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les combles de l'hôtel. Aussi, lorsque l'implacable ennemi de sa vieille cousine, le juge Pyncheon, meurt dans des circonstances dramatiques, étouffé par le sang des Maule, » Phoebe, héritière de ses grands biens, s'empresse-t-elle de donner sa main à son jeune ami et de réconcilier par ce mariage deux races ennemies depuis deux siècles. Car l'artiste n'est autre que le dernier descendant de Matthew Maule.

On voit que les points de ressemblance entre le roman américain et le roman anglais sont assez nombreux. Mais c'est surtout dans les détails qu'on les aperçoit; la source du vieux Maule est le pendant de cette fontaine au bord de laquelle Lucie venait s'asseoir; la vieille Hepzibah, si soigneuse de la renommée de sa maison, si fière de sa gloire, si empressée d'en cacher les misères, rappelle quelque chose du vieux Caleb.

Mais ce que M. Hawthorne n'a pas emprunté à son illustre devancier, c'est la réalité saisissante du côté fantastique de son œuvre. C'est là une qualité tout américaine qui a eu dans Edgar Poë sa suprême expression, et que l'auteur de la Maison aux Sept Pignons possède à un degré extraordinaire.

Les faits les plus naturels, les détails les plus vulgaires, sont présentés avec une telle exactitude de forme que l'esprit ne se doute pas de l'altération que le romancier leur fait subir au fond; et peu à peu, sans qu'on s'en aperçoive, on voyage dans un monde imaginaire ou extra-naturel; les souvenirs deviennent des fantômes; les échos, des voix mystérieuses; d'anciens visages se réfléchissent, reparaissent dans les traits des modernes habitants de Pyncheon's House; l'ombre du colonel est partout, tandis que l'image de la charmante Phoebe, nous ramenant aux existences gracieuses et douces, nous fait revivre parmi les vivants et nous fait aimer le réel.

Ce qui aide beaucoup à faire illusion et à soutenir cette

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antithèse, c'est le côté poétique du talent de M. Hawthorne. L'auteur de la Maison aux Sept Pignons change de ton avec cette facilité, ce naturel, cette souplesse exquise, particuliers aux écrivains de grand talent. La gradation est insensible, tant elle est savante. On était, il y a une page à peine, occupé de détails techniques, d'explications précises et minutieuses, et, sans en avoir conscience, on a traversé des théories humanitaires, des doctrines socialistes, une thèse sur l'avenir du genre humain, une dissertation sur le magnétisme, une invocation à la nature, une déclaration d'amour; nous voilà au troisième ciel! Ses personnages sont d'ailleurs toujours si conséquents avec eux-mêmes, qu'il n'est jamais embarrassé de leurs actes ou de leurs paroles. Tout en eux se suit et s'enchaîne par une déduction aussi simple qu'elle est inattendue. C'est l'imprévu à côté du réel. On est sans cesse à se dire: Que vont-ils faire? et l'action passée, on aurait été étonné qu'ils eussent agi autrement. Bien peu de livres français produisent une telle impression.

THEATRE.

Aperçu général du mouvement dramatique en 1865.

Le théâtre va prendre cette année moins de place dans notre livre que les années précédentes : c'est qu'il en a moins tenu dans le mouvement général de notre histoire littéraire. Les pièces nouvelles sur les grandes scènes, auxquelles nous nous arrêtons de préférence, ne marquent ni par le nombre ni par l'importance. Il y a ici et là quelques bonnes fortunes; il n'y a point d'œuvres capitales : Aux Français, une victoire anonyme, compensée par un échec éclatant; entre le Supplice d'une Femme et Henriette Maréchal, deux bluettes et d'intéressantes reprises. A l'Odéon, aucune œuvre nouvelle vraiment notable; pas de débuts littéraires retentissants; deux drames d'ancienne facture; quelques estimables comédies; des reprises et des retours vers le passé. Au Gymnase,. un grand succès avec M. Sardou, qui a trop l'habitude de réussir dans un genre connu pour vouloir le modifier; le reste de l'année rempli par des nouveautés sans consistance ou des pièces de l'ancien répertoire. Au Vaudeville, une terrible série de tentatives et d'échecs, aboutissant enfin à un succès formidable provoqué par le nom et les procédés ordinaires de M. Victorien Sardou.

Sur les théâtres secondaires ou inférieurs, les productions

éphémères pullulent; c'est leur condition naturelle. Quelques pièces se distinguent dans le nombre par la faveur sans cesse renaissante dont elles sont l'objet. Une parodie burlesque, aux Variétés, la Belle Hélène, a soutenu cette heureuse chance d'une année à l'autre, à la grande indignation des gens sévères. La charge, la farce, le grotesque assaisonnés de chansons ébouriffantes, ont eu le privilége de triompher sur toute la ligne des petits théâtres parisiens. Les revues de fin d'année, ce genre qu'on déclarait bien mort il y a quelque temps, ont ressuscité de tous côtés, sous des titres follement bizarres : Rien n'est sacré....... pour une Revue; Que c'est comme un bouquet de fleurs; Bu!... qui s'avance; Vlan, ça y est! Jamais on ne s'est tant battu les flancs pour rire, ce qui pourrait bien ne pas prouver en faveur de la gaieté d'aujourd'hui. Jamais on ne s'est donné tant de mal pour ne pas avoir le sens commun.

On a vu dans ce dévergondage des petits théâtres un signe malheureux du temps. Il s'est glissé dans plusieurs grands journaux, des entrefilets solennels qui ont accusé à ce propos la décadence de l'art et de l'esprit français. Que peut-on attendre, disait-on, d'un peuple qui encourage cinq ou six revues absurdes en même temps et qui applaudit deux ou trois cent fois la Belle Hélène?

Ni ces revues burlesques, où je n'ai pas le loisir d'aller, nila Belle Hélène, où je confesse avoir ri comme presque tout le monde, ne méritent toute cette colère. Il y a toujours eu et il y aura toujours un théâtre bouffe, une musique et une littérature bouffonnes. Il n'y a là ni signes de décadence, ni profanation de l'art grands mots qu'on aurait pu jeter aussi bien à la face de nos grands siècles. Je ne reproche pas à notre époque de produire la Belle Hélène, je lui reprocherais de ne produire que cela. Heureusement nous avons assez d'œuvres sérieuses, en littérature comme en musique, pour pardonner à M. Ludovic Halévy comme à M Offenbach quelques parodies. MM. Alexandre Dumas

fils, Émile Augier, Ponsard ont presque fait relâche, cette année, et laissé le champ libre à M. Sardou! Faut-il crier misère? Nous ne sommes pas encore si loin de l'Honneur et l'Argent, de Diane de Lys, du Fils naturel, du Fils de Giboyer ou de Maître Guérin, qui ont aussi compté les représentations par centaines, et voici venir le Lion amoureux et la Contagion'. Pourquoi tant en vouloir au public de son indulgence pour la comédie grotesque, quand les grandes œuvres ne le trouvent pas moins empressé à applaudir?

Comédie-Française: l'Eillet blanc, le Supplice d'une femme, Une Amie, Henriette Maréchal. Reprises: le Bourgeois Gentilhomme, Tartuffe, la Métromanie, Au Printemps, etc.

Pour la Comédie-Française, l'année dramatique n'a pas été sans luttes et sans périls, ni sans honneurs et sans profits; elle a compté tout juste assez de pièces nouvelles pour n'être pas accusée de stérilité, et deux grandes tentatives dont l'issue a été bien différente ont prouvé au moins qu'elle ne s'endort pas dans les traditions pusillanimes. Elle a accueilli la prose gracieuse dans un petit acte, l'Eillet blanc, la poésie dans un autre petit acte, Une Amie, mais elle a ouvert les portes toutes grandes aux hardiesses qui méritent de réussir et aux témérités qui échouent justement: le suc

1. Le Lion amoureux est une grande comédie historique de M. Ponsard, ayant pour sujet un épisode du temps du Directoire. La poésie et la politique y parlent le langage le plus élevé. Mise à la scène le 18 janvier 1866, cette pièce ne devra être analysée que dans notre prochain volume, mais nous devons dire dès aujourd'hui que le succès de cette œuvre sérieuse a été le plus vif possible et promet de se prolonger sans mesure. La Contagion est une œuvre nouvelle de M. Em. Augier à laquelle le succès du Lion amoureux n'a pas permis de se produire cet hiver au Théâtre-Français et que l'auteur a dù porter à l'Odéon.

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