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Odéon

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l'Oncle Sommerville, Lisez Balzac, le Second Mouvement, Mme Aubert, les Parasites, Pierrot héritier, Carmosine, la Tante Honorine. Reprise : la Vie de Bohême.

L'Odéon qui a fait, l'année précédente, deux saisons avec le Marquis de Villemer, a compris qu'il ne fallait pas abuser du respect dû à sa glorieuse vieillesse, et le grand drame intime de Mme Sand a été remplacé, du 20 au 24 janvier, par deux comédies pimpantes, deux levers de rideau en un acte et en prose, et par une nouvelle comédie en trois actes et en vers de M. Ed. Pailleron, le Second Mouvement.

Les deux petites pièces s'appellent : l'Oncle Sommerville et Lisez Balzac. Elles ont pour auteurs, la première, M. Ernest de Calonne; la seconde, MM. Eugène Nus et Raoul Bravard. Toutes deux roulent sur une intrigue à peu près identique, et aboutissent, par le dénoûment, à cette conclusion consolante que, malgré certaines apparences de la vie, malgré les théories des romanciers sur les infortunes conjugales, il y a encore, dans le monde, des femmes honnêtes et fidèles.

L'Oncle Sommerville nous représente un ménage où l'on s'adore, momentanément troublé par la restitution de lettres compromettantes que doit faire le mari à l'objet d'une ancienne passion. La femme à laquelle ces lettres avaient été adressées est sur le point d'épouser l'oncle du jeune homme. La correspondance coupable, après quelques péripéties désagréables pour le jeune mari, tombe entre les mains de l'oncle lui-même. Celui-ci ne se soucie pas du tout, suivant le joli et dernier mot de la pièce, de prendre la succession de son neveu, et aime mieux lui laisser son héritage. Il

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restera garçon, et les jeunes époux restent amoureux et heu

reux.

Lisez Balzac est la même histoire, plus lestement contée. Un mari très-amoureux, pas jaloux du tout, était le plus heureux des hommes. Il reçoit la visite d'un ancien camarade, veuf depuis un an à peine, après avoir eu toutes sortes de malheurs en ménage. Généralisant son cas particulier, l'infortuné s'est fait une théorie très-peu rassurante sur la félicité conjugale. Balzac, le grand physiologiste du mariage, est à ses yeux un prophète, et chacune de ses observations satiriques est un article de foi. Le mari heureux doit mesurer à son bonheur même l'étendue de son infortune; on le choie, on le caresse, on le dorlote, donc on le trompe: « lisez Balzac, lisez Balzac. » Il y a un neveu dans la maison du mari optimiste; dans celle de l'ami pessimiste, il y avait un cousin. L'un vaut l'autre; la tante est nécessairement coupable. Entre elle et le neveu, il y a des secrets sur lesquels l'ami charitable force le mari d'ouvrir les yeux. Une lettre est remise et surprise. La sagacité du disciple de Balzac tourne les moindres faits en indices, les moindres indices en preuves. Le pauvre mari s'est emparé, lui aussi, du livre de Balzac; il s'y plonge, il y trouve à chaque ligne la certitude. de son malheur. A la fin, tout s'éclaircit, le neveu aime la filleule de sa tante; il a compromis la jeune fille, et c'est pour obtenir sa main qu'il s'entendait avec l'indulgente marraine. Le livre de Balzac n'est plus bon qu'à jeter au feu, et ce qu'il faut pour le bonheur dans le ménage, ce pas la science, c'est la foi. C'est là le dernier mot de la pièce qui n'est vraiment qu'une situation, mais très-habilement développée et égayée par une foule de bons mots.

n'est

C'est aussi par les détails que vaut la nouvelle pièce de résistance de l'Odéon, le Second Mouvement de M. E. Pailleron. Le titre a besoin d'une explication, et, malheureuse

ment, l'action de la comédie n'en donne pas une satisfaisante. On dit généralement que le premier mouvement est le bon; chez les deux principaux personnages qu'on nous met en scène, ni le premier, ni le second ne valent grand'chose. Les époux Renaud, drapiers et bourgeois notables de Louviers, avec leur reconnaissance bruyante pour leur défunt bienfaiteur, sont des hypocrites ou des imbéciles, ou l'un et l'autre à la fois. Ils sont sans cesse ballottés entre la fausseté d'un sentiment follement généreux et la réalité d'un sentiment brutalement égoïste. Leurs actions s'accordent tour à tour avec leurs paroles, ou les démentent avec la même facilité bouffonne. Il y a chez eux une mobilité, une versatilité de sentiments et de langage qui ne permet guère de distinguer, dans la série de leurs évolutions de marionnettes, un mouvement, le second ou le dixième, qui soit le meilleur ou le pire. Ces héros grotesques de la comédie de M. Pailleron en indiquent mal la donnée ingénieuse; ils la forcent, ils la faussent plutôt.

Leur compère Boutin,, associé de la future maison Renaud-Boutin, est un roué qui n'a ni premier, ni second mouvement; il n'en a qu'un, toujours le même et toujours mauvais, un mouvement de rapacité défiante, qui s'annonce, en toute circonstance, avec une cynique franchise. Dame!

Vous savez:

Les affaires, mon cher monsieur, sont les affaires.

Ce loup cervier de la draperie est un des meilleurs types de la pièce, et l'acteur Thiron lui donnait toute son empreinte; mais ce n'est qu'une conception épisodique et tout. en dehors de la donnée du Second Mouvement.

Les jeunes amoureux, le fils du drapier Renaud et la fille de feu Valin, le bienfaiteur, sont aussi bons, aussi généreux, aussi nobles d'âme, aussi aimables, que leur entourage est désagréable, ridicule ou odieux. Il n'y a pas à distinguer chez eux le premier mouvement du second; en fait de

sentiments, ils n'en ont que de bons et de sympathiques. Ils servent à l'intérêt de l'intrigue; ils ne représentent, dans la comédie de M. Pailleron, ni les caractères nouveaux, ni l'idée morale qui devaient faire sans doute, dans la pensée de l'auteur, l'originalité de son œuvre.

L'originalité de M. Pailleron est, cette fois encore, d'un ordre moins élevé. Elle est toute dans les détails et les artifices du style, dans les petits effets de scène qui avaient déjà si bien réussi à l'auteur du Mur mitoyen et du Dernier Quartier. Nous avons une fois de plus, dans le Second Mouvement, ces contre-parties de dialogues, exprimant la symétrie des situations, ces balancements habiles, ces équilibres savants, ces revirements de sentiments et de jeu, toute cette petite stratégie comique, la plus ingénieuse du monde, agréable et charmante dans une ou deux scènes, monotone et froide dans une pièce entière; gage heureux, dans un début de poëte, de souplesse et d'esprit, symptômes fâcheux de pauvreté d'invention à mesure que les œuvres se succèdent et se ressemblent. Il est temps, pour M. Pailleron, de jeter des études de mœurs plus nettes, plus franches, dans une action plus fortement enchaînée. L'incertitude de l'idée, la faiblesse de l'intrigue ne se rachètent pas à perpétuité par la finesse, la causticité d'un esprit de bon aloi ou par l'éclat plus ou moins discret du style.

Pour donner à ses soirées un intérêt comique plus vif, l'Odéon avait joint au Second Mouvement les Mères terribles, dont le titre menaçant servait d'étiquette à une joyeuse bouffonnerie dont nous avons rendu compte l'année dernière. Mais bientôt cette parodie des rivalités maternelles a fait place à une autre mise en scène de la maternité, pleine 'de larmes et de terreurs. Le drame nouveau, en quatre actes et en prose, de M. Édouard Plouvier, s'intitule tout simplement: Madame Aubert (13 mars)1, et n'en est pas moins une

1. Acteurs principaux MM. Tisserant, marquis de Saint-Gery ;

de ces œuvres qui ont la prétention de remuer les grandes questions morales et sociales, de déchirer les voiles qui dérobent les misères contemporaines, et de nous faire sonder avec une émotion douloureuse les plaies secrètes de nos vices sous les brillants dehors d'une civilisation raffinée.

Madame Aubert, c'est une fois de plus la peinture de cette courtisane à laquelle M. Alexandre Dumas fils a donné droit de cité sur nos théâtres; c'est une dernière incarnation de la Dame aux camélias; c'est une de ces reines illégitimes du demi-monde, souffrant à son tour des ravages qu'elle a causés, c'est un ange déchu qui se relève par la douleur, c'est, comme on aurait dit autrefois, une Madeleine repentante, et, comme on dit depuis M. Félicien Mallefille, « une mère repentie.

Le type n'est pas nouveau, les combinaisons où il se développe ne le sont pas davantage, et l'intérêt qui en résulte est, à mon sens, aussi léger que possible. On jugera, par une analyse, de l'invraisemblance des situations et de l'absence de nouveauté et d'originalité dans les caractères et l'agencement de la pièce.

Un orphelin nommé Georges, tout court, a été élevé jusqu'à sa majorité par les soins d'un excellent notaire, M. Bertin, chargé de l'administration de sa fortune. Il a trouvé en lui un vrai bienfaiteur, presque un père; il aime sa fille Jeanne, il en est aimé et va demander sa main. Georges a un ami, un camarade, presque un frère, dans le jeune Armand de Saint-Géry, fils d'un vieux marquis prodigue, ruiné par une courtisane, la célèbre Flora. Cœur noble, caractère ardent, esprit élevé, il flétrit hautement le nom de cette fille, à propos d'un livre biographique consacré à ses exploits.

Ses prétentions à la main de Jeanne sont accueillies par

Laroche, Armand; Villeray, Georges: Laute, Bertin; Mmes Thuillier, Mme Aubert; Mosé, Jeanne; Picard, Mme Grivois, etc.

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