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ques-unes, aimable comme elles le sont toutes, peuvent cumuler bien des grâces et des talents : les beaux-arts et la cuisine, le grec et le ravaudage des bas. Sans les détourner des soins du ménage, on peut répandre parmi les femmes d'une époque civilisée la connaissance des littératures anciennes et modernes.

J'approuve donc les entreprises de librairie comme celle à laquelle je vois M. Alph. Feillet prendre part. Déjà connu par des publications spéciales d'éducation et par des travaux personnels d'histoire, il a rédigé ou traduit plusieurs ouvrages destinés à faire partie d'un « Panthéon littéraire de jeunes filles. » L'un des premiers est une Histoire de la littérature grecque, résumant toutes les notions utiles et intéressantes sur ce vaste sujet, dans une mesure convenable et sous une forme élégante qui n'exclut pas la précision. L'auteur prend le peuple grec aux temps homériques et le suit jusqu'au dernier épanouissement de son génie sous l'influence chrétienne. Il ne supprime aucun nom, par pruderie, pas même celui d'Aristophane, mais il ne présente de chaque auteur et de chaque genre rien qui puisse effaroucher la pudeur la plus délicate. Son livre n'a point de prétentions à la science profonde, à l'originalité des doctrines. Il y avait des guides à suivre les Villemain, les Saint-Marc Girardin, les Patin, les Guigniaut, les Égger, et tant d'autres savants ou brillants professeurs français, qui ont tour à tour traité de toutes les parties de la littérature grecque. Il n'était pas besoin de recourir aux sources de l'érudition allemande; il suffisait d'extraire la fleur de notre enseignement national. C'est ce que M. Feillet a fait à l'usage non-seulement des jeunes filles, mais des gens du monde.

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Non content de raconter les destinées de la littérature grecque à ses lectrices, il a voulu mettre entre leurs mains

1. Libr. Hachette et C, in-18; 384 pages.

ces immortels monuments sous une forme qui n'eût rien que d'attrayant, et il a commencé par Homère. La nouvelle publication de l'Iliade et l'Odyssée1 n'a de particulier que sa destination. Comprise dans ce qu'on appelle la Bibliothèque rose, et illustrée d'une trentaine de gravures, c'est pour ainsi dire un Homère des enfants. La traduction est celle de M. P. Giguet, qui a eu déjà cinq éditions. Ici elle est abrégée, expurgée, dégagée de tout ce qui aurait pu rendre l'œuvre grecque moins accessible à son petit public. Toutefois, par respect pour Homère et l'antiquité, la forme du poëme a été aussi peu altérée que possible, les grands épisodes sont religieusement conservés, et les passages abrégés servant de sommaires ou de transitions sont marqués d'un signe typographique qui indique une transformation du texte primitif.

Dans le même système d'abréviation, M. Feillet offre au même public, un ouvrage bien éloigné des poëmes homériques par la date et la nature des récits, les Mémoires du cardinal de Retz 2. Voilà un auteur qui ne se serait pas attendu à prendre place dans une bibliothèque rose. Il y fait pourtant bonne figure. Les vignettes et gravures qui accompagnent d'ordinaire ces éditions de la jeunesse sont ici des portraits authentiques qui donnent une idée de plus des héros mis en scène par les récits du cardinal. Ce sont aussi des scènes historiques, des allégories, des monuments, reproduits d'après des dessins du temps. Ces éditions abrégées ne dispenseront pas, je crois, les esprits curieux d'aller aux plus complètes; elles propagent des connaissances littéraires qui étaient jusqu'ici le partage d'un trop petit nombre. Le Panthéon littéraire des jeunes filles sera-t-il très-fréquenté par le public auquel il est ouvert? Homère, le cardinal de Retz et les

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1. Hachette et Cie, in-18, XII-464 pages. 2. Hachette et C, in-18, vii-408 pages.

auteurs qui ne manqueront pas de se placer entre eux dans la bibliothèque rose auront-ils beaucoup de lectrices? On doit le souhaiter. Molière lui-même, qui a décoché tant de traits contre le pédantisme, n'a-t-il pas dit :

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout?

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La vulgarisation scientifique. Livres et journaux.
Mésaventures de chroniqueurs.

Les livres de vulgarisation scientifique se multiplient tellement que la critique littéraire ne peut plus leur donner qu'un souvenir collectif. La revue de fin d'année si populaire de M. Louis Figuier a suscité des rivalités. MM. de Parville, Dehérain, Victor Meunier et plusieurs autres rendent compte annuellement du mouvement scientifique, cette grande préoccupation de notre temps. A l'approche des étrennes, les beaux ouvrages de science illustrée se produisent partout. M. Figuier, qui en avait, lui encore, donné l'exemple, redouble d'efforts. Il publie dans une librairie l'Histoire des plantes1, dans une autre, la Vie des savants illustres 2. Les splendides publications de M. Guillemin sur le Ciel, de Frédol (Moquin-Tandon), sur la Mer3, sont imitées, avec un semblable luxe d'illustration, par MM. Liais et Mangin'; et M. S.-Henri Berthoud écrit l'Homme depuis cinq mille ans. Les éditeurs ne s'en tiennent pas aux volumes isolés, ils entreprennent des collections. Et, chose remarquable, il y a des acheteurs pour

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1. Hachette et Cie, gr. in-8.

2. Librairie internationale, gr. in-8.

3. Voy. tome VII de l'Année littéraire, p. 340-341.

4. Garnier frères, gr. in-8.

5. (Tours) Mame et Cie, in-8.

6. Garnier frères, gr. in-8.

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toutes ces somptuosités typographiques: la science est accueillie avec tant de faveur qu'on ne trouve pas d'enveloppes trop belles à lui donner pour la mettre entre les mains des gens du monde et des enfants.

Mais si les fravaux des vulgarisateurs rendent des services au public auquel ils s'adressent, ils sont quelquefois nuisibles à ceux qui les entreprennent. Quand on écrit pour des hommes qui ne savent encore rien, non-seulement il est facile de leur apprendre quelque chose, mais on fait une bonne action en ouvrant leur esprit à des idées qu'ils ne soupçonnent pas, en éveillant un besoin de connaître qui sera toujours fécond. Exciter la curiosité même sans la satisfaire est déjà une œuvre utile. Le lecteur des journaux ou des livres populaires ira peut-être plus loin que ses maîtres, mais ceux-ci auront eu l'honneur de lui faire faire les premiers pas.

Le malheur de la vulgarisation par le journal est d'habituer l'écrivain à une précipitation dans le travail, dont la science a quelquefois à souffrir. Un sujet est neuf, intéressant; une question est soulevée qui partage les savants et inquiète les gens du monde. Il faut que le chroniqueur scientifique en dise son mot. Il n'a pas encore eu le temps d'étudier la chose pour lui-même, il faut qu'il l'expose au public impatient. Il faut gagner de vitesse les feuilletons ou revues scientifiques des feuilles rivales. Alors le plus galant homme du monde, celui qui a l'instruction générale la plus solide, est exposé, en parlant des nouveautés qu'il connait à peine, à commettre d'énormes bévues. Il s'en produit de loin en loin qui sont de nature à égayer la galerie, sans nuire à l'autorité du chroniqueur sur un public confiant et dévoué.

La fameuse question des trichines et de la trichinose, ce fléau du porc et de l'amateur de jambon, qui a été étudiée spécialement par le célèbre médecin et homme d'État prus sien, M. Wirchow, a donné lieu, dans le feuilleton scien

tifique d'un de nos plus grands journaux, à une des plus curieuses confusions de mots et de choses. Je la laisse raconter par le spirituel chroniqueur du journal le Temps, M. Henry de la Madelène. Seulement, comme le livre demeure, tandis que le journal passe, je supprime le nom du très-estimable savant qui a été victime d'une traduction erronée ou d'une mystification.

« 11 m'arrive rarement de mettre le nez dans les feuilletons scientifiques des savants de profession; mais la question des trichines est si palpitante en ce moment, que j'ai dévoré la Revue des sciences du Constitutionnel de ce matin, consacrée uniquement à l'étude du monstre. J'ai appris là que c'est un physiologiste allemand plein d'imagination, le docte Schinkengift, qui aurait cru découvrir le poison du jambon, qui devait donner tant d'insomnies à nos chimistes. Un doute m'est venu toutefois à cette révélation, et je le soumets humblement à l'illustre M. ***: schinken, signifiie jambon, et gift, poison. M. est-il bien sûr de n'avoir pas pris le Pirée pour un homme ?>

Cette mésaventure de chroniqueur m'en rappelle une autre qui fit plus de bruit, il y a déjà quelques années, et qui fut plus désagréable pour son héros, car elle fut relevée très-vivement par un correspondant malin dans le journal même où elle s'était produite. Le rédacteur scientifique de ce journal, l'un des vulgarisateurs les plus autorisés, rendait compte d'une communication faite à l'Académie des sciences au sujet de je ne sais plus quel produit industriel ou pharmaceutique, extrait d'un insecte bien connu, la cétoine; le chroniqueur regrettait l'extrême concision de cette communication. Il aurait voulu plus de détails sur les procédés employés pour obtenir ce produit; il aurait voulu qu'on indiquât de quelle partie de la plante il était tiré, des racines, de la tige ou des feuilles. Il avait pris un insecte pour un végétal, un scarabée pour une fleur.

Le journal en fait faire bien d'autres. On a beaucoup

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