend de montrer par des textes formels, puis par des exemples historiques, ces deux choses: 1° que la religion chrétienne ne condamne point en principe l'esclavage;

2o que la religion chrétienne n'a point, de fait, aboli l'esclavage.

La vérité des dogmes, la divinité de l'institution ne sont pas mises en cause cette fois. Il s'agit seulement d'histoire, et il faut convenir que M. Larroque appuie sa thèse d'un grand nombre de documents et qu'il les met en œuvre par une argumentation très-serrée. Peut-être aurait-il dû ne pas craindre de rappeler quelques-uns des faits qui semblent favorables à la thèse contraire, sauf à les interpréter et à les rapporter non pas à l'influence de telle doctrine religieuse particulière, mais aux lois générales du progrès de l'humanité. Il y a toujours chez nos adversaires la part du bien qu'il faut reconnaître, tout en montrant qu'on ne peut en faire honneur à leurs principes.

5

L'esprit français et l'esprit allemand devant la question religieuse. Le Dr Karl Hase.

L'esprit de critique appliqué à l'histoire religieuse ne s'attaque pas seulement avec éclat au fondateur même du christianisme; il ne se borne pas à soulever les questions générales, relatives à l'authenticité des monuments primitifs, l'Évangile ou les livres des Apôtres, il poursuit son œuvre d'investigation curieuse sur les hommes et les institutions de toutes les époques qui représentent un mouvement religieux remarquable. Comme œuvre de critique historique et religieuse, j'ai lu avec intérêt un livre qui n'a pas été signalé autant qu'il le mérite par la presse philosophique et littéraire. C'est une monographie intitulée : François d'Assise, étude historique d'après le docteur Karl Hase, professeur à l'Université d'Iéna, traduite librement par M. Charles Berthoud1.

1. Michel Lévy, in-18, 208 pages.

Cet ouvrage, peu étendu, de l'auteur d'une très-savante et très-impartiale Histoire de l'Église, suffirait à lui seul pour bien marquer la différence entre l'esprit critique des Allemands et le nôtre. A coup sûr, le docteur Karl Hase n'aurait jamais écrit la Vie de Jésus, mais M. Renan écrirait encore moins l'Histoire de l'Église ou simplement une vie d'un saint comme François d'Assise. Il est curieux de voir la science et la conscience aux prises avec le sentiment et la raison. L'historiographe de saint François d'Assise a une peur égale de rejeter légèrement un fait fondé sur des témoignages historiques ou d'accepter comme merveilleux des phénomènes naturels de physiologie ou de psychologie.

Il y a bien des personnages dans François d'Assise : il y a l'homme et le saint; il y a l'humble mendiant et le fondateur d'un ordre puissant; il y a l'apôtre, et le thaumaturge. Le docteur Hase ne recule devant aucune des obscurités de cette vie, si pleine de vertu et de fanatisme, de bonnes œuvres et de miracles suspects. Il discute, avec un sérieux que l'esprit français ne garderait pas aussi longtemps, des aventures merveilleuses où les exagérations de la légende ont eu pour base l'hallucination et le rêve. François d'Assise, par la confiance que sa sainteté inspirait, a exercé autour de lui, dans une mesure difficile à déterminer, cette influence réelle et incompréhensible de la foi qui sauve. Il a guéri toutes les maladies, redressé les boiteux, fait marcher les paralytiques, chassé les démons, rendu la vue aux aveugles, la parole aux muets, enfin la vie aux morts. Un de ces cantiques de rituel qu'on appelle proses, résumait en assez mauvais latin, suivant l'ordinaire, toutes ces merveilles :

Fit obliquus per hunc rectus
Et qui ligno fuit vectus
Redit absque baculo.

Qui repebat super pectus

Firmus vadit et erectus
Ejus adminiculo.

Per hunc cæcus intuetur.

La légende, consacrée par la cour de Rome, se grossi d'une foule d'embellissements populaires. Tout ce qui arrive d'heureux, toute guérison inattendue, tout hasard favorable est attribué à l'action bienfaisante du saint. Le docteur Hase ramène ces effets d'une assistance miraculeuse à leur mesure raisonnable, puis il ajoute : « Quant à ceux de ces miracles qui sont en contradiction évidente avec les lois divines de la nature, tous manquent d'une base historique. suffisante. Et voilà notre savant professeur, discutant la valeur historique de tous ces prodiges qui dépassent les signes mêmes de Jésus-Christ. » Bon docteur! ne pourriezvous pas mieux employer votre temps et votre science? Que nous fait un peu plus ou un peu moins d'authenticité dans tous ces récits de légende dorée, où l'imagination et la foi font bon marché de la vérité? Discuter des merveilles puériles, comme celle de la barque qui se dirige sans rames, s'arrête quand il le faut, et revient quand il le faut au rivage, c'est faire trop d'honneur à ceux qui les racontent.

Les miracles intéressants pour la science sont ceux où des phénomènes extraordinaires, quoique naturels, manifestent. l'influence mystérieuse de l'esprit sur le corps. M. Hase s'attache avec raison aux récits du phénomène des saints stigmates dont François d'Assise a été le principal, sinon le premier héros. Le séraphique, comme on appelait ce saint, brûlait d'être transformé à la ressemblance du Christ. Une vision lui apprit que son vœu allait être exaucé, et il s'assimila son Dieu par une ardeur de l'esprit qui amena le martyre de la chair. Des marques de clous aux pieds et aux mains, une blessure saignante au côté indiquèrent la con

sommation de son crucifiement. Quelques incertitudes se mêlent aux détails de ce phénomène qui n'est pas sans analogies physiologiques, et dont la réalité, ramenée à des proportions modestes, fournirait encore un de ses chapitres les plus intéressants à la science des rapports du physique et

du moral.

En présence de notre curiosité renaissante pour les questions de l'histoire des religions, M. Ch. Berthoud a bien fait de nous montrer, par une libre reproduction du travail du docteur Hase, comment ces questions sont prises par nos voisins d'outre-Rhin, à la fois plus savants et plus naïfs que nous. Là où le grave Allemand fait avec sang-froid de la critique et, comme il dit, de l'exégèse, on voit le Français, plus mobile, rire en incrédule ou se passionner en artiste, à moins qu'il ne se jette, en fanatique, ce qui se voit encore, dans le mysticisme.

6

La philosophie militante et fantaisiste. Une dernière campagne de M. Michelet. M. Ed. de Pompéry.

Nous avons assez souvent fait connaître dans quelle mesure et avec quels écarts le talent de M. Michelet se déploie dans ses derniers ouvrages, pour n'avoir pas à y revenir à propos de la Bible de l'humanité. C'est encore un de ces livres de fantaisie littéraire, historique, philosophique, dont les premiers ont reçu un si vif accueil et dont les derniers justifient de plus en plus le refroidissement du public et les sévérités croissantes de la critique. Il y a eu souvent à blåmer dans les meilleurs volumes de M. Michelet: on peut encore trouver à louer dans les moins bons. Qu'il nous suffise de citer les conclusions de son dernier livre, pour faire

1. Chamerot, in-18.

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