Les vallons qu'elle ravageait; Ne suis-je pas pour quelque chose? L'argument était juste, et, pour le prouver mieux, Les arbres abattus, les terres emportées Les théories du romantisme sont à chaque instant l'objet de protestations presque toujours justes, quelquefois poétiques : Il faut en tout de l'art, du goût, de la mesure. Les critiques, les journalistes, les tribuns, les grands parleurs de l'opposition sont encore moins ménagés. Pour détruire leur ascendant, M. Viennet dit aux bonnes gens de la province effrayées du bruit de la tribune, du fracas des journaux : Tout ce tapage est peu de chose. S'en vont dîner ensemble et boire à leurs santés. Et quand il pleut du fer, tous ces prêcheurs de guerres M. Viennet ne croit pas le moins du monde au désinté ressement des orateurs d'opposition, et sa franchise à le dire explique en partie les inimitiés acharnées qui l'ont poursuivi. L'Essieu mal graissé est une des fables qui ne pouvaient que les envenimer. D'une voiture de roulage, L'essieu criait, et ses cris incessants Des animaux jappants et mêmes des parlants. Que de criards devant moi sont passés, Cette malice trop franche de M. Viennet était la principale qualité du fabuliste; elle donnait à ses apologues une tournure de satires; elle leur imprimait un cachet d'actualité originale qui excitait les rires des amis et faisait crier les adversaires. Hors de là et quand il voulait s'élever à l'enseignement général qui sort de la peinture de la vie, le tableau manquait de couleur, et la leçon de nouveauté. Aussi, quand on relit aujourd'hui les fables de M. Viennet qui auraient dû le moins vieillir, à cause de la généralité du sujet, on se rappelle les modèles du genre dont il est resté si loin, et l'on se demande pourquoi il redit une fois de plus ces vieilles leçons de l'expérience humaine, pour les moins bien dire. Chose curieuse : les innocentes méchancetés qui lui ont fait autrefois tant d'impopularité, sont restées les meilleures parties de son talent. 3 Les poëtes d'hier et les poëtes d'autrefois. Sommeil trompeur et faux réveil. M. V. de Laprade et Aug. Barbier. La poésie se fait volontairement discrète avec un homme dont les vers ont fait quelquefois grand bruit. M. de Laprade qui, après tant de symphonies douces et pacifiques, avait attiré sur ses « Muses d'État » toutes les colères officielles, affecte de baisser la voix, pour glisser à l'oreille les seuls murmures poétiques que notre siècle consent à entendre. Il intitule son dernier recueil de poëmes: les Voix du silence, titre gracieux et modeste que la première pièce explique et développe avec un poétique bonheur. Verbe endormi dans la nature, Esprits muets au fond des bois, Échos des invisibles mondes Qu'on découvre sur les hauteurs, 1. Dentu, 18. Sentiments qu'à peine on s'avoue, Vérités que la foule insulte, Esprits cachés, esprits sans nombre, Soupirs de partout rassemblés, On a dit quelquefois que le silence avait son éloquence; je le crois sans peine, si l'on peut entendre dans le silence tant de choses que la muse redit tout haut. M. Victor de Laprade a ramené ici presque tous les sujets de ses symphonies et de ses idylles, même les héroïques. Il retrouve en même temps ce sentiment intime, et cette harmonie naturelle qui caractérisent sa poésie, soit qu'il chante la Petite fleur sur la fenêtre, le Mois des morts, le Retour aux Alpes, ou les Martyrs, le Psaume de combat, ou quelque autre des vingt petits poëmes que comprennent les Voix du silence. 1 M. Auguste Barbier, l'auteur des Iambes, était sorti, l'année dernière, d'un silence beaucoup plus long, en donnant le volume des Silves, dont les poésies contrastaient par une extrême douceur avec l'énergie brutale de ses premiers pamphlets rimés. Il a éprouvé le besoin, de rentrer encore une fois dans la lice poétique, non plus avec des idylles et des élégies, mais avec des satires. » Satires, 1 tel est en effet le titre du dernier recueil, où nous ne trouvons rien qui rappelle le Juvénal de 1830. M. Auguste Barbier a pris l'allure facile et presque prosaïque de l'apologue et du conte; ses meilleurs boutades pourraient s'attribuer à M. Viennet. Le titre du livre n'est qu'un leurre, à moitié chemin la satire s'arrête et l'auteur dit dans un épilogue: Je m'arrête et je laisse aux lèvres d'un plus fort Ce masque, l'auteur des Iambes aurait aussi bien fait de ne pas le prendre pour si peu. Après ce « léger hommage à Thalie, comme dit M. Barbier, dans le style de M. Joseph Prudhomme, le poëte remplit le volume avec un drame historique, César Borgia, écrit en vers sans rime ce qu'il appelle une tentative audacieuse, en exprimant majestueusement ce vœu : « Puisse ce nouvel exemple du vers non rimé, ne pas être un argument trop contraire à son admission dans nos habitudes intellectuelles. >> Voilà pour les idées, le mouvement et le style, où en est aujourd'hui l'auteur des Iambes. 1. Dentu, in-18, 276 Pages. |