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apprenaient que roi, prince ou toute autre personne voulût en quelque partie du monde, opprimer le peuple chrétien, ils étaient de droit tenus, par leur titre même, à marcher contre l'oppresseur, à le détruire, et à rétablir l'opprimé dans son ancien état. Mais le préjugé national fut plus fort que le roi; et il eut une influence directe sur les crises sanglantes de ce -règne. C'est l'autre face du sujet et non la moins émouvante. Une autre lutte était engagée, en effet, en même temps que cette lutte déjà séculaire d'où Richard II voulait tirer son pays: la lutte de la royauté et du Parlement; et c'est ce qui donne à ce règne une importance décisive dans l'histoire de la constitution anglaise. C'est alors que commence, avec le premier exemple d'un roi mis en tutelle et à la fin jugé en Parlement, la longue histoire de la Révolution en Angleterre.

On connait le dénoûment de cette histoire par la fameuse tragédie de Shakspeare: la Vie et la Mort de Richard II. Mais Shakspeare, en donnant ce titre à sa tragédie, ne l'a pas complétement justifié. Le tableau eût été plus vrai et l'émotion produite par la catastrophe plus saisissante, s'il avait pu mettre en scène cette vie tout entière: montrer l'enfant dont l'héroïque inspiration sauva sa capitale et son pays d'une insurrection rendue plus furieuse par la mort de son chef Wat-Tyler; puis le jeune prince qui à vingt-deux ans, seul encore, sans appui, sans conseil, sut reprendre d'un mot le pouvoir des mains d'un oncle qui l'en avait traîtreusement dépouillé; et les intrigues parmi lesquelles il poursuivit, sans se laisser troubler, son grand projet de paix et d'alliance entre l'Angleterre et la France. Quand on a vu Richard traversant les épreuves de ce règne agité, on comprend mieux les événements, on connaît mieux les personnages qui en précipitent la fin d'une manière si tragique, et sans méconnaitre les fautes du jeune roi, on éprouve plus de sympathie pour ses malheurs, lorsqu'il tombe du trône à l'âge de trente-trois ans.

L'histoire est donc un complément nécessaire du drame : mais l'historien a un rôle plus sérieux à remplir ici. Un règne qui se passe en de si violents débats, qui fiuit par un changement de dynastie, a dû exciter bien des passions; et c'est sous le gouvernement de la dynastie triomphante que les vicissitudes nous en ont été racontées! On voit le péril pour qui écrit en pareilles circonstances; et même en des temps plus modernes, plusieurs, par l'effet de ces mêmes passions qui survivent aux rois et aux dynasties, ont recueilli et renouvelé ces

arrêts prononcés contre le vaincu par le parti vainqueur. C'est en dehors de ce cercle d'influences, c'est dans les actes publics que le nouvel historien a cherché les principaux éléments de son récit et les motifs de ses jugements et sans parler de Froissart, quelques narrations écrites en France par des témoins des faits, lui ont permis de rendre aux derniers évéments de ce règne leur vérité, tout en leur gardant la vie qui circule dans les récits du temps.

M. Dargaud, l'auteur estimé de l'Histoire de la liberté religieuse en France 1, de plusieurs autres travaux historiques et de divers volumes de voyages, a publié récemment une Histoire d'Élisabeth, pour servir de pendant à celle de Marie Stuart qu'il avait donnée au public il y a une quinzaine d'années. Ces travaux ont reçu l'accueil qu'ils méri taient pour le soin de la forme et la conscience des recherches. Essayer de peindre la triomphante Élisabeth de la même main qui avait esquissé la touchante figure de Marie Stuart, paraissait téméraire. Il était difficile d'intéresser au sort du bourreau, après nous avoir fait pleurer sur la victime. .M. Dargaud est arrivé à l'un et l'autre résultat sans se mettre en contradiction avec lui-même. Il lui a suffi de montrer la réalité des différents points de vue sous lesquels elle se présente. En prenant les faits pour guide, l'historien des deux reines rivales a placé chacune d'elles dans son vrai jour. Il a laissé, suivant une heureuse expression de M. Jules Janin2, à l'une son charme, à l'autre sa majesté.

Le célèbre critique remarque qu'une telle impartialité n'est possible qu'à un écrivain étranger. Une plume anglaise eût nécessairement passionné l'une ou l'autre histoire. Chez nous on a trop de sympathie peut-être pour Marie Stuart, de l'autre côté de la Manche souffle un enthousiasme excessif pour Élisabeth. Une anecdote récente vient

1. Voy. tome III de l'Année littéraire, page 326 et suiv., et tome IV, page 374, et suiv.

2. Journal des Débats, 13 janvier 1866.

à l'appui. Mme Ristori, la célèbre tragédienne, essaya de jouer à Londres la traduction de la Marie Stuart de Schiller, qui lui avait valu tant de succès à Paris. La foule accourut, nombreuse et sympathique; mais bientôt des murmures accueillirent les vers favorables à la reine d'Écosse. Enfin, dans la fameuse scène qui met les deux femmes en présence, au moment où Marie prisonnière humilie la toute-puissante Élisabeth et l'appelle une bâtarde, il y eut dans le public une explosion d'indignation et le drame ne put aller plus loin. Le péril est moindre en histoire, dit M. Jules Janin, mais il est réel. M. Dargaud y a échappé, et sans flatter le patriotisme anglais, il n'en a pas moins montré la reinepape dans toute sa force et développé toutes les causes profondes de sa popularité. Adoptant, là où elle est de mise, la manière de Walter Scott, il a multiplié les portraits de personnages et les descriptions de sites pittoresques; il a donné ainsi l'intérêt du roman à l'histoire1.

Une traduction nouvelle a rappelé l'attention sur un livre remarquable d'un homme d'État anglais, l'Essai sur l'histoire du gouvernement et de la constitution britannique, du comte John Russell. Il ne s'agit pas d'une actualité, il s'en faut; l'ouvrage, qui date de quarante ans, a cela d'important que, publié au début d'une carrière longue et bien remplie, il en marquait d'avance les lignes générales. Il intéresse aujourd'hui comme une profession de foi rétrospective à laquelle un grand personnage politique est resté fidèle. L'auteur en donne une édition nouvelle avec une satisfaction intime. Il a apporté quelques légers changements à peine à l'œuvre de sa jeunesse, et il a composé une introduction avec les réflexions de son âge mur. La traduction de l'ou

1. On a annoncé la mort de M. Dargaud dans les premiers jours de janvier 1866. Il était dans sa soixante-sixième année.

2. Dentu, in-8, cxш, 336 pages.

vrage et de l'introduction est de M. Charles Bernard-De

rosne.

Un sentiment domine l'Essai sur l'histoire du gouvernement et de la constitution britannique de lord John Russell, c'est celui de la grandeur de son pays et de l'excellence des institutions qui l'ont assurée. La constitution anglaise n'est pas sans défauts, mais elle est perfectible; le gouvernement peut commettre des fautes, mais il est amené à les réparer par la toute-puissance de l'opinion publique. La liberté guérit elle-même ses blessures, et, le contrôle incessant de tous sur les actes des chefs de l'État, ne leur permet pas de pousser jusqu'à l'extrême les abus qui peuvent naître des défectuosités de la loi. Offrez aux Anglais une constitution nouvelle d'une perfection toute idéale, ils préféreront garder leur constitution séculaire dont ils n'ignorent pas les vices, mais dont ils ont éprouvé les bienfaits. Voici comment lord John Russell exprime ce sentiment:

Après tout, quand on parle des « bienfaits de la Constitution sous laquelle nous vivons, ce n'est pas là une phrase insignifiante. Ces bienfaits, les étrangers et la plus grande partie de la nation les reconnaissent. Notre liberté peut bien être une monnaie effacée et altérée; mais cette monnaie est encore préférable à toutes les garanties en papier qu'on pourrait nous offrir. Nous parlons, nous écrivons, nous pensons, nous agissons sans craindre une Inquisition ou une Bastille. Nous revėtons la liberté comme si elle faisait partie de nos habits; et les débris des temps anciens et des institutions, toutes caduques qu'elles peuvent être, offrent encore un point de vue plus consolant et plus agréable qu'une nouvelle Constitution, qui, tout admirable qu'elle est, réclame de nouvelles maximes de conduite, comme de nouvelles notions de justice et d'équité.

L'Essai de lord John Russell est à la fois un livre d'histoire et de critique politique. Il remonte au règne d'Henri VII et descend jusqu'à l'époque moderne. Il prend un à un les différents règnes dont il résume les événements, et s'arrête

surtout à considérer les institutions dans leur naissance et dans leur progrès. On pourrait lui reprocher, comme à certaines grandes œuvres du siècle dernier, des divisions trop nombreuses qu'aucune classification supérieure ne rattache. Le fil historique ne suffit pas toujours à remettre de l'ordre dans des matières assez diverses. On conçoit un chapitre sur la réformation à propos d'Henri VIII, ou sur la révolution à propos de Cromwell; mais les réflexions générales sur la liberté, ses définitions et ses applications, sur la loi et les partis, sur le sens de la justice, etc., viennent-elles toujours exactement à leur place, dans des chapitres séparés, entre deux règnes? Mais aucune des questions importantes de la science politique n'est omise dans ce volume, el sur chacune, on trouve sinon des solutions incontestables, du moins des considérations d'une sérieuse valeur. Sous le titre d'Essai, lord John Russell avait écrit un véritable tableau de la grandeur et des progrès de la monarchie britannique. L'homme d'État qui aujourd'hui, à l'âge de soixante-quatorze ans, tient encore les rênes du gouvernement, avait trente-trois ans quand il traçait la théorie et l'histoire du système politique qu'il devait servir.

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La vulgarisation de la science historique. MM. F. de Lanoye,
J. Zeller et Bouillet.

La science historique a ses vulgarisateurs comme toute autre science. Les uns s'adressent à la jeunesse, presque à l'enfance, et mettent à leur portée les résultats des plus récentes découvertes; les autres parlent aux gens du monde, aux dames mêmes, et amènent sous leurs yeux, à leurs pieds, les plus grandes figures du passé; d'autres enfin fournissent au travailleur des répertoires utiles, indispen

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