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son de l'Empereur et des beaux-arts et composée de trente membres, dont dix seront choisis dans le sein de l'Académie des beaux-arts.

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Une Réception à l'Académie française.

Les élections de l'Académie française sont toujours de gros événements pour l'opinion publique, et la réception des nouveaux immortels est comme une première représentation des plus recherchées. La politique, du reste, n'est jamais étrangère aux luttes du scrutin ni aux joutes oratoires des solennités académiques. Quand le fondateur du nouvel ordre des Dominicains, le R. P. Lacordaire, était reçu, il y a quelques années, par l'un des pères du protestantisme, M. Guizot, l'Acacadémie française et son public présentaient assurément un des plus curieux spectacles de la société moderne, ce qu'on peut vraiment appeler un signe du temps.

La réception qui a eu lieu cette année du successeur de Biot, de M. de Carné, par le doyen d'âge de l'Institut, M. Viennet, n'offrait pas un attrait aussi passionné. Cependant l'exclusion systematique et bruyante du savant M. Littré, pour causes d'opinions sociales et religieuses, faisait au candidat préféré une position délicate, et l'on devait voir encore une fois, dans la pacifique enceinte de l'Académie, la lutte toujours renaissante du passé contre le présent, des fils de Voltaire contre les fils des Croisés.

Nous empruntons à la Revue de l'Instruction publique, le récit de cette séance caractéristique, récit attribué à une plume spirituelle, que les habitués du journal ont dû reconnaitre sous une signature apocryphe.

« L'élection de M. de Carné à l'Académie française a fait

grand bruit dans le monde, parce qu'elle était l'exclusion d'un écrivain éminent, d'un savant de premier ordre, devant qui les portes semblaient s'ouvrir d'elles-mêmes et qu'un coup, nous ne disons pas de Jarnac, à Dieu ne plaise, a fait trébucher sur le seuil du temple. M. de Carné a profité de cet incident imprévu et regrettable. Sa réception aura aussi du retentissement, et elle le devra moins au récipiendiaire lui-même qu'au vétéran académique qui lui a donné l'accolade.

« La journée du 4 février a été bonne pour les hommes des anciens jours. A son entrée dans l'hémicycle réservé, M. Thiers a été salué par de longs applaudissements, et à la fin de la séance, M. Viennet a obtenu un véritable triomphe oratoire, grâce à la vivacité juvénile de son esprit plus qu'octogénaire, à la sincérité de son imperturbable bon sens, aux saillies d'une malice qui ne paraissait point agressive parce que chacun prenait bientôt son parti des atteintes qu'il venait de recevoir, en voyant que son voisin n'était pas épargné. Jamais plus d'épigrammes ne furent réparties avec plus d'équité. On ne peut pas toutefois appliquer à M. Viennet le mot de Tacite : extrema senecta liber. M. Viennet n'a pas été affranchi par l'âge, il est né franc, la franchise a été de tout temps le ressort et le trait distinctif de son talent, il l'a exercée à ses risques et périls, et la séance d'aujourd'hui prouve seulement qu'il est bien résolu à finir comme il a commencé. Nous ne lui reprochons pas cette persévérance qui, à nos yeux, n'a rien de diabolique.

• Nous louerons aussi M. de Carné d'être resté lui-même et de n'avoir point forcé son talent. Le discours qu'il a prononcé n'a point trompé l'attente de ses auditeurs. C'est un morceau du genre tempéré, sans fleur de langage, sans art de composition, mais judicieux et solide, semé de quelques traits d'esprit sans affectation, il a été écouté avec recueillement et, en fin de compte, applaudi dans la mesure de ses mérites et des prétentions modestes de l'orateur. La

bonne volonté d'entendre était si vive que M. Odilon Barrot est le seul des académiciens qui ait constamment dormi. Pour nous qui n'avons pas un instant fermé l'œil, nous avons remarqué dans ce discours, qu'il aurait été facile et peut-être convenable d'abréger, un morceau finement touché et qui n'est pas sans valeur littéraire, c'est le parallèle entre M. Arago et M. Biot, unis d'abord par la communauté de leurs travaux, séparés ensuite et pour longtemps par la divergence de leurs opinions politiques, toujours attachés l'un à l'autre même en pleine hostilité, « s'aimant, en dépit d'eux-mêmes, comme l'a dit spirituellement M. de Carné, à ce point qu'il leur était encore plus difficile de vivre séparés que réunis, et retrouvant enfin les effusions de cœur et la tendre amitié de leurs premières années au lit de mort du plus jeune des deux qui précédait l'autre dans la tombe.

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Nous avons regretté, par un scrupule de méthode, puisque M. de Carné bornait son ambition à écrire une biographie complète de M. Biot, qu'il ne l'ait pas close sur le tableau de la mort édifiante du savant qui, après avoir raillé dans sa jeunesse les partisans des causes finales, avait été amené par l'expérience de la vie et par la méditation à reconnaître non-seulement l'action providentielle de la cause première sur les destinées du genre humain, mais à soumettre sa raison à toutes les croyances de l'orthodoxie la plus rigoureuse. A quoi bon ne parler de l'entrée de M. Biot à l'Académie, et des services qu'il a rendus, qu'après l'avoir enterré? Était-ce pour placer, sous forme de péroraison, un long réquisitoire contre les novateurs littéraires! Alors il aurait fallu les confondre par des arguments précis, par des griefs déterminés, et ne pas se contenter d'imputations vagues et véhémentes. A-t-on ruiné la théorie de l'art pour l'art, en disant qu'elle est « un double blasphème contre le beau et contre le vrai?» et qui prétend-on convertir ou châtier lorsqu'on écrit : « de telles prétentions n'indiquent pas tant

la virilité que la faiblesse, et l'on revendiquerait moins bruyamment le droit de se frayer des routes nouvelles, si l'on se tenait pour assuré de mesurer toujours la hauteur de ses œuvres à celle de ses ambitions. »

« Nous n'avons pas non plus entendu sans déplaisir ces récriminations surannées qui revenaient, à tout propos et hors de propos, contre la Révolution. Ces souvenirs de la Terreur sans cesse évoqués ne caressent que les passions rétrogrades; les vrais amis de la liberté répudient avec plus de douleur et d'énergie que personne les massacres de 1792 et le régicide de 93, puisque c'est la liberté seule qui a payé les torts de tous. Il est certain que la Convention s'est trouvée, à plusieurs reprises, pendant la crise qu'elle a traversée, à l'état sauvage, mais elle ne s'y est pas mise de gaieté de cœur, et dès qu'elle a pu en sortir, elle ne s'y est pas maintenue. M. de Carné, qui connaît si bien l'histoire, n'a-t-il pas eu souvent l'occasion de constater, après Mirabeau, que l'art d'ôter la raison aux peuples pour argumenter ensuite de leur folie est le grand secret des politiques? N'est-ce pas le jeu que les habiles du dehors et les traîtres de l'intérieur ont joué contre notre pauvre France qui ne demandait pas mieux que de rester raisonnable et de devenir libre? La France a été souvent trompée, elle s'est rarement trompée elle-même, et certes elle était dans la vérité de l'honneur et du patriotisme, non pas en se déchirant elle-même, mais en repoussant l'ennemi qui prétendait lui imposer la loi. M. de Carné pousse sa rancune contre la Convention jusqu'à lui disputer la restauration des sciences et des lettres par la fondation de l'École polytechnique, de la grande École et de l'Institut: De telles mains, dit-il, n'étaient pas assez pures pour arracher la France à l'abîme où elles l'avaient précipitée. Il était écrit que cette œuvre réparatrice appartiendrait au glorieux jeune homme qui, en faisant perdre à la Convention expirante jusqu'à l'honneur de ses dernières conceptions, leur imprima le sceau de son

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génie, en attendant l'heure de les transformer en instruments de sa puissance. Après cela nous n'avons pas besoin de dire que parmi les regrets que le passé inspire à M. de Carné, nous n'avons pas à compter la Constitution de l'an III.

« On a remarqué que, contrairement à l'usage de tous les récipiendaires, M. de Carné a adressé son discours au public, et qu'en souvenir de la tribune politique où il montait autrefois, il se tournait par habitude vers le côté droit de l'Assemblée. Ses regards ne se sont pas portés un seul instant sur le terrible bureau où siégeaient MM. Legouvé, Viennet et Villemain. Nous n'avons pas à nous en étonner, puisqu'il savait d'avance quelles bordées devaient lui arriver de cette redoute.

« Avouons franchement que s'il est agréable d'entrer à l'Académie, il arrive souvent que le plaisir est fort diminué par l'accueil qu'on y reçoit. C'est un peu comme autrefois à l'École polytechnique, à Saint-Cyr où les nouveaux étaient brimės — voila un mot que je ne trouve pas dans le dictionnaire de l'Académie par les anciens. On n'en était que meilleurs camarades après l'épreuve, mais l'épreuve était dure. On s'y souvient encore du jour où M. le comte Molé poussa les choses si loin que le récipiendaire, c'était un autre gentilhomme, le comte Alfred de Vigny, celui-là même dont on va bientôt se disputer le fauteuil, fut bien tenté au sortir de la séance de prendre à part son ancien qui l'avait trop brimé et de lui dire à l'oreille, comme un autre Rodrigue:

à moi, comte, deux mots! L'offense était réelle, mais le défi ne fut pas jeté et l'offensé se contenta de se retirer dans sa tente. Nous sommes bien loin du temps où toute la cérémonie académique se passait en échange de courtoisies!

« Il n'y a pas apparence qu'on se remette aux lieux communs de l'éloge convenu, mais il faut prendre garde que ce qui est déjà un tournoi ne devienne un vrai champ de bataille. A vrai dire, il est difficile qu'on s'embrasse bien

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