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aurait pu appartenir à l'Institut tout entier; mais il aurait peut-être été repoussé par chacune de ses classes.

M. Bouillet, traducteur des Enneades et auteur de deux dictionnaires universels, rappelait assez bien Pic de la Mirandole pour avoir ce sort. Son Atlas universel d'histoire et de géographie montre une fois de plus combien son esprit. était ouvert à toutes les connaissances. Il comprend d'abord des tables chronologiques, présentant tous les faits de l'histoire universelle dans leur ordre et leur enchaînement; puis des tableaux généalogiques de toutes les grandes familles qui ont marqué dans les fastes de l'humanité et, accessoirement, un traité élémentaire de l'art héraldique avec une série de planches coloriées contenant quelques centaines de types de blason; enfin un atlas géographique composé de quatrevingt-huit cartes, dont le grand nombre rachète l'exiguïté de dimensions imposée par le format du livre. L'Atlas d'histoire et géographie de M. Bouillet a été le travail de ses derniers jours, et ses collaborateurs, MM. Desjardins, Caillet et Garnier, l'ont tenu, pendant l'impression, au courant des événements les plus récents. On ne doit pas craindre de multiplier les formes sous lesquelles la science peut se mettre à la portée des hommes studieux. Pour l'histoire particulièrement, l'Atlas de M. Bouillet, moins commode à consulter qu'un répertoire alphabétique, a l'avantage de présenter les faits groupés suivant leurs relations naturelles et est destiné à satisfaire davantage l'intelligence.

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Histoire de l'instruction publique en France au dix-neuvième siècle, M. J. Quicherat.

La troisième et dernière partie de l'Histoire de SainteBarbe par M. J. Quicherat', offre, comme les deux volumes

1. L. Hachette et Ci, tome III, in-8, 428 pages. Voyez le tome IV de l'Année littéraire, p. 317-323 et tome V, p. 331-332.

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précédents, un intérêt général qu'on s'étonne presque de
trouver dans une simple monographie. C'est un très-curieux
chapitre de l'histoire de l'instruction publique, pendant
soixante ans,
du sort fait sur les événements aux institutions
enseignantes et à leurs membres. Quelle que soit la célé
brité de ces derniers, quelque voisins qu'ils soient de nous,
et nous pouvons laisser les individus : les choses, même
dans l'histoire contemporaine, sont plus intéressantes que
les hommes.

La destinée de Sainte-Barbe, depuis le commencement de ce siècle, marque merveilleusement toutes les vicissitudes de l'enseignement secondaire en France, et toutes les influences politiques qu'il a subies. Le rétablissement d'une institution privée de cette importance est la parfaite image de la restauration des institutions sociales. L'esprit public qui inspire et transforme celles-ci, a constamment, dans celle-là, son action directe ou son contre-coup. Les programmes classiques se font et se défont suivant les préoccupations du jour; les études du collège sont le miroir fidèle des mœurs changeantes du dehors. Si l'on veut juger des efforts faits par nos divers régimes politiques pour façonner l'enseignement à leur image, ce n'est pas précisément dans les établissements de l'État, où le mot d'ordre est accepté d'avance, qu'il faut étudier leur action; c'est dans les institutions libres de nom, sinon de fait, où l'on avait à compter avec les résistances, avec les répugnances, du moins, dont elles sont le dernier asile.

Il faut voir par quelles merveilles d'habileté et de souplesse, le respectable Victor de Lanneau, après avoir restauré Sainte-Barbe, sous le nom de Collége des sciences et des arts, tient le gouvernail au milieu de toutes sortes d'écueils, sous le Consulat et sous le premier Empire. Les succès des élèves dans les concours, ne protégent pas la maison contre des hostilités systématiques. La diffamation n'a pu réussir, les accusations sont tombées faute de preuves, le

mauvais vouloir de l'administration supérieure a été déjoué à force de prudence, et ses rigueurs n'ont pu tenir devant des éloges unanimes; alors la prospérité de Sainte-Barbe tournera elle-même contre elle, et sera une menace de ruine. Le tout-puissant Napoléon s'étonnera de voir quelque chose d'aussi florissant hors de sa main; il dira à M. de Fontanes: « Comment se fait-il qu'un simple particulier ait tant de monde dans sa maison?» et il s'occupera d'ériger SainteBarbe en lycée.

Une question de bâtiment fit ajourner la mesure. L'empereur proposait d'établir le lycée futur au Conservatoire des Arts et Métiers, ancienne abbaye de Saint-Martin des Champs. Le préfet de la Seine, Frochot, rappela la quantité de machines qui y étaient renfermées et qu'on placerait difficilement ailleurs. « Ces machines, ces machines, répliqua Napoléon avec sa vivacité ordinaire, on peut bien les mettre dans les rez-de-chaussée du Sénat. » Le mot, à peine sorti de sa bouche, dit M. Quicherat, il ne put s'empêcher de rire de la figure que fit le préfet, et, abandonnant aussitôt son idée, il désigna, au lieu de l'abbaye Saint-Martin, le cidevant collège d'Harcourt, dans la rue de la Harpe.

Pendant les négociations qui traînèrent en longueur, Sainte-Barbe eut à lutter contre des tracasseries administratives dont nous ne pouvons plus, heureusement, nous faire une idée aujourd'hui. Ainsi que les autres institutions. et pensions, elle se vit accablée de circulaires, de prohibitions comme celle-ci Défense de recevoir des élèves de quelque âge que ce soit, pensionnaires ou demi-pensionnaires, sans en avoir référé dabord aux proviseurs de lycées ou principaux de colléges. (Circulaire du 13 février 1813). Une contrainte mesquine et jalouse, une pression incessante, tendant à inspirer à la jeunesse l'esprit guerrier, une surveillance toute militaire firent des pensions, comme des lycées, autant de casernes, et le pauvre de Lanneau se considéra bientôt comme un sergent-major d'études lan

guissantes sous le tapage d'un tambour. » La campagne de Russie ne fit pas oublier à Napoléon le projet de la transformation de Sainte-Barbe; mais les désastres de l'Empire forcèrent le pouvoir de laisser à l'institution, sous un rigorisme administratif d'un nouveau genre, son ombre de liberté.

Les efforts de la Restauration pour ramener les colléges du régime militaire au régime monacal ne sont pas moins curieux. M. Quicherat les représente dans une suite de pages extrêmement intéressantes. On en jugera par cet extrait :

Malgré les impatients, qui auraient voulu que, d'un coup de baguette, on refit la jeunesse telle qu'elle avait été avant la Révolution (car c'est toujours avant la Révolution que ces chimériques esprits allaient chercher leur idéal), les écoliers de 1814 ressemblèrent beaucoup à ceux de 1813. S'ils regret tèrent médiocrement le gouvernement déchu qui les avait un peu trop mis en coupe réglée, ils ne ressentirent pas non plus d'amour pour le nouveau régime. Le plus grand changement que l'on remarqua parmi eux fut un souffle d'indépendance dont ils se montrèrent aussitôt agités. On avait remplacé les tambours par des cloches, les cocardes tricolores par des cocardes blanches, les compositions à la louange de l'Empereur par des compositions en l'honneur du roi, les Te Deum des victoires, par des Requiem pour les victimes de la Révolution. On s'indigna que ces nouveautés ne produisissent pas l'enthou siasme. La contrainte fut employée pour obtenir des démonstrations, et quand celles-ci ne parurent pas satisfaisantes, on accusa les maîtres souveraine injustice, car les maîtres ne pouvaient pas faire que les enfants s'éprissent tout d'un coup pour des choses auxquelles leur éducation première ne les avait point préparés. On eut beau se servir de la menace, on ne parvint point à obtenir des jeunes raisonneurs de college qu'ils regardassent Napoléon comme un monstre exécrable et les Bourbons comme des princes envoyés du ciel; tout au contraire on les porta à regretter la gloire dont l'Empereur avait environné la France, et à regarder d'un mauvais œil le roi qui était survenu à la faveur de nos infortunes.

Tels sont les faits dont l'Histoire de Sainte-Barbe est

pleine. On voit les leçons qu'ils portent en eux : leçons d'autant plus utiles qu'elles sont indépendantes des intérêts de parti, comme tout enseignement qui sort de l'histoire.

Les années suivantes, les Cent-Jours, la seconde Restauration, la monarchie de Juillet, la seconde République, le second Empire, nous montrent Sainte-Barbe renaissant et grandissant au milieu de toutes les difficultés que crée à des institutions de cette nature une telle suite de révolutions. L'œuvre de Victor de Lanneau, fut un instant compromise, au milieu des désastres publics; son antique filiation, son nom même, lui furent disputés par le collége municipal appelé depuis collége Rollin. Mais à la suite d'un mémoire de M. Odilon Barrot, préfet de la Seine, au Conseil général, il fut pris un arrêté célèbre dans les annales de Sainte-Barbe et qui anéantissait les prétentions de l'établissement rival. Daté du 17 septembre 1830, cet arrêté déclarait que le nom de Sainte-Barbe, appartenait exclusivement à la maison de M. de Lanneau, et donnait au collège de plein exercice de la rue des Postes, le nom qu'il a gardé.

Il est inutile de rappeler les faits plus récents. Le souvenir en est encore présent aux contemporains. La prospérité de Sainte-Barbe s'est associée, pendant les dernières années de la monarchie de Juillet, à celle de l'Université, sous le régime fécond d'une association fraternelle des anciens élèves, et sous la direction de M. A. Labrouste, le digne successeur des de Lanneau'. Après 1848, ce grand collége libre a traversé les mêmes épreuves que les lycées, mais avec une attitude différente.

Dans ses mauvais jours, l'Université, sacrifiée par ses

1. M. Labrouste vient de mourir (18 février 1866). Le plus légitime tribut de regrets et d'hommage a été payé à sa mémoire par la presse tout entière. On a imprimé sous le titre d'Obsèques de Pierre-VictorAlexandre Labrouste, les discours remarquables prononcés sur sa tombe par MM. Devinck, ancien député, Guérard, préfet des études de Sainte-Barbe, et Verdot, chef d'institution.

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