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divers régimes: vive le roi, ou vive l'empereur, ou vive la république, qui nomme les officiers de marine!

Notre officier de marine du coupé allait à Paris pour voir le seul prince de la famille royale qui eût à Brest quelque noto riété, non parce qu'il était prince, mais parce qu'il était officier de marine. J'appris ici que les cendres de Napoléon avaient fait beaucoup d'effet à Paris, par la raison que la marine les y avait apportées. En arrivant à Rennes, le mot marine me battait le crâne comme un marteau de couvreur. J'avais encore pourtant deux jours et deux nuits à passer en tête-à-tête avec la marine.

Le vieux monsieur ronflait, l'heureux mortel. Toute cette marine passait sur lui sans l'offenser. Aux portes d'Alençon j'avais une migraine furieuse; à Chartres j'aurais voulu me changer en brûlôt pour incendier la flotte française.

On ne peut que féliciter l'auteur d'Annette Laïs d'être revenu à ses souvenirs bretons. Le culte des traditions nationales l'a bien inspiré.

Il est difficile aux romanciers de profession d'inventer de nouveaux éléments d'intérêt; ils ne peuvent qu'en diversifier les combinaisons, et le besoin de variété les conduit plus d'une fois à des accouplements qui n'ont pas pour eux la vraisemblance. M. Paul Féval convient lui-même qu'il n'a pas évité cet inconvénient dans le nouveau roman de Roger Bontemps. Son histoire commence à Paris, et revient s'y dénouer, après avoir eu l'Australie pour théâtre de ses complications inattendues.

Roger est un clerc de notaire qui n'aime pas les aventures, et qui, sur le point de traiter d'une étude et de faire un riche mariage pour la payer, veut rompre une relation de jeunesse. Entre le quartier du Luxembourg où il a fait ses adieux à la jolie et douce Nanette, et le quartier de la Madeleine où il doit signer l'acte de vente et son contrat, il rencontre un ancien ami de collége qui le précipite dans des

1. Hachette et Cie, IV, 456 pages.

aventures mystérieuses et terribles. Il prend part, dans la banlieue de Paris, à des aventures dignes des flibustiers mexicains. La plume de Cooper suffirait à peine à retracer les chasses à l'homme de ces Mohicans de la Seine.

Mais il faut les voir, dans l'Océanie à la poursuite de leur fameuse tonne d'or. Tout ce que la fièvre du jaune métal peut jeter de violences dans le mélange de la civilisation européenne et de la vie sauvage se retrouve ici : les enlèvements, les surprises, les poursuites, les attaques à main armée, les ruses meurtrières, les alternatives de victoires et de déroutes sanglantes. Les poignards, les révolvers, les carabines jouent à chaque instant leur rôle. Grâce aux engins de meurtre, perfectionnés par le génie américain, nos aventuriers ressemblent à des volcants ambulants, entourés d'un cercle d'éruptions.

Pour dénoûment, nos héros et leurs héroïnes reviennent à Paris, et sans rapporter la moindre fortune des placers australiens. Mais un oncle à succession, qui n'était jamais allé au pays d'or, laisse à l'entreprenant ami de Roger quelques millions qui arrangent les choses. Les deux camarades de collége épousent les deux femmes qui ont bravé avec eux tant de dangers, et Roger, mari de Nanette, suivant enfin sa vocation, devient un parfait notaire. Il a fait, contre son gré, l'étude buissonnière assez longtemps.

M. Emmanuel Gonzalès possède comme romancier denx sortes de qualités. D'un côté il excelle dans l'emploi de l'élément dramatique ; il sait préparer un coup de théâtre et le faire éclater; il a du mouvement et de la puissance. Nous avons cité les Frères de la côte comme un modèle de ce genre de talent. Il sait aussi, comme MM. Erckmann-Chatrian, peindre la vie réelle dans ses moindres détails, pénétrer dans l'intimité des sentiments, fouiller un caractère, associer, si non substituer l'intérêt de la psychologie à celui de l'action. Il semble avoir voulu réunir ces deux genres différents dans

une de ses compositions romanesques les plus dignes d'être reproduites, les Sabotiers de la forêt noire1.

S'amusant à peindre avant de conter, l'auteur nous met en scène ses différents personnages avec autant de soin que d'habileté. Il tient à nous faire faire avec chacun d'eux une ample connaissance. Mais il n'est pas homme à s'arrêter longuement aux préliminaires de l'action. Il y entre bientôt, il s'y précipite, il embrouille l'intrigue, multiplie les personnages et les péripéties, il noue fortement tous les fils du drame et puis les tranche un à un par des moyens qui appartiennent plutôt au théâtre qu'au roman. On tirerait une grande et belle pièce pour l'Ambigu du livre de M. Gonzalès.

Fritz, sabotier de la forêt et chasseur d'abeilles, est resté après la mort de son père le seul soutien de sa mère et de son petit frère. Il aime Marguerite, la fille de son voisin Melzer, riche usurier de Nordstetten. L'avare ne veut point d'un pareil gendre. Fritz, désespéré, s'engage, laissant en souvenir à sa bien-aimée le plus beau des mais qu'on ait jamais plantés dans le village. Le prix de son engagement a payé cette folie. Sa mère, vieille inspirée, qui dit sincèrement la bonne aventure, s'est opposée en vain à son départ. Elle emploie un moyen extrême et lui fait prendre de l'opium. Le jeune homme dort deux jours et ne se rend pas à l'appel du recruteur. Il est considéré comme déserteur et poursuivi.

Ici l'action se complique à plaisir. Marguerite rachète son amoureux des mains des soldats avec de l'argent dérobé au trésor paternel. Le vieil avare survient et revendique son bien avec colère, mais il se trouve que le trésor avait été découvert autrefois par le père de Fritz qui est mort en le découvrant, et il appartient par moitié à ce dernier. Fritz ne peut faire valoir ses droits. Les soldats l'emmènent et vont le fusiller. Il s'échappe grâce à un stratagème de sa mère et se cache

1. Ach. Faure, in-18, 316 pages.

dans une grotte. Sa mère pour le sauver se précipite dans un gouffre en y entraînant le chef des soldats qui cherchent son fils. Ce serait là un sujet de tableau dans un drame à grand spectacle. C'est celui d'une vignette à effet dans le livre.

Cependant un mendiant a mis le feu aux fermes de Melzer, et Fritz est accusé du crime. Sorti de sa cachette pour manger, il est repris et jeté en prison. Le chef des soldats est revenu de l'abîme, la mère en est sortie aussi. Elle fait échapper le jeune homme. Fritz, caché dans la chambre de sa fiancée, tombe encore une fois aux mains des soldats. Enfin, au passage du Necker débordé, il sauve la vie de ceux qui l'entraînent et le général lui fait grâce. D'ailleurs le véritable incendiaire est retrouvé, et Fritz, entièrement réhabilité peut épouser Marguerite.

Voilà le thème savamment compliqué sur lequel M. Emmanuel Gonzalès s'est atta" é à broder des peintures locales de mœurs et de caractèree.

Deux volumes de nouvelles ramènent le nom de M. E. Gonzalès, sous ma plume. L'un se compose de récits empruntés à l'histoire d'Espagne, et s'appelle les Mignons de la lune1. C'est un genre où la physionomie espagnole du nom de l'auteur lui avait valu dans le principe des succès que son talent de conteur devait ensuite justifier.

L'autre volume, intitulé les Trois fiancées ne compte peut-être pas parmi les titres les plus sérieux du romancier; il est pourtant de ces livres qui font reconnaître la main du maître dans ses moindres essais. Les Trois fiancées ont vraiment quelque chose des qualités puissantes de l'auteur des Frères de la côte, qui mérita, par cette œuvre émouvante, d'être appelé le Cooper français. Peu d'hommes enten

1. C. Vanier, petit in-18, 162 pages.

2. P. Brunet, in-18.

dent comme lui le maniement du drame romanesque, les coups de théâtre, les changements à vue de situations, les dangers extrêmes, les délivrances inattendues. M. Gonzalès pousse l'horreur, la violence d'une crise jusqu'à la limite; puis, lorsque l'attentat est presque consommé, que la victime a le couteau sur la gorge ou le pistolet au cœur, la main coupable est subitement arrêtée ou tranchée par l'intervention d'une providence de roman, qui ne se justifie pas toujours par la vraisemblance, mais qui peut s'en passer grâce à l'émotion produite.

La première des trois nouvelles et, selon moi, la meilleure, le Sauf-conduit de Lucia, nous représente la vie sauvage au milieu de la vie civilisée. La scène se passe en Italie au commencement de ce siècle; le général Mélas oppose la fureur de ses Croates au courage enthousiaste des Français de Masséna, et c'est dans le camp de ces barbares qu'un noble jeune homme va arracher sa fiancée à tous les dangers qui menacent sa vie et son honneur. La Fiancée d'Eric, la seconde nouvelle du recueil, nous fait retrouver des aventures aussi émouvantes dans le monde scandinave; la troisième, le Briseur d'images, évoque les sombres souvenirs des successeurs de Charles-Quint et mêle les émotions romanesques à l'histoire d'une époque intolérante et terrible.

Aux amateurs du grand roman pseudo-historique, rempli avec les hauts faits supposés de personnages plus célèbres que connus, nous recommanderons l'Héritage de Charlemagne de M. Charles Deslys. C'est une sorte d'épopée chevaleresque où les grands preux du siècle de Charlemagne frappent de grands coups et pratiquent de grandes vertus.

Roland est sorti de sa retraite où il était aussi bien caché que dans la tombe. Avec des compagnons aussi héroïques

1. Hachette et Cie, 2 vol. in-18.

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