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Femme est de l'homme doulce mort,
Femme est venin, cresme d'envie,
Femme est d'iniquité le port,
Femme est l'enfer des gens maudits,
Femme est l'ennemy de l'ami,
Femme est sépulchre des humains,
Femme est l'erreur vitupérable

Pour qui souvent tordons nos mains.

Les analyses sont plus intéressantes encore que les citations; elles tiennent presque lieu des œuvres qu'elles résument. Elles justifient plus ou moins les idées de l'auteur et, ce qui vaut mieux, mettent le lecteur en mesure de se livrer à ses réflexions personnelles.

On souhaite que M. Louis Moland élargisse le cercle de ces publications semi-savantes et semi-littéraires. Il reste encore la chanson de geste, le roman allégorique et le roman d'aventure en vers, les bestiaires, les chansons, les fabliaux et les satires; ces genres expriment aussi de diverses manières le génie national et ses transformations depuis ces époques reculées jusqu'à nos jours. Cette seconde histoire des Origines littéraires de la France donnerait lieu à des citations et à des analyses non moins curieuses et à d'aussi importantes conclusions.

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L'autorité des mémoires historiques. Saint-Simon et son éditeur, M. Chéruel.

Quels que soient les travaux personnels de M. Chéruel, auteur de remarquables études sur l'administration de l'ancienne monarchie et du très-utile Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, ce savant

1. Libr. Hachette et Cie (1855), 2 vol. in-8 à 2 colonnes, petit texte; 2e édition 1865, même format.

professeur aura surtout attaché son nom à l'édition authentique des Mémoires du duc de Saint-Simon, sur le siècle de Louis XIV et la régence1. On sait quelle révolution cet ouvrage était destiné à produire dans les jugements de la génération actuelle sur le règne de Louis XIV. On était habitué à ne voir ce grand règne qu'à travers le rayonnement de l'apothéose. Jamais le pouvoir monarchique ne s'était incarné dans une plus complète et plus belle personnification. Louis XIV était pour la postérité comme pour ses courtisans, le Roi Soleil; tout parlait de sa gloire, et c'est à peine si les malheurs des dernières années faisaient pâlir tant d'éclat. Les révélations de Saint-Simon étaient de nature à changer cette impression. Le règne de Louis XIV n'avait eu que des historiographes complaisants, il eut tout d'un coup contre lui un témoin sévère, un accusateur, un juge. La personne du monarque, ses ministres, ses courtisans, l'administration, les finances, la politique, tout avait été soumis à un examen implacable, à une impitoyable critique. Les fausses grandeurs étaient abaissées, les intrigues éventées, les hypocrisies démasquées, les hontes flétries. Une longue protestation sortait de la poussière des manuscrits, comme un cri de la conscience réveillée tout à coup après plus d'un siècle de sommeil. On a découvert bien des pièces de conviction, contre la vie et la politique de Louis XIV, depuis que l'on s'est déshabitué du fétichisme à l'égard de sa personne et de son règne, mais les diverses trouvailles des historiens modernes les plus hostiles à Louis XIV, n'ont pas toutes ensemble l'importance du témoignage accusateur de Saint-Simon, et ne pèsent pas autant sur sa mémoire.

M. Chéruel paraît s'être effrayé du résultat des révélations qu'il a lui-même rétablies dans toute leur accablante authenticité. Il veut rendre à Louis XIV le prestige que son

1. Voy. tome I de l'Année littéraire, p. 314-319.

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auteur lui a fait perdre et il juge à son tour sévèrement un juge sévère. Tel est l'objet de son livre intitulé: Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV1.

Ce n'est pas la première fois que l'on tente d'affaiblir le témoignage de Saint-Simon. Les historiens modernes qui se sont le plus servis de son ouvrage, l'ont fait avec réserve et se sont naturellement défiés de ses inévitables exagérations. Mais faut-il traiter, comme quelques écrivains monarchiques, ces récits de romanesques, n'y voir que des contes absurdes, un répertoire complaisant de scandales et de calomnies, et chercher, comme l'historien de Mme de Maintenon, M. Théophile Lavallée, dans des mémoires apologétiques intéressés, un contre-poison moral et historique? Faut-il accepter comme définitif, le jugement non moins sévère de Lemontey, qui nous montre Saint-Simon composant ses mémoires dans sa vieillesse, longtemps après les événements dont il a oublié les dates, confondant les faits, se méprenant sur les personnes, aussi incapable par la trempe de son esprit, de comprendre les grandes affaires que d'y prendre part; sans cesse égaré par sa crédulité, par ses passions, son fanatisme ducal, ses haines et ses jalousies? On a été plus loin, on a attaqué la probité même de Saint-Simon, on a mis en avant les profits excessifs que lui aurait rapportés, suivant les Mémoires du duc de Luynes, son ambassade d'Espagne, pour en conclure que le noble chroniqueur n'était pas à l'abri de la plus grossière des corruptions: la vénalité. Ce qui ne l'empêcha pas de mourir insolvable.

M. Chéruel croit à l'honnêteté de Saint-Simon, mais il accuse hautement ses exagérations et ses violences de langage; il croit que ses jugements ne doivent être admis qu'après un contrôle sévère, et la plus grande partie de son livre est consacrée à en reviser et casser les plus importants.

1. Hachette et Cie, in-8, x-660 pages.

VIII

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J'ai peur que l'éditeur de Saint-Simon n'ait été entraîné lui-même trop loin par sa sympathie pour un règne que l'ancienne école historique et littéraire représentait sous des couleurs idéales, comme le point culminant de la gloire française. C'est une réhabilitation du règne de Louis XIV qu'il entreprend aux dépens de l'historien, de ses faiblesses et de ses fautes.

Le grand procès instruit contre le plus illustre représentant de la monarchie absolue en France, n'est pas encore vidé les grands procès historiques le sont-ils jamais? Ou ne renaissent-ils pas toujours? Mais il était bon qu'il fût institué. Il était bon de rechercher ce que le grand roi avait fait de l'Etat qu'il absorbait en lui, ce que les splendeurs de la cour recouvraient de honte, et par quelle misère effroyable la nation payait le luxe de ses maîtres. Le mérite de Saint-Simon comme historien est d'avoir fait tomber le premier les voiles brillants jetés sur la vérité par l'adulation, et d'avoir fait évanouir, au grand jour de la réalité, une histoire toute de fantaisie.

Saint-Simon se fùt-il mille fois trompé dans les détails, eût-il suppléé par l'imagination à l'insuffisance des documents, amoindri ou grossi les faits sous l'influence de ses préjugés ou de ses rancunes, l'impression de l'ensemble et la suite de ses témoignages gardent leur importance, et il sort plus de vérités d'un seul chapitre de ses Mémoires que de tout le tableau de convention qui s'appelle le Siècle de Louis XIV par Voltaire. D'ailleurs la vérité accusatrice qui éclate à toutes les pages des Mémoires de Saint-Simon, s'est fait jour encore chez un assez grand nombre d'autres témoins, pour détruire l'hypothèse de calomnies systématiques, que l'âpreté de son langage et la violence de ses attaques avaient pu suggérer. On sait les révélations involontaires qui échappent à des écrivains contemporains habitués aulangage du panégyrique: La Bruyère, Vauban, Bois-Guilbert, Racine, Fénelon, laissent entrevoir la vérité dans un

temps même où une prompte disgrâce atteignait quiconque ne se servait pas de la plume ou de la parole pour flatter. Tous les témoignages recueillis sur la misère, la corruption, le brigandage, l'odieux despostime qui signalèrent le grand règne, sont à la décharge de Saint-Simon; ils permettent de s'abandonner librement à l'impression générale produite par la lecture de ses Mémoires, malgré les réserves que peuvent faire sur tel ou tel point particulier les historiens de profession.

Au milieu même de ces restrictions sévères, M. Chéruel fait des concessions qui me suffisent.

« Courtisan de Louis XIV et conseiller du Régent, SaintSimon, dit-il, s'est créé parmi les ministres et les dames de la cour, dans la magistrature et le clergé, et jusque dans les antichambres du roi et des princes, des relations intimes, qui lui ont permis de pénétrer bien des mystères. Observateur curieux et sagace, lié avec les divers partis, s'efforçant de compléter les témoignages l'un par l'autre, et de les contrôler par des documents écrits, il s'est livré à un travail consciencieux pour arriver à la vérité. Sa vie entière l'atteste.... Élaborant dans sa vieillesse les souvenirs accumulés avec une mémoire et une imagination dont les contemporains s'accordent à vanter la puissance, il a donné à ses ressentiments et à ses admirations un accent de vérité et de passion qui subjugue le lecteur. » Que demande-t-on davantage? Ne suffit-il pas que Saint-Simon ait eu assez de moyens d'informations pour ne pas se tromper gravement et assez d'honnêteté pour ne pas mentir?

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