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a Un second drap funèbre était porté par six coiffeurs, dont la corporation a compté autrefois Jasmin dans ses

rangs.

« Derrière le char s'avançaient les frères de la doctrine chrétienne, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, les PetitesSœurs des pauvres.

α

« Le deuil était conduit par le fils du poëte et les membres de sa famille.

Dans le cortége, qui présentait un déploiement considérable, nous avons remarqué l'élite de la population, et notamment le procureur général, le procureur impéral, l'ingénieur en chef du département, le directeur des contributions directes, plusieurs conseillers généraux, tous les membres de la société d'agriculture, plusieurs officiers de l'armée, de nombreux ecclésiastiques, les ministres du culte réformé. La typographie agenaise était aussi représentée; les typographes, ces aides intelligents et dévoués de quiconque tient une plume.

« L'église Saint-Hilaire avait été tendue de noir. Au milieu de la nef s'élevait un catafalque sur lequel le corps a été déposé. Dans le choeur avait pris place le clergé des quatre paroisses. Une grand' messe a été dite en plain-chant. M. le curé de Saint-Hilaire, qui avait administré au défunt les consolations suprêmes, officiait, assisté de ses vicaires. M. Manec, vicaire-général, a donné l'absoute.

Pendant l'office divin, l'orgue a fait entendre des morceaux de Mozart et le Miserere de Beethoven. Une vive émotion a gagné l'assistance, lorsque tout à coup, au milieu de cette magnifique musique d'un caractère si bien approprié à la cérémonie, ont retenti les airs populaires de la romance de Françouneto et de Me cal mouri, la première œuvre de Jasmin. A ce moment, on eût dit que l'âme du poëte planait sur l'assemblée recueillie.

«

Après l'office, le cortége s'est remis en marche traversant, sur son parcours, les principaux quartiers de la ville,

entre deux rangs pressés d'une population douloureusement muette et respectueuse.

« Au cimetière, la foule était grossie. Toutes les issues regorgeaient de monde. Les restes du poëte ont été déposés dans un caveau provisoire, en attendant le tombeau qui doit les abriter.

Après les dernières prières, en présence d'une foule compacte et au milieu du plus religieux silence, MM. Henri Noubel, Capot, directeur de l'école de Saint-Caprais, et Magen ont prononcé des discours où ils ont retracé la vie laborieuse, modeste, toute dévouée à la gloire littéraire de son pays, qu'a menée Jasmin jusqu'à sa dernière heure.

« Ils lui ont promis, au nom de la ville d'Agen, un monuvement qui consacrera ses vertus et la reconnaissance de sa patrie. »

Nous ne pouvons séparer de la nécrologie littéraire de l'année, le nom d'un homme qui, sans avoir lui-mêrne beaucoup écrit, a exercé une influence considérable sur le mouvement littéraire de ces dernières années. Nous voulons parler de notre honorable et très-regretté éditeur, Louis Hachette, dont l'intelligente et infatigable activité, a donné à la librairie française une impulsion si puissante et suscité dans différentes branches de la littérature tant d'importantes publications.

La mort de M. Hachette a été accueillie dans toute la presse par une touchante unanimité de sympathie et de regrets. D'innombrables articles ont été publiés sur sa vie et ses travaux par les journaux des opinions les plus différentes; nous croyons ne pouvoir mieux faire que de chofsir dans ce nombre, un de ceux qui font le mieux connaître l'homme et ses œuvres : c'est celui qui a été publié dans le Journal des Débats du 3 août par M. Cuvilier-Fleury.

« Une nombreuse assistance composée de parents et d'a

mis, auxquels s'était jointe une foule de personnes appartenant aux professions et aux rangs les plus distingués de la société parisienne, se pressait aujourd'hui dans l'enceinte et aux abords de l'église Saint-Séverin, trop étroite pour la contenir. On y célébrait les obsèques de M. Hachette libraire-éditeur, mort le 31 juillet dans sa maison de campagne du Plessis-Piquet, après une courte maladie qui n'avait pas fait présager une fin si prématurée et si fu

neste.

« M. Hachette (Louis-Hachette François) était âgé de soixante-quatre ans. Jusqu'à cette atteinte récente qu'avait subie sa santé à la suite d'un accident de voyage, il avait conservé toute la fermeté de son esprit dans un corps sain, actif et vigoureux. Il avait toujours été un travailleur infatigable. Dès sa plus tendre enfance, il travaillait; et nous, qui l'avons eu pour camarade de collége, à un âge qui n'est pas celui des résolutions énergiques, nous pouvons lui rendre ce témoignage qu'il était déjà, à dix ans, un écolier excellent, très-raisonnable, très-assidu et très-décidé à la lutte contre les difficultés de la vie.

<< Pour lui, comme pour tant d'autres, les difficultés étaient grandes. Les fées aristocratiques, celles qui donnent la fortune à qui s'est donné la peine de naître, n'avaient pas souri à son berceau. Mais la mâle éducation qu'on recevait alors dans les colléges de l'Université l'avait mis sur la voie des plus grands succès. Élève de l'École normale, licencié en 1822, il eût été un professeur éminent. Arrêté court dans cette carrière de l'enseignement, qui était celle de son goût, il eut l'idée de s'en ouvrir une autre qui s'en rapprochait sans s'y confondre. Avec quelques fonds qui lui furent alors prêtés, il fonda une librairie classique qui, de 1826 à 1850, par l'excellence et la variété de ses publications, devint un des auxiliaires les plus efficaces que l'instruction publique pût avoir. « Je serai professeur à ma manière, » avait dit M. Hachette. Sic quoque do

cebo1 ! C'est ainsi en effet qu'il remettait la main à l'enseignement. C'est ainsi que le libraire continuait le professeur.

« Nous ne voulons que rendre ici un simple hommage d'amitié à la mémoire de M. Hachette. Un de nos amis se chargera de raconter sa vie. Ce sera justice. Cette vie est de bon exemple; un mot l'a résumée le travail. Après avoir établi sa librairie classique sur des bases inébranlables et à l'abri de toute concurrence, on sait l'immense extension que M. Hachette avait donnée à cet esprit d'intelligente et libérale entreprise qui l'inspirait. On sait aussi à quel point son génie industriel était, dans cet ordre de spéculation, original et inventeur. La Bibliothèque des chemins de fer, la grande Collection des Guides dirigée par l'infatigable M. Joanne, les Dictionnaires à spécialité définie, tels que ceux de Bouillet et de Vapereau, combien d'autres entreprises qui témoignent de la diversité féconde de son initiative! Un autre mérite de M. Hachette, un des plus grands à mes yeux, c'est que, parmi tout cet essor de la production commerciale dans sa maison, le commerçant ne fit jamais. tort au lettré; l'éminent scholar dominait l'industriel; l'homme de goût régnait en maître dans ces vastes magasins où une armée de commis obéissait à son impulsion, et qui ressemblaient aux bureaux d'un grand ministère. C'est l'homme de goût qui avait acheté, à un prix considérable, le manuscrit original des Mémoires de Saint-Simon et en avait donné une édition-modèle. C'est le classique éprouvé qui avait eu l'idée tout à la fois de publier une édition de luxe, à prix modéré, des Grands Écrivains de la France, et d'en confier la direction à M. Adolphe Regnier, membre de l'Institut. C'était aussi une preuve de bon esprit et de bon goût que de fonder, pour la défense des intérêts et des méthodes universitaires, cette Revue de l'Instruction

1. M. Vapereau, dans le Dictionnaire des Contemporains, nous apprend que telle était la devise de sa maison.

publique, qu'on appelait justement « le journal de M. Hachette, et que d'y réunir tant de rédacteurs distingués, dont quelques-uns sont devenus (nous en savons quelque chose) des publicistes de premier ordre.

« En résumant tous ces travaux de la maison Hachette, on serait tenté d'y chercher la part de son étoile presque autant que celle de son mérite; car il avait réussi à tout, et la situation supérieure qu'il s'était faite semblait, au premier abord, en disproportion avec les efforts d'un seul homme si le bonheur ne s'en fût mêlé. En fait, M. Hachette n'a été heureux que dans la mesure de son habileté même; il a eu l'habileté d'un honnête esprit, d'une pensée bienfaisante et d'un cœur libéral. Les nombreux ouvriers qui, venus des ateliers de typographie de Paris, assistaient aujourd'hui à ses obsèques, prouvaient bien par leur présence qu'il avait obtenu la vraie popularité, celle des hommes vraiment bienfaisants, sans la chercher. Le peuple aime naturellement ceux qui font de bonnes affaires par de bons moyens; il y trouve toujours plus ou moins sa part. M. Hachette avait été, pendant longtemps, l'unique artisan de sa fortune; et quand plus tard, tout autour de lui, parmi ses collaborateurs et surtout dans sa famille, il trouva tant d'u tiles auxiliaires de son action (désormais assurée de lui survivre), le plus difficile était fait. M. Hachette résume dans son nom et dans sa vie la puissance du génie industriel associé à la culture de l'esprit et à un travail assidu. C'est par la réunion de ces qualités qu'il a réussi dans une des branches les plus délicates de l'industrie moderne; car il est plus difficile de débiter de bons livres que de bons chapeaux. Ajoutons qu'à la distinction de l'esprit M. Hachette a toujours allié une extrême indépendance de caractère. Il a eu des collaborateurs qui sont devenus députés, sénateurs, quelques-uns ministres, il n'a rien demandé à leur crédit ou à leur puissance; il n'a gardé que leur amitié.

« M. Hachette laisse de profonds et douloureux regrets à

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