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sables. MM. F. de Lanoye, J. Zeller et Bouillet nous montrent des exemples notables de ces trois genres de services.

Il y a de grands sujets de curiosité sur lesquels je vois toujours avec plaisir se multiplier les petits livres. Telle est 'histoire de l'antique Égypte. Aucune étude ne mérite autant de prendre place dans les préoccupations modernes. Si le berceau même de la civilisation n'est pas sur les bords du Nil, c'est là qu'elle a grandi pendant de nombreux siècles, abandonnée à elle-même et à ses propres lois, protégée par l'isolement contre les altérations qui suivent la fusion des nations entre elles. Si l'on ne sait à quelle époque et comment la lumière s'est faite sur l'Égypte, on sait comment elle a rayonné de là sur les peuples voisins. Les colonies égyptiennes ont contribué au progrès de la Grèce ou lui ont donné l'impulsion. Un voyage en Égypte était le complément obligé de l'éducation des législateurs et des sages. Les Juifs, qui ont tant légué au monde chrétien, avaient beaucoup pris à l'Égypte, où nous sommes ainsi ramenés par l'histoire des nations les plus diverses.

Sans embrasser dans son ensemble toute l'antiquité égyptienne, M. Ferdinand de Lanoye en étudie l'époque la plus brillante dans un de ces petits volumes illustrés destinés à vulgariser les dernières découvertes de la science. Rhamsès le Grand ou l'Égypte il y a 3300 ans, est le pendant naturel de l'Inde contemporaine du même auteur. Rhamsès II (nos livres de classe disaient et, je crois, disent encore Rhamsès III) s'appelle aussi, dans les monuments, Meiamoun le Grand; c'est le fameux Sésostris des Grecs. Sous lui, l'Égypte brille dans tous les arts et arrive à son plus haut degré de puissance et de prospérité; elle accomplit des travaux gigantesques, se couvre de monuments, se répand sur une partie du monde par la guerre et la conquête, et laisse partout souvenir de son passage. Des

1. Hachette et Cie, in-18, 320 pages, avec cartes et gravures.

rochers taillés en bas-reliefs et portant des inscriptions attestent encore la véracité des témoignages de l'histoire. M. de Lanoye, pour nous faire connaître ce grand siècle, raconte et décrit tour à tour; il appelle à son aide le dessin, la gravure, et met sous les yeux de chacun des spécimens réduits de ces merveilles architecturales dont les grandes collections de Paris, de Londres ou de Vienne, détaillent les richesses dans de somptueuses publications. La science, même celle des hiéroglyphes, ne fait pas défaut à ce livre modeste, mais elle n'y vient qu'en second plan; l'intérêt historique et pittoresque est et devait être le principal objet de cette œuvre intelligente de vulgarisation.

Je m'étonne que les entretiens, conférences et lectures publiques qui sont devenus à la mode dans ces dernières années, n'aient pas eu plus souvent leur écho dans le livre. A peine quelques orateurs de passage ont-ils publié en brochures les causeries qu'ils avaient faites sur un sujet. déterminé1. En général, ces cours familiers de littérature ou d'histoire ont une allure trop mondaine ou un fond trop léger pour paraître dignes de revenir devant les yeux d'un public plus exigeant sous forme de volumes. Offert comme un spectacle ou un délassement à la curiosité des oisifs, les entretiens, les conférences libres ou officiellement organisées ne peuvent avoir qu'un objet utile, la vulgarisation des choses les plus attrayantes ou les plus accessibles de l'art et de la science. On les rattache officiellement à l'enseignement supérieur. C'est une illusion; elles

1. Parmi les conférences qui ont affronté le plus heureusement le péril de l'impression, je citerai celle de M. L. Asseline, à la rue de la Paix, sur Diderot et le dix-neuvième siècle (Marpon, in-8, 30 pages). C'est un tableau plein de chaleur de la vie du célèbre philosophe, de son action sur le présent et de son influence sur l'avenir. Peu d'articles littéraires, dans les revues, ont autant d'intérêt, et si les conférenciers comptaient beaucoup de causeries de cette valeur, ils auraient bien raison d'imiter les reviewers et d'en faire des livres.

ne le représentent dans les Facultés où elles ont pris place, que pour l'abaisser et le rendre futile. Si l'on veut absolument les classer, c'est à l'enseignement primaire qu'elles se rapporteraient plutôt; elles sont les classes d'adultes de la bourgeoisie.

L'aristocratie veut avoir aussi ses classes d'adultes et les fait faire chez elle. Les princes donnent l'exemple, et les cours qui ont lieu chez eux sont quelquefois assez forts pour supporter la lecture après le succès de l'audition. C'est ainsi que se sont formés les deux premiers volumes des Entretiens sur l'Histoire, de M. Jules Zeller1, La dédicace de l'ouvrage à la princesse Mathilde explique suffisamment les circonstances dans lesquelles il est né. « La princesse avait désiré, nous dit l'auteur, avoir des entretiens sur l'histoire générale. En choisissant dans ses affections et dans son intimité les plus proches, elle a bien voulu composer un auditoire aussi aimable que distingué. »

Quel que soit l'auditoire, de simples entretiens ne doivent avoir ni la gravité ni la suite rigoureuse d'une histoire écrite. Ils choisissent entre les événements au lieu de les raconter tous; ils discutent, ils apprécient plus qu'ils ne racontent; ils peignent les personnages sans analyser leur vie qu'ils supposent connue; ils cherchent dans les faits et les hommes ceux qui paraissent résumer et représenter une époque; ils font ressortir le caractère intime des grandes évolutions de l'histoire et les conséquences qu'elles ont produites pour un peuple ou pour l'humanité.

M. Zeller avait choisi pour sujet principal de ses entretiens sur l'histoire une époque importante, mais obscure, féconde, mais d'une difficile étude, le moyen âge. Avant d'y entrer, il devait en éclairer les origines, et il parcourut rapidement l'histoire des nations qui nous ont légué quelque chose de nos idées ou de nos institutions. L'Orient avec ses castes el

1. Didier et Cis, tome I-II; XIV-408-472 pages.

son despotisme, la Grèce où la liberté féconde les arts, Rome et sa forte constitution politique, le judaïsme et le christianisme avec leur deux lois si contraires et si intimement rattachées l'une à l'autre, nous représentent la longue élaboration de la société européenne moderne, où les barbares viennent mêler un sang nouveau et une jeune séve aux vieux éléments de la civilisation.

Après l'invasion barbare, M. Zeller nous montre les fondateurs d'empires, Clovis et Théodoric; puis le restaurateur de la société byzantine, Justinien. Une étude générale des institutions et des mœurs de la société gothique prépare celle de la fondation de l'unité chrétienne avec Grégoire le Grand. La barbarie chrétienne du moyen âge ne peut s'isoler de la civilisation arabe dont elle subira l'heureuse contagion. M. Zeller nous fait voir dans Mahomet l'origine de la religion nouvelle, et, sous le califat, la suite de ses conquêtes. Les deux sociétés en présence peuvent se résumer dans deux grandes figures, Charlemagne et Harounal-Raschid. Viennent ensuite la féodalité et la chevalerie; puis la théocratie se constitue sous la main de Grégoire VII; saint Bernard prêche les croisades, cette solution, au moyen âge, de la question d'Orient. Les républiques se fondent, les communes s'affranchissent, la royauté se met hors de page, saint Louis répand la gloire de ses vertus sur la monarchie française.

Telle est la suite des tableaux que présentent les Entretiens sur l'histoire de M. J. Zeller; ils sont esquissés d'une main ferme et donnent à chaque sujet tout son relief. L'hommage sympathique rendu tour à tour aux intentions généreuses, aux vues élevées des personnages les plus divers, les justes sévérités contre les préjugés, l'ignorance, la barbarie, sous quelques dehors qu'ils se cachent, attestent chez M. Zeller l'indépendance et l'impartialité de l'historien.

Le célèbre auteur du Dictionnaire universel d'histoire et

de géographie, M. Bouillet, est mort, il y a un an, en laissant en manuscrit un ouvrage destiné à servir de complément à celui qui porte spécialement son nom. C'est un Atlas d'histoire et géographie', auquel l'auteur a donné, autant que possible, la forme de dictionnaire, par reconnaissance sans doute pour l'accueil favorable fait aux premiers ouvrages publiés par lui sous cette forme. On ne saurait trop honorer cette intrépidité laborieuse qui trouve dans le succès d'une tâche remplie un aiguillon pour accomplir sans cesse de nouvelles tâches.

D'autres travaux utiles avaient préludé à la publication du Bouillet proprement dit, le Dictionnaire d'histoire et de géographie. Un second Bouillet lui servait de pendant, le Dictionnaire des sciences, des lettres et des arts. Ces deux ouvrages, devenus des types, ont été repris sur une échelle différente et avec quelques modifications d'exécution, sinon de plan, par une foule de rivaux, MM. Dezobry et Bachelet, M. Dupiney de Vorepierre, M. P. Larousse, M. Décembre Alonnier, M. La Châtre, etc. Pendant ce temps-là, M. Bouillet, ancien professeur de philosophie, paraissait revenir tout entier à ses premiers travaux, et donnait au cercle restreint des savants la première traduction française des œuvres de Plotin.

Chose triste à dire : ses ouvrages d'érudition ou de philosophie ne lui ouvrirent pas les portes de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, ni celles de l'Académie des sciences morales et politiques. Les corps savants dédaignent quel quefois les titres sérieux que vous avez à leur choix, sous le prétexte que vous en avez en même temps d'une autre nature. Les gens spéciaux préféreront volontiers l'homme qui n'a rien fait du tout à celui qui joint à des études spéciales des œuvres qui leur sont étrangères. Pic de la Mirandole

1. Hachette et Ci, gr. in-8 à 2 col., 1036 pages, douze planches coloriées et 88 cartes.

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