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Simples nouvelles. Euvre collective de la Société des gens
de lettres.

Geux qui voudront connaître d'un coup une vingtaine de romanciers et conteurs contemporains par une collection d'échantillons, peuvent prendre le joli recueil publié par M. Paul Féval, avec le concours de ses collègues de la Société des gens de lettre, sous le titre un peu ambitieux, mais séduisant les Plumes d'or1. C'est le pendant de ce charmant volume que la même Société avait fait paraître, l'année précédente, sous un titre si gracieusement modeste : l'Obole des conteurs.

J'ai dit moi-même toutes les aimables choses que ce dernier recueil contenait et indiqué en quelques traits le talent particulier de ses principaux collaborateurs'. Aujourd'hui, je puis me dispenser de cette peine; les auteurs des Plumes d'or ont un introducteur, M. Paul Féval, qui, pouvant si facilement joindre quelque joli récit à ceux de ses confrères, s'est borné à les présenter au public dans la préface. Je ne sais s'il écrit lui-même avec la plume d'or qu'il prête à ses amis, mais sur chacune des phrases qu'il leur consacre, il a jeté des flots d'une poudre brillante qui fait paraître chaque nom et chaque figure dans une sorte de rayonnement.

Transcrivons cette liste de dénominations flatteuses, où, avec la qualité dominante de chacun, complaisamment mise en relief, se laisse aussi deviner le défaut, qui n'est souvent que l'exagération d'une manière, l'excès d'une qualité !

1. Lib. Dentu, in-18, Iv-466 p.

2. Voy. tome VII de l'Année littéraire, p. 84-87.

Voici donc, d'après M. Paul Féval, les heureux écrivains qui ont pu concourir à l'œuvre collective des Plumes d'or :

Edmond About d'abord, comblé de toutes les primautés, y compris celle que donne l'ordre alphabétique, esprit fécond, charmant, subtil, lutteur terrible qu'on accusa longtemps d'avoir trouvé un des becs de la plume de Voltaire, le plus aigu, sans doute, des deux becs; jamais on ne l'accusera de l'avoir perdu; Arsène Houssaye, la délicatesse faite homme, érudit du bout des doigts et remuant sans cesse avec un laisser aller exquis les bagatelles à l'usage des dames;

Philibert Audebrand, l'habile conteur; Gustave Aymard, farouche, fougueux, tatoué, montant à cru son fameux mustang, toujours galopant sur le sentier de la guerre;

-

Alexandre Dumas fils, l'expression la plus hardie, la plus originale, la plus profondément cherchée et trouvée de l'art dramatique à notre époque;

Henri Martin, le solide et populaire historien; Auguste Barbier, le poëte mâle, qui fut l'admiration de notre jeunesse; Édouard Plouvier, célèbre hier et que son drame aujourd'hui fait illustre; Georges Bell, instruit à l'étincelante école de Méry; Louis Énault, si tendre et si exceptionnellement suave que ses récits onctueux semblent un parfum qui fond doucement à la chaleur d'un soleil de printemps;

Auguste Vitu, le cher transfuge qui a pris d'assaut les hauteurs politiques et financières, après avoir prouvé abondamment que les champs de l'imagination sont à lui;

Adrien Robert, esprit ingénieux, écrivain éloquent, qui n'ose pas tout ce qu'il pourrait oser; Champfleury, conquérant établi dans un coin de l'héritage de Balzac et fondateur d'une école ;

Pelletan, tribun, mais poëte; Paul de Musset, supérieur au fardeau d'un nom grand et bien-aimé; A. de Pontmartin, critique sans fiel, qui ne connut jamais la signification de ces vilains mots méchanceté et jalousie; romancier distingué, chroniqueur courtois, et qui doit être fier assurément de la sympathie universelle excitée par son attrayant caractère;

Nadar, le flamboyant, rouge en dessus, rouge en dessous, rouge en dedans, rouge en dehors, voyant les choses de la vie à travers trente-six mille chandelles romaines, mais si bon, mais si noble et si facile à mettre en colère! Nadar, une des plus jolies, une des plus naïves curiosités de ce siècle curieux,

joignant sans façon et sans fiel la logique à l'étourderie, spirituel jusqu'au bout des ongles avec cela, le seul homme d'ailours qui fasse mentir la sagesse des nations, puisqu'il étreint très-en, souvent, quoique toujours il embrasse beaucoup trop:

Et l'éblouissant Timothée Trimm, gaieté à pleines mains, raison grosse comme une maison, esprit toujours payé comptant, a bureaux ouverts, plus inépuisable que la bouteille magique de Robert Houdin et versant à chacun, sans se tromper jamais, la liqueur préférée.

Et enfin, pour finir, pour bien finir ces deux hommes éminents que je ne compare en rien l'un à l'autre, mais qui ont tous deux une si large place au banquet de la popularité artistique :

Henry Monnier, le seul vrai réaliste, le génie de la photographie authentique;

Charles Monselet, le pêcheur de perles, le curieux, le paresseux, le délicat, le gastronome; style sombre, sourire savant, sensualité choisie; homme d'autrefois, quoi qu'il en pense, avec toutes les finesses, avec toutes les séductions d'aujour d'hui....

Tels sont les noms des écrivains aux plumes d'or. >> M. Paul Féval déclare les avoir tracés d'une plume de laiton. On est trop poli pour prendre au mot des formules de modestie; mais, dans le nombre de ses collègues, n'y en at-il pas quelques-uns qui ne burinent pas leurs contes d'une plume aussi précieuse que la sienne? Je laisse au lecteur le soin d'en décider.

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Volumes de nouvelles (suite.) MM. X. Marmier, H. Rivière,
A. Giron.

M. Xavier Marmier a trouvé dans les littératures du Nord une mine inépuisable. Combien n'a-t-il pas écrit de livres de voyage, d'histoire, de critique de philologie, de fan

taisie, destinés à nous révéler la Suède, la Norvége, l'Islande, la Finlande, et, plus près de nous, diverses contrées de l'Allemagne, sous tous leurs aspects, tantôt leur poétique nature, tantôt leurs noms pittoresques, tantôt leurs idiomes et leurs littératures originales! Quelquefois il n'a demandé à ces contrées si bien connues de lui qu'un théâtre pour les drames ou les idylles sortis de sa propre imagination, et ses romans et ses nouvelles ont dû encore à ses études particulières une couleur locale qui leur donnait un cachet d'originalité. Nous retrouvons une fois plus de plus l'homme des littératures du Nord dans un simple recueil de nouvelles, intitulé: Sous les Sapins1. Pour que le parfum des contrées septentrionales nous arrive plus pur, M. X. Marmier n'a voulu réunir ici que des traductions de légendes ou de fantaisies venues de ces contrées.

L'auteur des Fiancées du Spitzberg, de Gazida, etc., a été souvent un interprète indépendant de ses chères littératures; aujourd'hui il ne veut être qu'un écho fidèle. Les petits récits qu'il nous donne offrent sans prétention des attraits divers, l'intérêt légendaire, le pittoresque, la sensibilité et l'honnêteté; ces deux dernières sont les compagnes inséparables du talent élégant de M. X. Marmier. D'autres livres, comme les Mémoires d'un orphelin, nous permettraient de juger plus complétement l'écrivain; aucun autre ne fait mieux connaître l'homme qui voudrait que le cimetière de Pontarlier, sa ville natale, fût transporté sous les forêts alpestres de la Franche-Comté, et qu'on l'y déposât lui-même, avec ces simples mots sur sa pierre tumulaire : Ci-gît un rêveur qui aima les sapins et les montagnes.

«

Les Méprises du cœur de M. Henri Rivière, sont à la fois le titre particulier d'une nouvelle et d'un volume qui con

.1. Hachette et Cie, in-18, vi-386 p.

2. Michel Lévy,, in-18.

tient avec elle quatre autres récits. On y retrouve quelquesunes des qualités de l'auteur de Pierrot et Cain', mais avec une empreinte moins vigoureuse. Les héros favoris de M. Henri Rivière sont des marins que les vicissitudes de la contemplation oisive ou des aventures ont préparés ou plutôt prédestinés aux orages des passions. L'auteur aime à jouer avec la fatalité qui lui avait fourni dans l'histoire de Cain de si énergiques effets. Il fait dire à l'un de ses personnages qui va se battre et que rien n'oblige à ce duel:

Non, rien qu'une fatalité à laquelle on ne se dérobe pas. Cela nous arrive à tous. Nous savons souvent que telle parole, si nous la prononçons, ne peut que nous faire du tort, et cependant nous la disons, nous apercevons une planche branlante jetée sur un torrent, nous sommes pris de je ne sais quel désir de nous y aventurer, et nous la franchissons. Heureusement qu'il ne nous survient point toujours malheur de ce que nous bravons ainsi la destinée. »

En vertu de cette fatalité, qui pourrait être exprimée dans un style plus fort, un-jeune homme est persuadé par une prédiction expresse qu'il mourra en duel: il retrouve, sans le reconnaître d'abord, un mari outragé qui avait tué son ami, à l'autre bout du monde; il se bat avec lui, le tue, mais s'enferre lui-même de part en part en le frappant.

La fatalité à laquelle M. H. Rivière demande des effets n'est pas seulement celle des lois qui gouvernent la nature morale et, par contre-coup, les faits extérieurs de la vie; il en cherche la manifestation dans l'ascendant du rêve, du pressentiment, de l'hallucination. « A bientôt !» vous dit une apparition, et l'on meurt à la bataille suivante. Tout ce domaine de la terreur superstitieuse est de droit commun, je dirai même banal, dans la littérature du roman; on ne

1. Voyez l'analyse de ce remarquable volume de début dans le tome III de l'Année littéraire, p. 143-144.

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