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sers. Le teint est mat avec une nuance rose-thé. Le front est pur et les sourcils, très-abondants, semblent dessinés au pin

ceau.

Les yeux sont célèbres, ils sont gris, et l'ombre portée par les paupières en adoucit l'éclat. En fixant longtemps ces yeuxlà, on distingue sous le cristal des parcelles jaunes qui roulent comme des paillettes d'or au fond du Pactole....

Les cheveux, qu'elle porte en bandeaux très-larges, ont le brillant particulier aux cheveux des Anglaises; ils ont des modelés noirs et des parties lumineuses, comme les oreilles des épagneuls bien coiffés.

Les épaules sont pleines, d'une belle courbe, la gorge est presque abondante, elle n'a point la sérénité inaccessible du

Paros....

....

Prenez vos jumelles et regardez-la, son œil brille dans le demi-jour des loges comme le regard des félins luit dans la nuit; sa tenue est modeste et digne, presque craintive; par moments elle se dérobe, se renverse un peu sur le dos du fau teuil, de telle sorte qu'elle est presque cachée par la saillie de la grande sirène d'or qui supporte les loges supérieures. Singulier hasard qui donne une allégorie transparente....

Ce n'est point une biche légère, c'est un cygne avec des yeux d'antilope; elle cache Impéria sous les traits d'Agnès, et ses camélias prennent des airs de fleurs d'oranger. Rien n'est perfide comme ces regards d'orpheline qui semblent aspirer à la léthargie du foyer domestique.

Voilà bien un complet échantillon de la langue des moralistes de notre temps. C'est là un portrait, mais il est moderne. Tous les traits ont besoin de vieillir, de devenir familiers à nos yeux et à nos oreilles, de pousser au noir, comme disent les habitués de l'atelier.

L'amour du pittoresque y domine et prime un peu trop peut-être ce respect de l'idée juste, ce soin de généraliser les caractères qui rendent si vraies les peintures des moralistes. C'est encore un signe du temps; l'ensemble ne nous touche plus, nous avons la passion du détail, et du détail extrava gant, scabreux, impossible. Il nous faut de l'originalité quand même. Aussi les Portraits parisiens, malgré l'incontestable talent d'écrivain de leur auteur, doivent-ils une

grande partie de leur vogue à un attrait de curiosité : les lecteurs désœuvrés n'en comprennent pas le charme littéraire qui est cependant la meilleure part des livres de M. Ch. Yriarte.

Le livre et le journal. Causeurs et chroniqueurs. L'improvisation quotidienne. MM. About, J. Noriac et Léo Lespês.

Le journal tend de plus en plus à supplanter le livre. Il appelle à lui tous les écrivains de valeur ou de quelque renom; il met en réquisition tous les talents, les éparpille, les gaspille en menue monnaie. Il dévore par miettes et parcelles ce temps précieux que réclament les œuvres importantes. Le livre s'en va. Cependant le volume reste: on le compose avec ces fragments tombés au jour le jour d'une plume affairée. Et ces articles qu'on recueille partout où on les a semés, sont de moins en moins importants. On avait commencé par des études détachées, mais sérieuses, pièces de résistance du journal ou de la revue. Trois ou quatre suffisaient, réunies, pour faire un semblant d'ouvrage. Aujourd'hui, l'on ramasse tout, les articles d'actualité, les entre-filets, les faits divers, les échos. Cette manie nous produit une foule de petits volumes, composés de riens vieillis et décolorés.

Dans le nombre pourtant, l'esprit qui surnage toujours et peut soutenir les choses les plus éphémères, donne à quelques-uns de ces recueils une apparence de vie, et l'on peut s'y arrêter comme à des échantillons d'un nouveau genre de littérature. Prévenons toutefois nos lecteurs que l'échantillon vaut mieux que la pièce, et qu'il ne faudrait pas attribuer à toutes ces publications, filles du hasard et de l'actualité, la valeur que présentent encore celles dont

nous allons nous occuper.

M. Edmond About donne au dernier volume qu'il a ainsi formé, son vrai titre : il l'appelle Causeries'. Causeur attitré de l'Opinion nationale, il est un des meilleurs types du causeur, tel que le journal le réclame. Son esprit a de la vivacité et de la souplesse; il se porte partout où la curiosité du jour l'appelle; il ne reste nulle part plus longtemps que le caprice du public ne le commande. Il touche à tout d'une main légère, hardie et sûre d'elle-même littérature, politique, théâtre, chronique mondaine, philosophie, nécrologie, religion, inventions, faits divers, etc. Sa causerie est l'écho de l'histoire du temps; elle en rend toutes les notes; mais elle en force quelques-unes, celles qui donnent à sa franche individualité l'occasion de s'accuser mieux.

Les qualités d'un causeur comme M. About ne s'analysent pas; on les montre. Que nos lecteurs en jugent euxmêmes par quelques citations. A propos de la vente après décès des toiles et ébauches dh peintre Delacroix, M. About résume d'une manière très-vive la carrière de cet illustre artiste qui a fait, dit-il, une demi-douzaine de chefsd'œuvre et des horreurs par centaines. Ce jugement est un peu sommaire, mais la chronique qui suit n'est pas trop lestement expédiée.

«

.... Comment expliquer la folie furieuse du public, qui a payé vingt-sept mille francs les quatre tableaux de fleurs à jeter par les fenêtres, et couvert d'or les moindres balayures de l'atelier? Pourquoi des amateurs intelligents se sont-ils disputé des croquis informes, qui ne sont ni de Delacroix, ni de ses élèves, mais plutôt de quelques collégiens en retenue ou même du vitrier d'en face? Ah! la fièvre des enchères! Elle produit les mêmes effets que la fièvre du jeu : on oublie, devant ce tapis vert, qu'un louis vaut vingt francs et que vingt francs représentent le pain de huit jours pour une famille de six personnes. J'ai vu un homme sans fortune, presque pauvre, rapporter triomphalement dans ses foyers un barbouillage in

1. Hachette et C'e, in-18, 384 pages.

forme, sans haut ni bas, où le diable lui-même n'aurait su découvrir la place du piton. Il en avait pour cinq cents francs, le malheureux! N'a-t-il pas mérité qu'on le fit interdire? Sa belle emplette vaudra cent francs dans trois mois ; j'espère que dans trois ans on en pourra tirer quarante sous.

La vanité qui est le fond de l'esprit français, n'a pas été étrangère à cette orgie. De même qu'on a donné cent francs pour applaudir Mme Ristori et faire croire qu'on entend l'italien, on donne vingt-cinq louis pour applaudir Delacroix et persuader aux autres badauds qu'on sait le fin de la peinture. Tant pis pour vous, mes bons amis! Il faut que sottise se paye.

M. About élève au besoin la voix et traite à sa manière les graves sujets du moment. La question religieuse, dont la question romaine n'est qu'un épisode, l'attire quelquefois, mais sans le faire sortir du ton qui convient à la causerie. Je trouve dans son volume de charmantes choses sur la fameuse affaire de la Vie de Jésus et les débats universels auxquels donnait lieu la pastorale sacrilége de M. Renan. A propos de l'édition populaire à vingt-cinq sous, M. About se moque finement de cette jolie préface ou l'auteur veut démontrer qu'il écrit en homme religieux, pour répandre la religion dans les campagnes, et il se déclare trop bien élevé pour lui donner un démenti. Cependant, il remarque comment notre époque va perfectionnant de jour en jour l'abus des mots, et au milieu des équivoques de langage et des contradictions de doctrines, il renonce à comprendre la véritable pensée de l'auteur de la Vie de Jésus, dont il a envie de faire tour à tour un parfait chrétien, un athée résolu, un froid déiste, un mystique attendri. Le trait le plus original de toute cette bruyante histoire, est le dissentiment que le livre de M. Renan fit éclater au sein de notre protestantisme. M. About le raconte ainsi, touchant aux points essentiels et sérieux sous une forme plaisante.

Voici en quatre mots la cause des ouragans qui agitent ce verre d'eau froide. Un certain nombre de protestants français

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se rapprochent insensiblement de l'orthodoxie catholique : les rites sont modifiés, l'aspect des temples se transforme, les versets et les répons s'introduisent dans la liturgie, la confession auriculaire revient sur l'eau; le clergé, par une prétention toute nouvelle, se fait le juge et l'arbitre souverain du vrai, au détriment de la liberté individuelle: mais, comme il n'y a pas d'action sans réaction, une multitude de protestants, par un mouvement énergique, se jettent dans les bras du rationalisme. Ils désertent le dogme et nient la divinité de Jésus, sans recourir aux circonlocutions attendrissantes de M. Renan. Les chefs de ce parti sont trois hommes d'un caractère et d'un talent hors ligne : M. Colani et M. Leblois à Strasbourg; et M. Athanase Coquerel à Paris. M. Athanase Coquerel était pasteur à la fin du mois dernier; l'intolérance du clergé l'a brisé comme un verre, mais les morceaux en sont bons. N'est-il pas singulier de voir les anciennes victimes de la révocation de l'édit de Nantes, pratiquer la persécution à leur tour? J'ai toujours eu pitié des moutons, parce que le boucher les brusque un peu pour avoir leurs côtelettes; mais je commence à croire que si on leur prêtait un couteau, ils mangeraient demain des côtelettes de boucher.

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Ce qui fait l'originalité de M. About, c'est ce mélange d'extrême raison et de légèreté excessive; il vous impose par des idées justes et presque profondes, il vous échappe par des gamineries inattendues. Son style s'élève naturellement avec les sentiments généreux, puis il tombe dans une trivialité volontaire, dans ce que l'on appelle, en argot, la blague, pour se servir du mot que le père Ventura ne craignait pas de faire entendre dans la chaire de la Madeleine. Mais je ne puis rester ici plus longtemps avec le même auteur, même lorsqu'il a le don de rendre la sagesse amusante. Je quitterai le livre de M. About, après en avoir encore tiré une petite silhouette littéraire, celle d'un auteur dramatique, que jusqu'à présent le cadre de mon livre n'a pas assez mis en lumière.

Quel excellent et heureux garçon que ce Lambert Thibous t! l'esprit le plus petillant, le cœur le plus ouvert, le visage le

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