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peindre, sans la flatter, la société moderne, sous la forme alternée de la scène et du récit, qu'il tâche de choisir, entre ses laideurs, celles qui ont été jusqu'ici le moins exploitées.

C'est une chose curieuse en littérature de voir les hésitations d'un débutant qui cherche sa voie. Lors même qu'il ne la trouve pas du premier coup, on peut juger, par le talent qu'il annonce, s'il saura se la faire un jour. Il y a bien quelques esprits heureusement trempés dont la franche nature se déploie, dès l'essor, dans le sens de ses instincts et de ses facultés ainsi les deux coups d'essai de M. Edmond About, les Mariages de Paris et la Grèce contemporaine, manifestaient dans toute leur spontanéité, ses doubles qualités de spirituel pamphlétaire et de charmant conteur. Mais ces débuts décisifs sont l'exception, et le plus souvent les premiers essais ne sont que des tâtonnements qui affirment le talent, sans en marquer la direction.

J'applique ces remarques aux Contes à Ninon1, de M. Émile Zola. C'est un simple recueil de nouvelles dont l'auteur s'essaye, par une sorte de coup double, aux deux genres du récit et de la satire. Comme conteur, M. Zola affectionne la grâce, la délicatesse, la mignardise même et le précieux. Son premier conte, Simplice, est une fantaisie qui anime toute la nature, donne des sentiments aux fleurs et aux brins d'herbe, le parole aux insectes, et associe le monde entier des bois et des eaux aux destinées, enviables et malheureuses à la fois, d'un amour tué par sa première jouissance. Le genre gracieux est porté plus loin encore dans les contes suivants : la Fée amoureuse, Sœur-desPauvres, etc., qui pourraient fournir des échantillons curieux d'afféterie dans le sentiment et le langage.

Le morceau capital du volume est le récit des Aventures du grand Sidoine et du petit Médéric. C'est l'histoire ou

1. Hetzel et Lacroix, in-18.

plutôt la fable d'un géant et d'un nain qui courent le monde et recueillent, en poursuivant la carrière de leurs exploits fabuleux, une foule d'observations sur les faits et gestes, sur les idées et les mœurs du commun des hommes. M. Émile Zola s'est souvenu de Gargantua, de Micromégas et de Gulliver. Comme les auteurs de ces contes immortels, il ne s'est pas borné à lâcher la bride à la folle du logis et à promener le lecteur à sa suite à travers les merveilles grandioses ou microscopiques d'un monde imaginaire; il veut que la légende supplée à l'histoire, que la fantaisie éclaire de son reflet la réalité, enfin, qu'une moralité sorte de la fable. Le monde que parcourent le grand Sidoine et le petit Médéric, l'un portant l'autre, est notre monde, vu tour à tour, dans ses misères et ses prétentions, par le gros bout et le petit bout de la lunette. Le conte sera donc semé d'épigrammes, d'allusions, de traits de satire ; il aura presque des pages de pamphlet. Les mœurs, la littérature, la politique même seront touchées, tantôt d'une main légère et inoffensive, tantôt trop rude et appesantie. L'inexpérience se trahit en général par l'exagération des effets. Elle se manifeste aussi, dans les Contes à Ninon, par des procédés d'imitation poussés jusqu'au pastiche. A part les rares natures dont nous parlions en commençant, on imite toujours quelqu'un, même avec du talent, avant d'être soi-même.

Les trois récits réunis sous ce titre: Trois jeunes Filles, par M. Aimé Giron, sont-ils tout à fait un livre de début? Je ne sais, mais quoique je voie annoncer sous le même nom deux autres volumes, le Sabot de Noël et les Amours étranges, je suppose que l'auteur doit être encore trèsjeune. Et c'est là, sinon sa principale qualité, au moins l'un de ses moindres défauts. Il en a un grand, dont je lui souhaite de se corriger plus vite que de la jeunesse, c'est le

1. Michel Lévy, in-18.

manque de simplicité. Il y a de la prétention et de la recherche dans sa préface qu'il appelle Frontispice; il y en a dans les titres de ses trois histoires d'amour: Sancta dolorosa, Sanctæ sorores, Sancta martyra; il y en a dans leur composition générale ; il y en a enfin dans tous les détails du style. Il est beaucoup question des larmes, «< ces belles perles de nacre qui se forment et restent dans le cœur, comme dans la coquille blessée. » On nous montre de << beaux yeux bleus vagues qui ont de ces regards muets où brille, comme dans une goutte d'eau au soleil, tout l'azur profond du ciel. »

Et comment ne retrouverait-on pas, comme dans un herbier de plantes fanées, toute la flore d'une poésie de convention dans de petites histoires qui s'annoncent ainsi, dès le début, à leurs lecteurs? « Pour vous seuls, j'ai cueilli ce récit, rayon de soleil dans une larme. Une ancolie au fond de son calice d'azur, la berçait entre les rochers d'un bois ombreux. L'ancolie était pleine de rosée, et mon âme pleine de larmes; j'ai secoué mon âme dans la fleur. »

Est-ce assez joli, assez précieux, assez alambiqué? Il y a des gens beaucoup plus forts, comme l'auteur de Monsieur et Madame Fernel, qui ont donné parfois l'exemple de ce style. Si c'est à leur incitation que ces belles choses se produisent, que leurs disciples soient leur châtiment. Il faut laisser aux feuilletons des journaux de modes, ces recherches et ces fadeurs qui n'ont pas même le mérite de la nouveauté, tous ces petits attentats prémédités contre le goût, qui ne vous sauvent pas toujours des péchés d'ignorance ou d'oubli contre la langue. Que l'auteur des Trois jeunes filles renonce à ces oripeaux et à leur faux éclat : il lui restera le sentiment de la poésie, le culte de l'idéal auquel on peut être fidèle, dans un roman, sans détonner à plaisir avec la vie et la réalité.

En fait de nouvelles, si on veut en trouver, dans un seul

volume, de tous les tons, de tous les styles, il faut prendre une œuvre collective, qui est à la fois un livre agréable et une bonne action. Pendant la terrible crise de l'industrie cotonnière, la Société des gens de lettres, consultant moins les conseils de sa bourse que les inspirations du cœur, voulut prendre part aux souscriptions ouvertes en faveur des nombreux ouvriers sans travail. Les ouvriers de la plume connaissent trop souvent la misère dans leurs propres foyers pour ne pas brûler de la secourir au foyer d'autrui. Mais la caisse de la Société, formée péniblement par l'épargne et les sacrifices, a ses pauvres à elle, ses victimes du chômage intellectuel à soulager. Le luxe et le plaisir de l'aumône au dehors nous sont interdits quand notre famille manque de pain. A défaut d'argent, l'ouvrier charitable peut donner, comme aumône, une journée ou quelques heures de son travail. C'est ce que firent, au nom de la Société des gens de lettres, un certain nombre de ses membres les plus distingués, et il est né de leur concours un livre dont le produit permettra à la Société de faire l'aumône à des misères étrangères, sans retrancher de ce qu'elle peut pour ses propres misères. Ce livre dont M. Jules Simon s'est chargé, dans la préface, de dire l'origine beaucoup mieux que je ne l'ai pu faire, est l'Obole des conteurs'.

Ce recueil de vingt et quelques nouvelles offre au public presque toute notre littérature du roman contemporain en raccourci. Les plus célèbres y figurent et y laissent percer les qualités ou les défauts qui ont fait leur réputation; aucun, sans doute, n'y donne toute sa mesure, mais chacun y apporte un reflet de son talent particulier. Si ce n'est pas tout à fait un écrin de perles toutes également précieuses, c'est au moins un très-curieux assemblage d'échantillons dont plusieurs ne manquent pas d'éclat. Tous les genres de récits sont ici représentés dans les étroites limites de la

1. Hachette et Cie, 1 fort vol. in-18.

nouvelle. M. Méry raconte, avec sa facilité ordinaire, les merveilles d'une légende rhénane; M. Élie Berthet effleure l'histoire dans un épisode du temps des croisades; MM. Éd. Fournier et Fréd. Thomas mettent en récit des souvenirs littéraires tout mêlés d'émotions; M. Emm. Gonzalès nous intéresse à la principauté microscopique de Monaco, autant qu'à une grande capitale; M. H. Lucas consacre un touchant souvenir au héros de Venise, à Daniel Manin; M. Francis Wey nous fait, avec une savante simplicité, un conte des Mille et une nuits; M. P. Féval incarne la Bretagne bretonnante dans un mendiant; M. Ch. Deslys a trouvé un vrai drame dans un coin de la Normandie; M. Ponson du Terrail s'étonne de s'enfermer en moins de pages qu'il ne lui faut d'ordinaire de volumes; M. Albéric Second nous ramène, dans trois jeunes femmes malheureuses, les héroïnes de cette littérature mondaine de convention qui n'excluait pas le sentiment; M. G. Chadeuil rajeunit, par une ingénieuse variante, une vieille anecdote de voyage en ballon. Enfin, car une mention pour chaque collaborateur de ce charmant recueil m'entraîne trop loin, MM. Gozlan, Saintine, P. Juillerat, la Landelle, A. Achard, A. Scholl, Eug. Muller, Ét. Énault, M. Masson, ont choisi des sujets favorables aux délicatesses de leur talent. Heureux, quand ces délicatesses ne tournent pas en préciosités, en fadeurs de littérature de keepsake! J'allais oublier que M. Th. Gautier, ne se sentant peut-être pas en veine de conter en prose, a donné deux petits apologues en vers qui ne sont pas indignes de son ancienne floraison poétique.

Disons, pour finir, que tous les collaborateurs de l'Obole des conteurs, se sont fait une loi commune du respect de la morale; quelques peccadilles qu'on pût avoir à reprocher à tel ou tel d'entre eux, dans leurs ouvrages personnels, leur œuvre collective peut être mise dans les mains les plus pures et recevoir bon accueil dans les plus austères familles. Je ne sais si l'Académie française peut couronner vingt-quatre

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