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joies et les souffrances qui naissent des passions, il y a place pour l'idylle, place pour le drame.

C'est à la fois une idylle et un drame que M. Langlois nous a racontés, idylle touchante et pure, drame sombre et terrible. L'un et l'autre sont surtout d'une vérité de couleur à laquelle la vérité de fait n'atteint pas toujours. L'auteur a su rendre le vrai vraisemblable. Voilà bien le paysan tel qu'il est, avec ses idées, son langage, les relations de la famille et de la société telles qu'il les comprend; voilà ce bourgeois campagnard, à peine dégrossi par une éducation de séminaire, vaniteux et vindicatif, tyran de bas étage, dont les services et les haines sont également redoutés ; voilà cette jeune fille de village, honnête, gracieuse, active, dévouée, dont le type légèrement idéalisé marie agréablement la réalité et la fantaisie. Ce curé, cet instituteur, nous représentent aussi l'idéal, mais sous des traits assez humains pour ne pas jurer avec la vie et la nature qui lui servent de cadre.

Les événements sont bien simples. Le bonheur que promettent à ces êtres sympathiques les affections les plus pures, la famille, l'amitié, un chaste amour, ce bonheur est troublé par une haine jalouse, assez puissante pour nuire, grâce à la complaisance aveugle des chefs et à la pusillanimité des majorités. Beaucoup d'esprit d'observation paraît dans le tableau de cette lutte obscure, dont tant de communes de France pourraient offrir le spectacle; l'énergie ne fait pas défaut à ses épisodes dramatiques ni à son dénoûment sublime. Un fléau, le choléra, s'est abattu sur le pauvre village, et, au milieu de la terreur générale, le curé accomplit, avec ses dignes amis, des prodiges de charité et d'héroïsme dont il finit par être victime. Ses amis survivent, heureux comme ils le méritent, et conservent pieusement son souvenir, en faisant, comme lui, simplement le bien.

Si l'on avait une critique à adresser au petit roman de

M. Langlois, c'est que ses héros sont d'une vertu trop pure, trop parfaite; ils sont meilleurs que nature. Peut-être répondrait-il que l'un d'eux, au moins, a été tel qu'il le dépeint, qu'il la vu, connu, pris sur le vif. On passe si facilement au romancier des difformités et des scélératesses exceptionnelles, qu'on peut lui accorder une exception honorable pour une classe sociale, pour l'humanité. L'auteur d'Un Curé, qui a sacrifié trop souvent aux nécessités du fare presto, si fatales aux œuvres d'aujourd'hui, n'a peut-être pas non plus apporté dans celle-ci tout ce soin du détail qu'on demande aux romans littéraires; il suffirait cependant d'une bien légère révision pour en faire une de ces études dramatiques dont les délicats aiment à garder le souvenir.

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Le roman de la vie scabreuse. Les sujets ou les titres suspects. Nombreux essais.

Les romans qui seraient le moins dignes d'être cités pour eux-mêmes, devraient encore l'être comme symptômes du sentiment public, s'ils étaient accueillis comme le fut, il y a déjà sept ans, un livre de début de M. Feydeau. A en juger par les sujets et les titres des premiers romans de quelques jeunes gens, la vogue serait aux tableaux de séduction. C'est à qui, parmi nos Feydeaux en espérance, aura, pour commencer, sa Léda, sa Danaë, sa Lucrèce, sa victime volontaire ou involontaire de l'amour.

M. Boué de Villers, auteur de Vierge et Prêtre, titre qui promet déjà, se met à nous donner les Martyrs d'amour1, en plusieurs séries. Je ne puis accorder beaucoup d'attention à ces livres de débuts provoquants, lorsqu'ils ne re

1 Dentu, in-18, 1re série.

nouvellent pas le miracle des seize éditions en un an de Fanny. Ce sont les mêmes souvenirs du marquis de Sade, relevés par un style prétentieux. Mme Sand, dans une lettre citée par l'auteur, lui conseille d'éviter la boursouflure. Quelques descriptions laborieusement élégantes et des néologismes d'une extrême recherche prouvent que cette recommandation n'est pas superflue1.

Un trait qu'il faut noter, comme propre à une génération, c'est que, sur de pareils sujets et avec le parti pris de ne reculer devant aucune peinture, l'auteur déclare qu'il n'écrit pas pour écrire, qu'il a un but moral. C'était aussi, nous l'avons vu, la prétention de M. Feydeau, dans son livre de début; c'est celle de beaucoup de ses imitateurs. Ce n'était pas celle de M. Th. Gautier, il y a trente ans, et à cette époque, les auteurs et les lecteurs de romans licencieux valaient mieux que ceux d'aujourd'hui, car il y a, dans le roman, quelque chose de pire que l'immoralité, c'est la prétention de la mettre au service d'une théorie morale.

Parmi les romans de séduction, comme dans les affaires d'attentats à la pudeur qui se déroulent devant les cours d'assises, il y a la part du profane et la part du sacré. Celleci, par moments, devient assez forte. Aussi, le même M. Boué de Villers annonce, entre autres volumes, le Roman du Moine. C'est un usage reçu, parmi les jeunes romanciers, d'annoncer plusieurs livres à la fois sur la couverture de leurs premiers-nés. Il semble que ce ne soit pas assez d'un titre provoquant pour s'imposer à l'attention pu

à

1. M. Laurent-Pichat, dans la Correspondance littéraire (25 juillet), cite des expressions comme celle-ci : les arborescences saphirines des reines, et des tableaux comme le suivant : « Elle avait une chevelure vraiment léonine, où avait peine à mordre l'aigu peigne d'or, l'étreinte duquel les opulentes boucles échappaient rebelles pour s'épandre en cascades parfumées sur un cou délicieusement modelé et des épaules de reine. »

blique. On fait rayonner autour de son nom toute une auréole de promesses éblouissantes: qu'on les tienne tant bien que mal, et en deux années on se présente au public avec le prestige d'une imposante bibliographie; comme disent les éditeurs, on fait collection.

Des collections comme celle des petits livres de M. Alfred Sirven obtiennent-elles l'attention qu'elles provoquent? Je ne sais, mais la provocation est incessante. Il n'y a pas deux ans l'auteur mettait en vente chez un étalagiste quelques pages intitulées: Revenons à l'Evangile, pamphlet contre les abus cléricaux. Quelques mois après, il trouvait un éditeur pour un assez gros volume, les Imbéciles1. L'année suivante, venaient les Infames de la Bourse, puis les Tripots d'Allemagne 2, jolis sujets de prédilection et dont j'avoue ne connaître que le titre. Je les cite uniquement pour signaler les tentations auxquelles la manie d'écrire ou le besoin de vivre de sa plume, exposent les débutants de la vie littéraire. Il y a des esprits d'une certaine valeur qui y cèdent et y laissent se flétrir la fleur de leur talent.

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Aujourd'hui M. Sirven nous ramène au roman de séduction sacrée. Un de ses livres de l'année préseute s'appelle l'Homme noir3. Toujours des séductions et beaucoup de prêtres, dit M. Laurent-Pichat. Il suffit de dire qu'il s'agit d'une juive qu'un jésuite ne se borne pas à convertir à Jésus-Christ, mais dont il veut faire sa maîtresse et qu'il séduit en lui faisant lire sainte Thérèse. On voit d'ici le sujet et les épisodes qui doivent mêler l'amour mystique et la débauche. Ajoutons que pour punir le jésuite de l'abus de son influence, il sera envoyé aux galères, et l'on comprendra que l'Homme noir, par quelques descriptions

1. Dentu, in-18 (1862).

2. Même librairie, même format. 3. Cournol, in-18.

qu'il nous fasse passer, pourra encore avoir la moralité à laquelle on tient le plus, celle du dénoûment.

J'ai parlé de jeunes auteurs qui comptent sur l'attrait de titres suspects et sur les accès passagers d'une curiosité malsaine; je suis fâché de joindre à la liste M. Edmond Thiaudière, dont le roman de début, l'Apprentissage de la Vie, promettait mieux. Celui qu'il intitule: Un prêtre en famille', se compose d'événements dont je ne redirai pas la suite, et pour cause, car l'exposition a suffi pour m'ôter le désir de connaître l'intrigue et le dénoûment; de plus les premières pages sont d'un style tellement bizarre, tour à tour si négligé et si recherché, qu'une vingtaine suffisent et au delà pour juger la manière de l'auteur et nous autoriser à lui dire qu'il fait fausse route.

Si j'ai bien compris les situations par l'exposition seule, il s'agit d'un homme que sa maîtresse a trompé et d'un enfant qu'elle lui a laissé sur les bras. Les tristes réflexions que ces aventures inspirent à leur héros, le conduisent à se faire prêtre. Atteint par l'esprit de la libre pensée, il se ferait plus volontiers ministre protestant, mais, comme il est né catholique, c'est prêtre catholique qu'il croit devoir être. Vous avez une fois de plus devant vous la thèse du célibat ecclésiastique et les conséquences dramatiques de la situation qu'il crée dans la société moderne.

Je n'ai pas plus peur qu'il ne faut des thèses dans le roman; mes lecteurs le savent bien, mais je demande qu'on choisisse avec goût les événements au milieu desquels se développe la pensée d'un auteur, quand il en a une, et que la langue et la grammaire soient respectées comme le goût, la pudeur et le bon sens. Qu'ai-je à faire de tous ces détails puérils ou révoltants? Quel mérite y a-t-il à étaler ces crises physiologiques dont on cache les effets dans la vie? Si c'est

1. Michel Lévy, in-18, 388 pages.

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