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Les vallons qu'elle ravageait;
Mais, dans cette métamorphose,

Ne suis-je pas pour quelque chose?

L'argument était juste, et, pour le prouver mieux,
Sur les pas de l'hiver survint un gros orage;
La digue fut rompue, et, s'ouvrant un passage,
Le fier torrent reprit ses penchants furieux.
Les campagnes épouvantées,

Les arbres abattus, les terres emportées
Dirent au laboureur, dont les cris déchirants
Redemandaient aux flots ses moissons dévastées,
Qu'il faut des digues aux torrents.

Les théories du romantisme sont à chaque instant l'objet de protestations presque toujours justes, quelquefois poétiques :

Il faut en tout de l'art, du goût, de la mesure.
Tout sied à la beauté, tout lui sert de parure;
Elle est de ses atours le plus riche joyau;
De son reflet se parent toutes choses;
Mais, fût-il tout brillant de rubis et de roses.
Le laid ne sera jamais beau.

Les critiques, les journalistes, les tribuns, les grands parleurs de l'opposition sont encore moins ménagés. Pour détruire leur ascendant, M. Viennet dit aux bonnes gens de la province effrayées du bruit de la tribune, du fracas des journaux :

Tout ce tapage est peu de chose.
Le journal fait et la séance close,
Journalistes et députés

S'en vont dîner ensemble et boire à leurs santés.
Faites comme eux, ne choquez que des verres.
S'égorger sur parole est un métier de fous.

Et quand il pleut du fer, tous ces prêcheurs de guerres
Ont toujours le secret d'être à l'abri des coups.

M. Viennet ne croit pas le moins du monde au désinté

ressement des orateurs d'opposition, et sa franchise à le dire explique en partie les inimitiés acharnées qui l'ont poursuivi. L'Essieu mal graissé est une des fables qui ne pouvaient que les envenimer.

D'une voiture de roulage,

L'essieu criait, et ses cris incessants
Agaçaient les nerfs des passants.
Et tous les chiens du voisinage
Répondaient par des cris encore plus agaçants.
Vous savez bien que c'est l'usage

Des animaux jappants et mêmes des parlants.
Un charron dont la route effleurait la boutique,
Et qu'ennuyait cette musique,
Prit un pot de vieux oing, arrêta le roulier,
Graissa l'essieu qui faisait ce tapage;
Et l'essieu, cessant de crier,
Poursuivit en paix son voyage.

Que de criards devant moi sont passés,
Qu'un peu de graisse aurait fait taire!
Mais le pays n'en produit point assez;
Et la paix y serait trop chère.

Cette malice trop franche de M. Viennet était la principale qualité du fabuliste; elle donnait à ses apologues une tournure de satires; elle leur imprimait un cachet d'actualité originale qui excitait les rires des amis et faisait crier les adversaires. Hors de là et quand il voulait s'élever à l'enseignement général qui sort de la peinture de la vie, le tableau manquait de couleur, et la leçon de nouveauté. Aussi, quand on relit aujourd'hui les fables de M. Viennet qui auraient dû le moins vieillir, à cause de la généralité du sujet, on se rappelle les modèles du genre dont il est resté si loin, et l'on se demande pourquoi il redit une fois de plus ces vieilles leçons de l'expérience humaine, pour les moins bien dire. Chose curieuse : les innocentes méchancetés qui lui ont fait autrefois tant d'impopularité, sont restées les meilleures parties de son talent.

3

Les poëtes d'hier et les poëtes d'autrefois. Sommeil trompeur et faux réveil. M. V. de Laprade et Aug. Barbier.

La poésie se fait volontairement discrète avec un homme dont les vers ont fait quelquefois grand bruit. M. de Laprade qui, après tant de symphonies douces et pacifiques, avait attiré sur ses « Muses d'État » toutes les colères officielles, affecte de baisser la voix, pour glisser à l'oreille les seuls murmures poétiques que notre siècle consent à entendre. Il intitule son dernier recueil de poëmes: les Voix du silence, titre gracieux et modeste que la première pièce explique et développe avec un poétique bonheur.

Verbe endormi dans la nature,

Esprits muets au fond des bois,
Armes qui n'avez qu'un murmure,
Prenez dans mes vers une voix.
Esprits du chêne, esprits des roses,
Prés en fleurs, sables désolés,
Lacs souriants, rochers moroses,
Petits bluets sous les grands blés,
Parlez !

Échos des invisibles mondes

Qu'on découvre sur les hauteurs,
Sourd travail des âmes profondes,
Hymnes sacrés sans auditeurs,
Pensers dont les mots sont à naître,
Noms perdus ou renouvelés,
Voix de l'enfant et de l'ancêtre,
Temps futurs et temps écoulés,
Parlez !

1. Dentu, 18.

Sentiments qu'à peine on s'avoue,
Qu'on chérit sans les définir,
Que trahit le feu de la joue
Si le cœur les veut retenir,
Visions douces et fatales,
Beaux rêves trop tôt envolés,
Soif des voluptés idéales,
Espoirs trop longtemps refoulés,
Parlez !

Vérités que la foule insulte,
Indignations des grands cœurs,
Décrets de la justice occulte,
Dressez-vous contre les vainqueurs;
Rayons de la nouvelle aurore,
Levez-vous sur nos temps troublés;
Douleurs des martyrs qu'on ignore,
Voix des vaincus des exilés,
Parlez !

Esprits cachés, esprits sans nombre,
Arbres émus, cœurs palpitants,
Qui murmurez, tout bas, dans l'ombre,
Des accords discrets que j'entends;
Terre qui vit, âme qui pense,

Soupirs de partout rassemblés,
Voix fécondes, voix du silence
Dont les lieux déserts sont peuplés,
Parlez !

On a dit quelquefois que le silence avait son éloquence; je le crois sans peine, si l'on peut entendre dans le silence tant de choses que la muse redit tout haut. M. Victor de Laprade a ramené ici presque tous les sujets de ses symphonies et de ses idylles, même les héroïques. Il retrouve en même temps ce sentiment intime, et cette harmonie naturelle qui caractérisent sa poésie, soit qu'il chante la Petite fleur sur la fenêtre, le Mois des morts, le Retour aux Alpes, ou les Martyrs, le Psaume de combat, ou quelque autre

des vingt petits poëmes que comprennent les Voix du

silence.

1

M. Auguste Barbier, l'auteur des Iambes, était sorti, l'année dernière, d'un silence beaucoup plus long, en donnant le volume des Silves, dont les poésies contrastaient par une extrême douceur avec l'énergie brutale de ses premiers pamphlets rimés. Il a éprouvé le besoin, de rentrer encore une fois dans la lice poétique, non plus avec des idylles et des élégies, mais avec des satires. » Satires, 1 tel est en effet le titre du dernier recueil, où nous ne trouvons rien qui rappelle le Juvénal de 1830. M. Auguste Barbier a pris l'allure facile et presque prosaïque de l'apologue et du conte; ses meilleurs boutades pourraient s'attribuer à M. Viennet. Le titre du livre n'est qu'un leurre, à moitié chemin la satire s'arrête et l'auteur dit dans un épilogue:

Je m'arrête et je laisse aux lèvres d'un plus fort
Et le masque et les choses.

Ce masque, l'auteur des Iambes aurait aussi bien fait de ne pas le prendre pour si peu.

Après ce « léger hommage à Thalie, comme dit M. Barbier, dans le style de M. Joseph Prudhomme, le poëte remplit le volume avec un drame historique, César Borgia, écrit en vers sans rime ce qu'il appelle une tentative audacieuse, en exprimant majestueusement ce vœu : « Puisse ce nouvel exemple du vers non rimé, ne pas être un argument trop contraire à son admission dans nos habitudes intellectuelles. >>

Voilà pour les idées, le mouvement et le style, où en est aujourd'hui l'auteur des Iambes.

1. Dentu, in-18, 276 Pages.

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