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le notaire avec une mystérieuse terreur. Georges presse, insiste pour percer le mystère de sa naissance, qui est l'obstacle à son bonheur. Il comprend, à travers les réticences de M. Bertin, qu'il est le fils de cette courtisane, de cette Phryné, contre laquelle il s'élevait avec tant d'indignation tout à l'heure. Cette scène de révélation fait oublier par des beautés réelles son extrême invraisemblance. Un jeune homme, élevé à Sainte-Barbe, qui a ensuite fait son droit, n'arrive pas à l'âge de se marier, sans s'être préoccupé de son état civil, de sa famille disparue ou éteinte, de l'origine de sa fortune et du nom qui lui a été laissé avec elle.

Ce secret le plonge naturellement dans un grand accablement. Il se reproche la fortune dont il a joui c'est le prix de la honte et du vice; ce sont les dépouilles arrachées aux victimes d'un amour vénal, c'est le patrimoine volé au père même de son ami. Mais, par un revirement violent, Georges passe tout à coup de cette honte au désir ardent de retrouver cette femme, qui, toute flétrie qu'elle soit, est sa mère.... sa mère! et il s'étourdit, il s'enivre de tous les mots et de tous les sentiments que rappelle la maternité. Tout à l'heure, il avait provoqué un ancien amant de Flora, qui s'était montré blessé de ses violentes sorties contre cette femme; maintenant, il insulte, il provoque ceux qui ne parlent pas de la courtisane avec respect; il accable d'outrages son cher et fidèle ami de Saint-Géry, à cause de ses trop légitimes ressentiments contre celle qui a ruiné son père, et il se battra avec lui pour apprendre à tous à respecter celle qu'il reconnaît hautement pour sa mère.

Ce duel va former désormais toute l'intrigue. Armand de Saint-Géry vient demander une leçon d'armes au marquis son père, qui a beaucoup négligé sous ce rapport l'éducation de son fils, dont il a voulu pourtant faire, malgré sa pauvreté, un parfait gentilhomme. Tout le monde sait bientôt qu'une rencontre va avoir lieu entre les deux jeunes gens. Le père de Georges, qui aurait bien dû deviner

quelque chose à l'émotion fièvreuse d'Armand, l'apprend de la bouche de Jeanne. Il veut l'empêcher à tout prix; il veut se substituer à son fils. Il s'unit en vain au notaire. Une seule personne pourra prévenir un crime, un malheur. C'est Flora, qui va entrer désormais dans l'action. Il est temps: nous sommes au troisième acte.

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L'ancienne courtisane a depuis un certain temps renoncé au demi-monde, à ses pompes et à ses œuvres. De l'éclat du vice brillant, elle est tombée volontairement dans l'obscurité d'une vie laborieuse. Ce changement est le fruit de secrets remords, mais aussi d'une longue maladie qui a épuisé sa bourse et altéré sa beauté. Il ne faut pas trop sonder les mobiles des conversions humaines. Bref, Fiora, devenue Mme Aubert, se réhabilite par la vertu et par travail : elle donne des leçons de piano aux jeunes filles. La pensée de son fils dont elle s'est interdit de jouir, lui donne une véritable fièvre de tendresse maternelle qui s'épanche à flots sur les enfants des étrangers. Oh! une mère! Oh! un enfant! Son cœur déborde devant les parents de ses élèves, et ses douleurs de mère volontairement méconnues éclatent en sanglots assez inopportuns chaque fois qu'on vient lui demander des leçons de musique. Oh! les mères! Oh! les enfants! Voilà des cordes dramatiques faciles à faire vibrer. On se moque beaucoup de la croix de ma mère: il y a des talismans et des formules dont le prestige ne s'use jamais.

Tous les personnages du drame se rencontrent chez Flora. Mlle Jeanne y vient avec sa grand'mère demander des leçons de piano, et elle provoque une première scène d'attendrissement maternel. Georges vient en provoquer une seconde plus vive encore. La courtisane repentante tremble d'abord devant son fils comme devant un juge; mais celui-ci se précipite dans ses bras, l'accable de baisers, l'absout de tout son passé sans vouloir l'entendre. C'est si bon pour un fils de retrouver sa mère, c'est si bon pour une mère de re

trouver son enfant! O mon Dieu! que le bon Dieu est bon ! voilà les effusions renouvelées des boulevards, avec lesquelles on produit à peu de frais un effet assuré. Lequel? cela dépend du public. Les habitués de la Gaîté et de l'Ambigu pleurent et applaudissent; ceux qui demandent à un auteur de l'originalité dans les situations et les personnages sont loin de trouver leur compte.

Mme Aubert voit arriver chez elle, à son tour, le marquis de Saint-Géry, l'un de ses amants, l'une de ses victimes. Il vient apprendre à son ancienne maîtresse le duel qui doit avoir lieu entre leurs deux enfants, et il lui déclare que si Georges lui tue son fils, il lui tuera le sien. L'idée de ce duel bouleverse Flora, elle révèle au marquis qu'il est aussi lui-même le père de Georges. Le duel qui se prépare est donc celui des deux frères. La courtisane avait déjà fait autrefois cette déclaration à son amant qui ne l'avait pas crue, venant d'une telle bouche, et avait répondu très-naturellement: Allons donc ! Cette fois il croit à sa paternité, mais l'heure du rendez-vous est sonnée et rien ne peut empêcher uné lutte fratricide.

Le quatrième acte nous en montre le dénoûment. Je l'aurais voulu tout autre, étant donné le genre adopté. Quand on veut faire du drame on n'en saurait trop faire. J'aurais voulu, au milieu des inquiétudes, des angoisses des familles réunies, voir tomber une terrible nouvelle, celle de la mort. des deux combattants. Puisqu'on prétend donner des leçons de morale par des combinaisons dramatiques arbitraires, on en aurait conclu, avec plus ou moins de logique, qu'il est dangereux d'avoir des enfants naturels qui un jour se coupent la gorge avec vos enfants légitimes.

Le drame de Madame Aubert finit mieux : les deux frères se sont battus, mais, suivant les règles de l'escrime, chacun, sur le terrain, a regardé aux yeux de son adversaire, et tout en ferraillant, en se frappant, en s'égratignant, en se meurtrissant avec rage, ils ont toujours vu, dans les yeux l'un de

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l'autre, qu'ils étaient amis, qu'ils étaient frères, et rejetant enfin leurs épées sacriléges, ils sont tombés dans les bras l'un de l'autre et ont confondu leurs baisers, leur sang et leurs larmes. Les voilà qui reviennent, la main dans la main, s'offrir aux embrassements d'un père, d'une mère qui tremblaient également pour tous les deux. Ils apprennent sans étonnement qu'ils sont frères par le sang: ils sentaient déjà qu'ils l'étaient par le cœur. Pour finir, le marquis reconnaît son fils Georges, ce que la loi civile sur les enfants adultérins pourrait bien ne pas permettre, et il demande pour lui la main de la fille du notaire. Quant à Mme Aubert, heureuse des embrassements de son fils, elle s'éclipsera une seconde fois pour ne pas troubler une félicité domestique dont l'opinion publique ne lui permet pas de prendre sa part. La société n'a pas encore, Dieu merci, pour les courtisanes réhabilitées, pour les mères repenties, toute l'indulgence que lui enseignent les dramaturges. Enseignement peu dangereux, tant qu'il n'est pas donné par des drames plus vrais, plus nouveaux, mieux noués et plus intéressants.

L'Odéon n'a plus cette fièvre de production qui signalait dernièrement encore chaque saison par une éclosion de grandes comédies ou de drames. Après sa rentrée de vacances, il inaugura pourtant la salle splendidement restaurée par un drame en cinq actes, les Parasites, de M. Rasetti (2 octobre). C'est le premier et dernier drame de l'hiver à ce théâtre, et il ne tiendra pas longtemps l'affiche. Le titre indique une étude de mœurs. L'auteur, par la bouche d'un médecin, le démonstrateur de la collection, annonce dès le début, toute une galerie de gens qui vivent aux dépens d'autrui, en prenant, sans le travail ni les charges, tous les

1. Acteurs principaux: MM. Thiron, Octave; Romanville, Barreau; Laute, le Docteur; Villeray, Maxime; Picard, Mlle de Kerkeradec.

Mmes Doche, Valentine:

profits des affaires, de la fortune, de la renommée, de l'amour. Le parasite de l'amour est bien connu au théâtre, c'est l'amant usurpant la place du mari. C'est le seul parasite qui tienne à l'intrigue du drame de M. Rasetti; les autres ne sont que des accessoires, des hors-d'œuvre. Sous l'étiquette d'une idée, l'auteur des Parasites n'a mis en scène qu'une variation d'un sujet banal, l'adultère. Cette variation a quelques motifs originaux, perdus dans un plus grand nombre de modulations vulgaires et de réminiscences.

Un jeune sculpteur, sous prétexte de se conserver à l'art, à la fantaisie, a refusé d'épouser une belle jeune fille qu'il aimait et dont il était aimé. Elle est à peine mariée qu'il se reprend à l'aimer, et par caprice, par vanité, autant que par entraînement, il la dispute à son mari. Chargé de faire son buste, il la poursuit de ses ardeurs passionnées, que la jeune femme repousse avec énergie. Les démarches imprudentes qu'elle fait auprès de l'artiste, pour le supplier de mettre fin à son supplice, tournent contre elle et la compromettent aux yeux de son mari. La malheureuse, dans un moment de désespoir, vient de s'empoisonner lorsque l'insensé pénètre dans son appartement et se heurte contre son cadavre; il court à la fenêtre et appelle au secours : un coup de feu l'étend mort aux pieds de sa victime. L'auteur du meurtre est un valet dévoué, qui a été aposté par la vieille tante du mari pour venger l'honneur de la maison. L'innocence de la jeune femme est proclamée; et le médecin, l'examinant de plus près, répond de la ramener à la vie.

C'est autour de cette intrigue que se groupent les divers personnages plus ou moins inutiles, destinés à représenter les variétés de l'espèce parasite. Les incidents qui les mettent en relief ne se relient point à l'action principale. Il y a, par exemple, le parasite d'affaires, gérant des bateaux sousmarins, spéculateur qui ruine les autres sans s'enrichir il se promène dans tout le drame à la poursuite d'une somme de cent mille francs que lui prêtera, on ne sait pourquoi,

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