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Le jeûne, je n'en parle point;
J'en usai comme tous les autres.

L'échelle sous ma main tremblait,
Non pas
de peur, car mon courage
Autant que ma faim redoublait;
Dans le grand assaut je fis rage.

En perçant tout de part en part,
Je franchis le fossé, l'enceinte,
Et, le premier sur le rempart
J'arborai la bannière sainte.

Sous mes coups le sang ruisselait
Quand, au plus fort de la bataille,
Je me sens saisir au collet
Par un homme de haute taille.

Est-ce un des Turcs de Saladin?
Non; c'est un ami, mon notaire,
Qui rit, et m'emmène soudain
Déjeuner au café Voltaire.

J'avais sous mon bras Monmerqué
Poujoulat, Michaud et Poujade;
En bouquinant le long du quai
J'étais parti pour la croisade.

Je suis heureux de citer de M. Saintine une pièce aussi lestement tournée; mais, si j'en juge par les autres essais poétiques perdus dans la Seconde vie, je dois avertir sincèrement mes lecteurs que l'auteur de tant de gracieux romans réussit en général moins bien les vers que la prose.

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La poésie académique depuis l'origine des prix de poésie.
Ses derniers produits.

On a souvent dit du mal de la poésie faite sur commande et sur programme pour les concours académiques. Cependant on voit le monde lettré attacher toujours autant de prix

aux couronnes qui la récompensent. L'institution de ces concours ne date pas d'hier, et, grâce à l'empressement du public, leur existence ne serait pas même compromise par la disette des poëtes. Il suffit qu'un seul, doué des qualités demandées, ne se lasse pas de concourir pendant une suite d'années, pour que l'Académie ne se lasse pas de le couronner. L'habitude de décerner le prix de poésie un certain nombre de fois de suite au même lauréat, a des précédents dans toute l'histoire des concours académiques; nous en pouvons juger par le recueil des poëmes couronnés depuis l'origine, publié par MM. Edmond Biré et Émile Grimaud, sous ce titre les Poëtes lauréats de l'Académie française'. Le premier prix de poésie a été décerné par l'Académie française le 25 août 1671, au moment où Molière et Racine étaient dans toute leur gloire. Balzac avait déjà fondé le concours d'éloquence, en laissant un fonds de cent livres par an à la disposition de la docte compagnie. Le sujet choisi par le fondateur lui-même était marqué en ces termes : « De la Louange et de la Gloire: qu'elles appartiennent à Dieu en propriété, et que les hommes en sont ordinairement usurpateurs Non nobis, Domine, non nobis; sed nomini tuo da gloriam.» Les concours académiques étaient créés. A l'exemple de Balzac, trois académiciens fondèrent un pareil prix pour la meilleure poésie française, de cent vers au plus, sur l'une des grandes actions de Sa Majesté. Trois cents livres furent affectées à la récompense du lauréat; elles n'étaient pas délivrées en monnaie, elles étaient « employées à un lis d'or au pied duquel était la devise de l'Académie ce sont des lauriers entrelacés, avec ce mot: A L'IMMORTALITÉ. » Chaque pièce de vers devait être terminée, comme le discours en prose, par une courte prière à Dieu pour le roi, séparée du corps de l'ouvrage et de telle mesure de vers qu'on voudrait.

1. A. Bray, 2 vol. in-18, XL-396-416 pages.

Les auteurs des Poëtes lauréats de l'Académie française n'ont cru devoir reproduire que les poëmes couronnés depuis 1800. Ceux de la première période sont simplement, dans leur introduction, l'objet d'un souvenir et la matière d'une nomenclature. Toute cette poésie aux lauriers séculaires et fanés serait peut-être la plus curieuse à connaître, sinon amusante à lire. Les sujets en sont naturellement très-monotones: c'est toujours et forcément l'éloge du roi, la gloire des armes et des lettres sous Louis XIV, la victoire et les arts de la paix, les grandes choses faites pour la religion, la piété du roi, le bonheur du roi dans les princes ses enfants, la magnificence du roi, la sagesse du roi, la constance du roi, la gracieuse bienfaisance du roi, la décence et la dignité du roi. Louis XIV mort, pendant trente ans encore, on ne voit au programme que l'éloge du règne de Louis le Grand. Louis XV reçoit à peine quelques éclaboussures de cette gloire paternelle. Pendant toute cette période, la poésie académique ne songe pas à être l'écho des bruits du temps, l'interprète sonore de l'opinion publique, et, dans sa monotonie, elle n'a pas proprement d'histoire.

En 1754, il y eut une transformation, En réunissant deux fondations, l'Académie put porter son prix à 500 livres. Elle devint, en outre, entièrement libre dans le choix des sujets. Ce que nous appelons l'actualité eut dès lors une certaine place dans les concours académiques. C'était tantôt la philosophie, la véritable reine du siècle, tantôt l'industrie naissante et le commerce en voie de s'affranchir; une autre fois, un fait politique, comme l'abolition de la servitude dans les domaines du roi ; ou comme, en 1789, l'édit de novembre 1787 en faveur de la tolérance religieuse. Quelques sujets métaphysiques ou de pure littérature tenaient encore la poésie à l'écart des événements publics.

Des noms célèbres ou tout au moins notables figurent parmi les lauréats de ces deux premières périodes. Sous

Louis XIV, les plus connus sont ceux de la Monnoye, l'abbé Genest, Mlle Deshoulières et Houdart de la Motte; sous Louis XV et Louis XVI, nous voyons figurer à plusieurs reprises Marmontel, Lemière, Thomas, Chamfort, Laharpe, cinq fois nommé, Florian et de Fontanes.

La seconde moitié du dix-huitième siècle est la période la plus brillante des concours académiques, il en est resté quelques strophes sublimes, comme l'Ode sur le temps, de Thomas, et une idylle populaire, Ruth et Booz de Florian, sans compter de Lemière, un vers qu'il appelait le vers du siècle :

Le trident de Neptune est le sceptre du monde.

Cet oracle rhythmé, tiré de l'ode sur le Commerce, faisait dire à un plaisant que M. Lemière « faisait bien un vers. » Il en faisait bien deux, car on cite encore, d'une autre pièce couronnée, ce beau distique :

Croire tout découvert est une erreur profonde;

C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.

Mais arrivons à l'époque moderne. Les concours de poésie qui avaient disparu avec l'Académie française elle-même, supprimée par la Convention, recommencèrent en l'an XII de la République (1803), lorsque l'Académie eut été réorganisée au sein de l'Institut par le premier consul, sous le nom de Classe de la langue et littérature française. Les sujets furent laissés au choix de l'Académie : ils reflétèrent les préoccupations du moment et se rattachèrent aux événements ou aux questions de l'histoire contemporaine. Le programme du premier concours, après la réorganisation consulaire, était : La vertu est la base des Républiques. Le lauréat, Raynouard, l'auteur des Templiers, y répondit par une sorte d'apologue historique : Socrate dans le temple d'Aglaura. Les sujets des années suivantes furent plus lit

téraires. Rappelons l'Indépendance de l'homme de lettres, le Voyageur, les Embellissements de Paris, la Mort de Rotrou, les Derniers moments de Bayard, le Bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie. Quelques questions d'un intérêt plus actuel se faisaient jour à partir de 1815 la Découverte de la Vaccine, l'Institution du Jury en France (1820), l'Abolition de la Traite des Noirs (1823), l'Affranchissement des Grecs (1827).

Depuis 1830, les événements historiques, les questions sociales, les œuvres de l'industrie, les préoccupations sociales et religieuses se font largement leur place dans les concours de l'Académie française. Il s'agit tour à tour, en suivant à peu près l'ordre des analogies, de la Gloire littėraire de la France (1831), de l'Arc de triomphe de l'Etoile (1837), du Musée de Versailles (1839), du Monument de Molière (1843), de la Colonie de Mettray (1852), de l'Acropole d'Athènes (1854), de la Découverte de la Vapeur (1847), de TIsthme de Suez (1861), de la Mort de l'Archevêque de Paris (1849), de saint Augustin à Hippone (1856), de la Civilisation conquérante en Algérie (1848), de la Guerre d'Orient (1858), de la Sœur de charité au dix-neuvième siècle (1859), de l'Influence de la Civilisation chrétienne en Orient (1841), et, vingt-deux ans plus tard, de la France dans l'extrême Orient (1863). On le voit, si les groupes où ces sujets peuvent se ranger sont assez variés, au sein de chaque groupe, il règne inévitablement beaucoup de monotonie.

Le retour fréquent des mêmes noms parmi les lauréats n'est pas fait pour dissimuler l'uniformité du genre académique. Quelques-uns ont acquis par d'autres travaux une assez grande illustration et ont pris place parmi les académiciens, juges du concours. On a successivement couronné depuis Raynouard, c'est-à-dire en soixante ans, Charles Millevoye, Victorin Fabre, Alex, Soumet, Mme Dufrénoy, Pierre Lebrun, X.-B. Saintine, Édouard Mennechet, Victor Chauvet, Alfred de Wailly, Aug. Lemaire, Ernest

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