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chefs aux nécessités politiques, courbe le dos et la tête, sauf à se relever plus tard. Elle plie et ne rompt pas; une institution comme Sainte-Barbe, plus heureuse, n'a pas besoin de plier pour ne pas rompre. Nous l'avons vue nousmême, depuis près de quinze ans, laisser passer les régimes hostiles, les essais téméraires, en prenant seulement ce qu'ils pouvaient avoir de moins mauvais, sinon de bon. Sainte-Barbe a résisté ouvertement à la bifurcation, solennellement établie, puis solennellement condamnée. Elle a été un asile ouvert aux proscrits, aux transfuges de l'Université; elle a conservé les traditions abandonnées de l'enseignement public, elle en a recueilli les défenseurs. Par un effet peu commun en France, de la puissance de l'association privée, elle s'est agrandie et développée par des créations successives. Avec son ancien collége de plein exercice, et ses deux grandes annexes, l'école préparatoire et le collège d'enfants de Sainte-Barbe-des-Champs, elle a souvent servi d'émule à l'État, quelquefois de modèle.

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Mobilité de l'histoire contemporaine. Les éditions successives
du Dictionnaire des Contemporains.

Je voudrais, par un sentiment de réserve facile à comprendre, ne pas parler ici de la troisième édition du Dictionnaire des Contemporains. C'est cependant, à plusieurs points de vue, un ouvrage nouveau. Je l'ai déjà dit ailleurs : un Dictionnaire des Contemporains doit subir, d'édition en édition, des modifications qui tendent à le renouveler au bout d'un certain temps, et, par suite des changements et accroissements introduits, chaque édition, convenablement remaniée, doit pouvoir être considérée comme un autre tome de l'ouvrage.

Celle-ci, intéresse toutes les branches de l'histoire contemporaine, la politique, l'art, la littérature. La politique a la part la plus importante, dans ces dernières années où tant de questions se sont posées dans l'un et dans l'autre hémisphère et ont été souvent résolues par le canon. L'Italie, en partie affranchie, a continué son agitation politique et religieuse. La plus formidable guerre civile a éclaté, grandi, et s'est terminée en Amérique. Nos succès militaires en Chine, en Cochinchine, notre expédition au Mexique où nous avons élevé un nouvel empire, notre occupation de la Syrie, ont montré la main ou l'épée de la France dans les plus lointaines régions. Plus près de nous, la Grèce a essayé une révolution nouvelle. La Turquie, le Monténegro, les anciennes provinces roumaines ne peuvent retrouver leur assiette le règne du prince Couza compte, en quelques années, vingt-six ministères. La Pologne s'agite et est écrasée; la Hongrie inquiète l'Autriche; la Prusse, malgré ses orages intérieurs, conquiert une partie du Danemark; l'Angleterre, à part quelques expéditions dans l'extrême Orient, s'est tenue à l'écart des questions belliqueuses ou révolutionnaires; la France, outre sa participation plus active aux mouvements extérieurs, s'est réveillée, au dedans, à la vie politique par une certaine agitation électorale. Tous ces événements ont appelé sur la scène du monde entier des acteurs nouveaux pour nous et souvent pour leurs compatriotes eux-mêmes. Le devoir d'un Dictionnaire des Contemporains est de réunir, sur le plus grand nombre de noms d'une actualité récente, des renseignements biographiques à peu près complets.

A en juger par l'Amérique du Nord, les événements politiques et militaires seraient représentés, dans la nouvelle édition, par un nombre considérable de personnages. Est-ce la faute de l'auteur ou un effet de la force des choses? L'étranger a plus de notabilités récentes que la France parmi les noms nouveaux du Dictionnaire. L'art et la litté

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rature en comptent moins que la politique et la guerre. On trouvera cependant quelques littérateurs et quelques artistes de plus. Aucun peut-être n'a eu le temps de se faire un grand nom; mais leurs titres de notoriété devaient se recueillir. Le plus populaire est M. Victorien Sardou qui, en quelques années seulement, de Nos Intimes à la Famille Benoiton, compte de si nombreux succès au théâtre.

En s'enrichissant d'articles nouveaux et en complétant ses anciennes notices, le Dictionnaire des contemporains ne fait que suivre son programme primitif. Il n'y aurait donc pas eu lieu de s'étonner que sa réapparition n'eût pas été très-remarquée dans la presse. Il n'en a pas été ainsi, et cette troisième édition a peut-être été l'objet d'une attention. plus sérieuse que la première. Ce répertoire commode de renseignements historiques, biographiques, bibliographiques, avait créé une sorte de besoin d'information universelle sur les faits et les œuvres des hommes du jour. M. Edm. Scherer, dès la seconde édition, l'avait comparé avec raison à ces inventions modernes auxquelles personne ne songe tant qu'elles n'existent pas, et dont on ne peut plus se passer dès qu'on a commencé à s'en servir. Aussi l'épuisement de l'ouvrage avait laissé un vide qu'il était nécessaire de combler.

C'est le sentiment qui fut exprimé par beaucoup de journalistes, auxquels, il faut en convenir, le Dictionnaire des contemporains rend le plus de services. Je voudrais signaler, par reconnaissance, les excellents articles bibliographiques consacrés à cette œuvre si difficile, et nécessairement toujours imparfaite, dans le Journal des Débats, par M. E. Bersot1; dans le Siècle, par M. L. Jourdan'; dans la France, par M. G. Merlet'; dans le Constitutionnel, par M. A. Rolland; dans le Temps, par M. Edm. Scherer; dans la Liberté, et

1. 20 décembre 1865.
2. 16 janvier 1866.
3. 23 janvier 1866.

le Journal des Villes et des Campagnes, par M. L. Moland, et dans divers autres journaux politiques. Dans la petite presse littéraire, je ne puis oublier trois articles de M. Jules Noriac, le spirituel et l'infatigable directeur-chroniqueur des Nouvelles. Il faudrait aussi parler des comptes rendus des journaux de la province et de l'étranger, où l'auteur trouve particulièrement des renseignements rectificatifs et complémentaires dont il fait son profit. Ne pouvant citer ni analyser ces divers articles, j'en reproduirai un, à titre de document, celui de M. L. Jourdan, du Siècle. L'autorité du critique et l'importance du journal n'expliquent pas seule cette préférence1; c'est le compte rendu qui fait le mieux connaître l'impression produite sur le public par le Dictionnaire des contemporains, les difficultés d'exécution et les services rendus, malgré les imperfections inévitables.

Lorsque M. Vapereau publia la première édition de son Dictionnaire des contemporains, on considéra généralement sa tentative comme très-audacieuse, et le succès qui l'accueillit comme très-exceptionnel. Il semblait que le public voulait tenir compte à l'auteur des longs et patients efforts que cette œuvre étrange lui avait coûtés, bien plus que l'encourager à persévérer dans une voie sans issue, pour ainsi dire.

Comment espérer, en effet, que l'on parviendra à saisir ce qui, de sa nature, est insaisissable, à fixer les traits d'une physionomie qui chaque jour se modifie et n'est jamais semblable à elle-même? Votre livre paraît aujourd'hui, et à l'heure même où il paraît il n'est plus l'expression de la vérité. Pendant que vous tissiez péniblement et consciencieusement votre toile, deux ouvrières infatigables, la vie et la mort, défaisaient

1. Si je devais choisir entre ces articles d'après les choses flatteuses qu'ils contiennent pour l'auteur ou d'après l'esprit qui y brille, je serais très-embarrassé. Le sujet a parfaitement inspiré les écrivains qui ont parlé du Dictionnaire des Contemporains. M. Bersot, qui a habitué ses lecteurs à tant de distinction et de finesse, n'a jamais eu la plume plus heureuse que dans cette circonstance, et M. G. Merlet, à propos de notre livre, a traité du temps présent avec l'extrême délicatesse de touche qui lui est particulière. M. Jourdan aura, pour mes lecteurs, l'avantage d'avoir envisagé le sujet sous plus d'aspects.

votre travail; l'une emportait vos contemporains, l'autre faisait surgir des individualités, des talents que vous n'aviez pas même soupçonnés. Votre dictionnaire était ainsi fatalement destiné à demeurer une ébauche toujours incomplète.

Et puis, où est votre criterium? Où est la règle en vertu de laquelle vous vous arrêtez à telle limite plutôt qu'à telle autre? Pourquoi faites-vous place, dans votre Panthéon, à des masses de noms à peine connus dans un certain monde ou dans une certaine spécialité, tandis que vous en excluez des milliers d'autres qui ont le même retentissement ou la même obscurité?

Tels étaient, sinon tous, au moins les principaux arguments qui, le premier étonnement passé, se produisirent contre l'entreprise de M. Vapereau. Et l'étonnement fut très-grand et très-légitime. Même en tenant compte des imperfections et des erreurs inévitables en une pareille tour de Babel, où-se confondaient et se croisaient tant de noms illustres et tant de noms à peu près inconnus, on ne pouvait s'empêcher d'admirer l'art et la méthode avec lesquels étaient groupés d'innombrables renseignements, plus ou moins exacts, il est vrai, mais dont la réunion avait nécessité la patience d'un bénédictin.

Eh bien! voyez ce que peut la persévérance d'un esprit juste et d'un cœur passionné, car sans une forte passion pour le succès de son entreprise M. Vapereau ne l'eût pas menée à bonne fin: ce qui paraissait impossible est réalisé aujourd'hui. La troisième édition du Dictionnaire des Contemporains vient de paraître, et grâce à ces éditions successives, grâce aux suppléments qui les complètent et les mettent à jour, nous possédons le véritable bilan des illustrations, des gloires, des célébrités, des notoriétés et même des obscurités contemporaines dans le monde entier.

On a besoin de retenir dans sa mémoire ces derniers mots : dans le monde entier, pour n'être point effrayé de l'immense quantité d'illustrations enfantées par le temps présent. Figurez-vous 3724 colonnes de petit texte, grand format in-octavo, et quatre ou cinq grands hommes, en or pur ou en ruolz, juchés sur le faîte de chacune de ces colonnes! C'est à donner le vertige. Comment! tant de gloire en ce moment où le dixneuvième siècle entre dans son quatorzième lustre! tant de célébrités à l'actif de notre époque troublée!

Mais de quoi nous plaignons-nous? Pourquoi tant de lamentations sur la décadence des mœurs publiques, sur les défail

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