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sur l'organisation de chaque branche de l'enseignement, dépendent de l'objet et du but qu'il convient d'assigner à chacune. Il faut avoir vu d'assez près les choses pour en connaître les détails, il faut les regarder d'assez haut pour en embrasser les rapports. La carrière suivie par M. Cournot et la nature de son esprit lui assurent ce double avantage. Son livre des Institutions d'instruction publique en France, est un de ceux dont tout le monde doit tenir compte, même ceux qui n'en adoptent pas toutes les conclusions.

Quand les philosophes descendent dans l'arène des questions à l'ordre du jour, ils rattachent les débats aux principes que les intérêts ou les passions des partis font aisément perdre de vue. Leur parole donne alors toute l'autorité de la raison à des thèses qui n'avaient jusque-là pour elles que la faveur d'une opinion politique. M. Jules Simon, sorti, depuis douze ans déjà, des rangs de la philosophie universitaire, avait fait voir dans son beau livre de la Liberté, selon nous son meilleur ouvrage, tout ce que la politique peut gagner par son alliance avec les sciences morales. Depuis, son éloquent plaidoyer de l'Ouvrière, et ses discours au Corps législatif ont achevé de prouver combien le philosophe se fait heureusement sentir sous l'économiste et l'homme d'État. Un nouveau plaidoyer, l'École , nous montre aujourd'hui M. Jules Simon aux prises avec une des questions les plus difficiles de la politique contemporaine, celle de l'instruction obligatoire.

Quelque spécial que paraisse un sujet, traité par un esprit aussi large et aussi élevé, il met en cause les principes sur lesquels repose la science de l'homme. Les questions sociales réclament souvent la solution préalable de la plupart des questions morales, psychologiques, métaphysiques et religieuses. Le droit et le devoir dominent toutes les relations

1. Librairie internationale, in-18.

des hommes entre eux et se rattachent eux-mêmes à tout un ensemble d'idées sur notre nature et notre destination. Le problème de l'enseignement populaire, et des devoirs qu'il impose à la société, dépend des droits que la raison reconnaît à l'individu. Un livre consacré à élucider cette question contiendra donc, au moins implicitement, tout un traité de philosophie, morale. C'est le premier caractère de l'École la philosophie spiritualiste s'y reconnaît sous ses meilleurs aspects.

L'École se fera pourtant plus remarquer encore comme un manifeste habile et éloquent en faveur de l'instruction primaire obligatoire. M. Jules Simon établit, en droit, que l'instruction du peuple est nécessaire à l'intérêt de la société comme à la dignité de l'individu, puis il montre, en fait, qu'elle est encore, en France, dans un état de déplorable insuffisance. Il croit que le seul remède au mal actuel est d'imposer l'instruction primaire aux familles, et il s'attache à prouver tour à tour la nécessité, la légitimité, la possibilité de cette obligation. Il appelle à son aide toutes les ressources de la science et du talent. Il déroule les chiffres de la statistique, les analyses de la psychologie, les principes de la morale, les enseignements de la science économique, et anime tout cela par les entraînements de l'éloquence.

Son argumentation repose sur ce principe que le père doit à ses enfants l'éducation, dans ses éléments essentiels, c'està-dire la nourriture de l'esprit comme celle du corps. A défaut de la famille, négligeant un tel devoir ou hors d'état de le remplir, la société doit à l'enfant l'instruction de première nécessité, comme elle doit le premier soutien de la vie matérielle à l'orphelin. La gratuité des écoles ne suffit pas; il faut forcer le père à l'accomplissement d'un devoir qui répond à un droit sacré. La fameuse maxime du Compelle intrare, inadmissible partout ailleurs, est ici de toute rigueur. L'instruction est à la fois un devoir et un intérêt social avec lequel on ne peut transiger.

Je ne veux pas discuter ici, en passant, une question si grave et trop étrangère à nos études; je ne chercherai pas si une solution, vraie absolument, n'est pas susceptible, dans la pratique, de transactions et d'atermoiements, s'il ne faut pas tenir plus de compte des répugnances d'un temps et d'un pays, même quand on a pour soi les principes, si les avantages attendus d'un système philosophiquement supérieur, ne seraient pas compensés par des inconvénients immédiats. et des dangers pour l'avenir. La plus grande séduction de la thèse de M. J. Simon est, selon moi, de l'avoir trouvé pour défenseur.

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Les réflexions et maximes morales de chaque penseur.
Mme Claudia Bacchi.

Les gens qui observent et qui pensent, aiment à résumer leurs impressions sous une forme plus où moins vive. Ils recommencent, pour leur propre compte, l'œuvre éternellement à refaire des Épictète, des Marc-Aurèle, des Pascal, des la Rochefoucault, des la Bruyère. Il n'est pas besoin d'avoir le génie de ces grands hommes pour se faire à soimême son recueil de maximes ou de pensées. La sagacité, le don d'observation suffisent pour trouver la vérité sur l'homme et la société; un peu d'habitude d'écrire, une pointe de malice dans l'esprit ou de l'élévation dans les idées, donnent aux observations de chacun leur empreinte personnelle. J'aime ces recueils de sentences, où l'on retrouve, à défaut d'un écrivain exercé, une âme ayant conscience d'elle-même.

Voici un de ces volumes de maximes, très-peu connu du public, auquel je donnerai d'autant plus un souvenir volontiers que l'auteur, Mme Claudia Bacchi, est morte cette année, quelques mois après la publication de son livre :

c'est presque un testament philosophique. Le mot est bien. grave pour un volume de pensées de femme, présenté sous ce titre léger: Feuilles au vent suivies de Coups d'éventail1. L'auteur s'était surtout fait connaître jusque-là par des recueils de vers qui avaient les qualités et les défauts ordinaires de la poésie féminine; nous avons dit dans quelle mesure se mêlaient les unes et les autres. Le seul moyen de faire connaitre un livre de maximes, est d'en citer quelques-unes. Il n'est pas nécessaire qu'elles soient de tout point admirables pour être utiles.

Les gens qui se moquent d'un livre de maximes sont souvent ceux que l'une d'elles blesse dans le vif.

Quand la philosophie n'équilibre pas, elle renverse.

La femme a quatre âges: celui qui porte son acte de naissance, celui qu'elle se donne, celui que lui infligent ses rivales et celui qu'elle paraît avoir.

Ceux qui affectent de mépriser l'esprit, sont persuadés qu'ils ont du génie.

Un livre donné par l'auteur est un livre que ne lit pas celui qui le reçoit.

La délicatesse est l'élégance de la probité.

Il y a du César, du Pasquin, du Socrate dans une nature complète; c'est le Christ qui manque toujours.

Le respect humain est le seul dieu des athées civilisés.

C'est louer certaines personnes que de dire qu'elles jalousent le mérite d'autrui : c'est les croire capables de l'apprécier.

La dévotion chez certaines natures se borne à croire à l'enfer pour autrui.

Il faut se faire pardonner son luxe par son élégance, et son élégance par sa politesse.

1. Ledoyen, in-18, 208 pages.

2. Voy. Tome III de l'Année littéraire, pages 60-61.

Il en est d'une nation comme des femmes plus elle affiche de pruderie, plus on doit douter de ses vertus. Les époques les plus dissolues sont le plus collet monté.

Toutes ces pensées sont d'un esprit qui sait voir et comprendre. Elles ne sont malheureusement pas de cette justesse ou de cette portée, mais il y a toujours à faire un choix dans un choix, et les choses médiocres ou banales ne doivent pas figurer dans une collection d'échantillons.

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Les omissions involontaires de ce chapitre. Les réimpressions et les mélanges.

M. Ern. Bersot.

Je m'aperçois que mon chapitre des sciences morales et politiques a pris une extension à laquelle je ne m'attendais pas. Et cependant je suis loin d'avoir épuisé la liste des livres notables, à certains égards, qui appartiennent aux différents départements des sciences morales et politiques. Qu'il me suffise d'avoir marqué les divisions de ce vaste domaine et indiqué les directions principales suivant lesquelles se meut de nos jours la pensée philosophique. Je laisse à regret un certain nombre de livres que recommandent le nom de leurs auteurs, le talent de la forme ou l'intérêt des problèmes. Ils se rattachent d'ailleurs aux mouvements d'idées signalées dans nos précédents paragraphes.

J'aurais voulu, par exemple, si l'espace me l'eût permis, faire voir comment, dans un « poëme philosophique, » la Grève de Samarez1, M. Pierre Leroux reste fidèle à ses anciennes théories théologico-humanitaires, qui sont celles d'un maître sans disciples. M. l'abbé Bautain, d'un autre côté, nous aurait montré, dans sa Philosophie des lois au point

1. Dentu, t. I et II.

2. Didier. in-8.

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