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M. Quinet ne pratique pas ce système d'excuses pour tout le monde, et la sévérité de ses appréciations sur quelques personnages réhabilités de nos jours par des écoles complaisantes, a excité contre l'auteur de la Révolution les colères de ses anciens amis. Marat n'est pas flatté ordinairement par les peintres; M. Quinet refait son portrait, ici avec un peu de déclamation, là avec une énergie pittoresque Le front voilé, chevelu, la face cuivrée, l'œil tout grand ouvert au soupçon, sous d'épaisses arcades sourcilères, les narines dilatées, le nez massif, carnassier, mufle en quête de la proie, la bouche hurlante avec un ricanement de bête fauve, mêlé de joie et de fureur, il prenait en pitié, comme autant de pygmées, Danton et Robespierre. Dans son extase de férocité, il se riait de leur mansuétude. »

Tous les hommes qui ont trempé dans les barbaries systématiques de la Terreur ne peuvent attendre de M. Quinet que le bénéfice des circonstances atténuantes; le système lui-même est condamné énergiquement. Il montre com ment, à bien des siècles de distance, « le terrorisme français et le terrorisme hébraïque se répondent. » Ils appartiennent au même système : Joseph de Maistre ne se défendait pas d'une secrète admiration pour le Comité de salut public. « Le faux engendra l'atroce. » Aujourd'hui l'atroce est répudié, mais le faux n'a pas abdiqué, et c'est ce qui fait que certains hommes, tout en séparant le système de ses moyens d'exécution, se montrent volontiers indulgents pour les fureurs de Robespierre et des Jacobins, comme d'autres pour les massacres et cruautés de Moïse, de Mahomet, du dur d'Albe, de Ziska, ou de Henri VIII. Aux yeux de plusieurs, le plus grand tort de la Terreur est de n'avoir pas réussi; aux yeux de M. Quinet, c'est d'avoir été la Terreur1.

1. C'est particulièrement cette condamnation absolue de la Terreur qui a excité contre le livre de M. Edg. Quinet les plus fortes polémiques. M. Alph. Peyrat, rédacteur en chef du nouveau journal quotidien l'Avenir national, s'est signalé par la vivacité de ses attaques contre

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Il y a dans la Révolution un chapitre qui porte ce beau titre La liberté est condamnée à être humaine, » et l'auteur ne croit pas que le despotisme des plébéiens puisse jamais être bienfaisant. Promettre la liberté en la retirant est un éternel sophisme. La dictature anéantit ceux qu'elle se propose de régénérer. En comparant les efforts, les sacrifices, le sang répandu, aux résultats obtenus par la Révolution, M. Quinet sent redoubler sa tristesse. La mort des Girondins, les seuls représentants de la liberté, lui inspire cette reflexion amère :

Une chose reconcilie, dans d'autres histoires, avec les fureurs des hommes: le sang versé y est presque aussitôt fécond. Quand je vois couler celui des martyrs, je vois en même temps le christianisme grandir sous la terre au fond des catacombes. De même dans la Réforme, dans la Révolution anglaise, le sang de Zwingle, de Guillaume le Taciturne de Sidney est tombé sur un sol fertile, et il a enfanté la vie. Le sang a coulé plus abondamment chez nous, et de sources aussi hautes; il n'y a aucun rapport entre les sacrifices des victimes et le résultat obtenu par la postérité.

La pensée exprimée par cette dernière ligne a été reprochée à M. Quinet comme une sorte d'outrage à la Révolution. On lui a rappelé toutes les conquêtes de 1789, consolidées au milieu des orages de 1793, propagées par l'Empire, respectées par la Restauration, et survivant depuis deux tiers de siècle à toutes les vicissitudes de révolutions et de contre-révolutions française et européenne. Elles se résument partout en une transformation politique, civile

des arrêts si sévères; et des répliques non moins vives se sont produites dans le Temps, journal de M. Nefftzer.

En dehors de ces débats nous devons signaler comme source inépuisable de renseignements sur une époque si discutée, la continuation de l'ouvrage de M. Mortimer Ternaux, l'Histoire de la Terreur, d'après les documents authentiques, etc. Ce travail considérable, dont nous avons déjà parlé deux fois, est arrivé au cinquième volume, qui contient jusqu'à la mort du roi. (Michel Lévy, in-8. 574 p.)

et sociale, qui fait de la Révolution française comme une nouvelle ère universelle. L'historien ne peut méconnaitre de tels faits, le philosophe ne peut pas n'y point applaudir.

Oui; mais l'homme politique a le droit de les discuter, de peser les avantages et les pertes, et d'opposer aux progrès accomplis dans les institutions et les lois, les défaillances dans les idées et dans les mœurs. Il y a, pour les nations, des mouvements de recul que chacun peut apprécier à sa manière, mais qui sont des épreuves douloureuses pour les hommes de foi. Quand on a cru pendant toute sa vie au progrès et à la liberté, il est triste de voir son pays retourner en arrière ou tourner dans un cercle d'évolutions stériles, et de s'entendre dire que nous ne sommes pas faits pour être libres.

Faut-il parler davantage de la forme d'un livre où les idées surtout ont du prix? Je considère la Révolution de M. Quinet comme une de ses meilleures œuvres au point de vue littéraire. C'est une analogie de plus avec les Considerations sur la Révolution française de Mme de Staël. Quand les écrivains richement doués sont forcés par l'intérêt même du sujet de s'occuper plus des idées que de la forme, ils rencontrent leur forme la meilleure, c'est-à-dire la plus naturelle et la plus forte. Le style de M. Quinet est ici plus simple qu'à l'ordinaire, plus sobre d'ornements superposés, d'excroissances poétiques; il n'affecte pas ce mouvement lyrique, cette profusion d'images qui donnent à plusieurs de ses autres ouvrages un faux air d'apocalypse. Des rapprochements inattendus ramènent encore de temps en temps des métaphores empruntées à la mythologie, à l'astronomie, à la géologie, aux diverses sciences, à tous les arts, mais ces traits d'une rhétorique inopportune sont plus rares, et quelques-uns sont d'un grand effet. Je vois par exemple une assez longue assimilation entre les révolutions politiques et sociales et les révolutions du globe qui amènent au jour des créations nouvelles, en brisant vio

lemment des mondes entiers d'organisations antérieures. Dans cette succession de types, il y a des analogies, des liens entre le présent et le passé; il subsiste, dans une faune nouvelle, des formes de l'ancienne faune; la nature et l'histoire semblent se répéter, et l'observateur se fait facilement illusion sur la loi de ces reproductions qu'il croit stériles, dans la faune humaine comme dans la faune ordinaire. M. Quinet explique et détruit ainsi cet effet d'optique morale :

Après la chute de la Révolution, depuis le 18 brumaire, on revoit des analogues et des représentants de tout le passé. Il semble que l'on est revenu au point de départ avant 89! Noblesse d'épée, hiérarchie, centralisation, intendants sous le nom de préfets, pouvoir absolu sous le nom de dictature perpétuelle. Les vieilles formes sociales et politiques reparaissent l'une après l'autre ; plusieurs imaginent, espèrent, craignent un retour aveugle dans le moule du passé.

Mais c'est là une illusion de l'esprit. Le moule des choses humaines, aussitôt que brisé a été recomposé sur un type différent; il n'appartient à personne de s'y opposer. Les organisations qui ont disparu une fois ne reparaissent plus. De la monarchie de Louis XIV à la monarchie de Napoléon, il y a aussi loin que de l'éléphant velu de Sibérie à l'éléphant de nos jours. Entre les uns et les autres, il y a un déluge.

Quelquefois le trait final manque l'effet cherché, parce qu'il est trop commun. A propos de Mme Roland et de sa pénétration d'esprit dans un monde d'intrigues, M. Quinet achève ainsi sa pensée : « Il y a des natures de cristal auxquelles l'approche du faux se révèle immédiatement par le contraste. Ces natures peuvent servir de pierre de touche. C'est le diamant qui éprouve toutes les autres pierreries.

Toute cette rhétorique n'est pas de mise dans l'histoire. Fût-elle toujours d'un éclat plus neuf et d'un goût plus sûr, on reproche volontiers à celui qui s'en sert, de prendre des mots pour des idées et des comparaisons pour des raisons. Mais, je le répète, cet abus de la poésie qui s'explique par un reste d'habitude chez l'auteur d'Ashavérus et de Merlin,

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n'est plus le ton ordinaire de M. Quinet, et la Révolution restera un de ses meilleurs ouvrages d'histoire politique par la force et la simplicité relative du style, comme par la franchise et l'indépendance des appréciations.

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L'histoire d'Angleterre et ses rapports avec celle de France. Influence des idées nationales sur les jugements historiques. MM. Wallon, Dargaud, lord J. Russell.

L'histoire d'Angleterre est d'autant plus intéressante pour la France, que les destinées des deux pays ont été souvent mêlées. Les intérêts de la paix les rapprochent aujourd'hui; d'effroyables guerres les montrent aux prises dans le passé. Chercher dans l'étude approfondie des institutions anglaises les causes d'une puissance qu'elle a tournée si longtemps contre nous, c'est encore étudier notre histoire nationale. C'est ce que M. Wallon a parfaitement compris dans son remarquable travail historique: Richard II, épisode de la rivalité de la France et de l'Angleterre 1.

Le règne de Richard II, nous dit-on avec raison, a une importance capitale dans l'histoire de l'Angleterre et de la France. C'est l'époque où les deux nations, au plus fort de leur rivalité, au milieu de la guerre de Cent ans, semblent au moment de renoncer à leur rivalité pour s'unir et exercer en commun une action prépondérante en Europe; et jamais on ne sentit mieux que Richard l'importance de cette union pour les deux pays: «Car, disait-il à Charles VI en formant avec lui ces liens, là où nous serons ensemble d'un accord et d'une alliance, il n'est roi chrétien ou autre qui nous puisse porter contraire. Jamais aussi on n'eut et on n'exprima plus fortement la conscience des devoirs que cette puissance née de leur accord imposait aux deux peuples: «S'ils apprenaient, disait Richard à son Parlement pour l'entraîner à cette action commune, s'ils

1. Hachette et Cie, 2 vol. in-8, VIII-520-568 pages.

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