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teleurs et nécromanciens, qui venaient augmenter les charges de l'Aumône générale, plus spécialement fondée pour les ouvriers sans emploi ou invalides.

Les jugements des intendants connus sous le nom de maintenue de noblesse complètent l'ensemble des documents servant à éclairer l'histoire et l'état des familles.

Notre ancienne organisation judiciaire est représentée dans les archives des préfectures par un grand nombre de registres et de dossiers provenant des parlements provinciaux, des siéges royaux du premier degré : présidiaux, sénéchaussées et bailliages. A ces documents concernant la justice du royaume, s'ajoutent les actes des justices seigneuriales qui représentent jusqu'au seuil même de la Révolution les derniers vestiges des pouvoirs locaux, issus de la féodalité.

La jurisprudence de ces tribunaux divers variait à l'infini. En Bourgogne, par exemple, il n'en coûtait que dix francs d'amende, en l'année 1385, pour avoir aidé à rançonner les ambassadeurs du comte de Savoie et du marquis de Montferrat; mais cette procédure avait nécessité des « écritures qui occupaient trente pieds de long, » et le pied était taxé un gros et demi. A Rouen, au treizième siècle, la médisance de la part d'une femme était punie d'une immersion dans la Seine, répétée trois fois de suite. Le meurtre d'une femme mal famée se rachetait par cinq francs d'amende. Dans l'Orléanais, les faux témoins avaient la langue percée avec un fer rouge, et étaient ensuite battus de verges de la main du bourreau par les rues de la ville.

L'histoire du génie français dans ses manifestations multiples est écrite dans nos archives. L'Université y retrouve les traits de sa puissante organisation et l'éclat dont elle a brillé dans les écoles d'Avignon, de Caen, de Poitiers, de Toulouse, etc. Des documents pleins d'intérêt révèlent le progrès accompli pendant les derniers siècles dans l'architecture, les beaux-arts et leur application à l'industrie, dans les procédés relatifs à la peinture sur verre, à la tapisserie, à la peinture sur émail et à la sculpture sur pierre et sur bois, qui tint une si grande place non-seulement dans l'ornementation des monuments publics, mais encore dans la décoration des habitations privées.

Tels sont encore, pour l'architecture civile et religieuse, les titres nombreux qui concernent l'église de Brou, chef-d'œuvre du seizième siècle, la Sainte-Chapelle de Dijon, le Palais des

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Dauphins, le château de Gaillon et ses peintures dues à des maîtres italiens, enfin les habitations royales de Fontainebleau, de Vincennes, Blois, Amboise, etc.

Dans un autre ordre de faits, les inventaires des archives départementales signalent à l'attention du public lettre des documents très-importants pour l'appréciation d'un des événements les plus graves de l'ancien régime, la révocation de l'Édit de Nantes, et d'une de ses institutions les plus décriées, les lettres de cachet. Les historiens pourront désormais reviser, sur ces deux questions, avec les éléments d'information les plus certains, les opinions accréditées jusqu'à ce jour.

J'ai l'honneur de signaler aussi à Votre Majesté une foule de renseignements curieux relatifs aux personnes. A l'aide des archives, on peut aujourd'hui suivre pas à pas la plupart des hommes qui ont un nom célèbre dans notre ancien gouvernement, et reconstituer, même à leurs débuts dans la vie publique, la biographie de quelques-unes de nos illustrations littéraires, scientifiques ou militaires. Entre mille autres faits du même genre, on y apprend que Georges Cuvier remplissait dans sa jeunesse les modestes fonctions de greffier de la commune de Bec-en-Cauchois. Les délibérations de cette commune, toutes rédigées par lui et transcrites de sa main, nous en fournissent la preuve. Pierre Corneille tenait les registres de la fabrique de l'église de Rouen, et, quoique marguillier, il y inscrivait parfois ses réflexions personnelles contre les mesures adoptées par ses collègues. Une petite localité de Seineet-Marne, la commune d'Avon, presque inconnue aujourd'hui, conserve des livres paroissiaux du plus haut intérêt, et qui révèlent l'état civil des plus grands artistes, au premier rang desquels se placent Léonard le Flamand, François de Bologne, Sébastien Serlio, le Rosso, Antoine Jacquet de Grenoble, le Primatice, Nicolo dell' Abbate, Jean de Hoëy, Fréminet, Ambroise Dubois et des savants illustres tels que le mathématicien Bezout, le naturaliste Daubenton, etc.

Cet exposé sommaire suffira pour établir l'intérêt que présente, aux points de vue les plus divers, l'œuvre entreprise par M. le duc de Persigny.

C'est là, Sire, je puis le dire avec confiance, l'une des enquêtes les plus considérables qui aient jamais été ouvertes sur le passé de la France. Elle embrasse sous toutes ses faces la vie multiple de l'ancienne société française. Elle jette un jour vif et nouveau sur les relations du pouvoir central avec les

gouvernements provinciaux et les administrations communales, les relations des cités entre elles, la situation de chacune de ces castes, et elle nous fait assister, par des actes authentiques, au grand et laborieux développement de notre patrie.

Les conseils généraux qui jusqu'ici ont pourvu à toutes les dépenses du service des archives, continueront, je n'en doute pas, leur concours empressé à une publication qui a obtenu les suffrages unanimes du monde savant.

En ce moment, je fais étudier le système le plus convenable pour la rédaction des tables générales alphabétiques, qui, à mesure de l'impression, permettraient d'embrasser d'un coup d'œil tous les documents relatifs à une même question administrative ou historique,

En terminant ce rapport, Sire, je considère comme un devoir de signaler à l'Empereur les services rendus par le Bureau des archives, les inspecteurs généraux placés sous mes ordres et les archivistes départementaux, auxiliaires aussi modestes qu'érudits, sortis, pour la plupart, de l'Ecole impériale des Chartes, et dont le dévouement mérite les plus grands éloges.

C'est à tous ces efforts réunis qu'on doit la marche rapide du grand travail dont je viens de soumettre à l'Empereur les principaux résultats.

Je suis avec un profond respect,

Sire,

De Votre Majesté,

Le très-humble, très-obéissant

et très-fidèle serviteur et sujet,
Le ministre de l'intérieur,

LA VALETTE.

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Géographie et voyages. Le mysticisme protestant en promenade. La foi et le style pittoresques. Mme de Gasparin.

Ce que les livres d'impressions de voyage nous montrent souvent, c'est moins le pays parcouru que le voyageur; et quand celui-ci a une individualité assez marquée, il en jette le reflet sur toute la nature. Vous changez de ciel avec

lui, vous allez au delà des mers, vous le retrouvez partout avec un esprit qui ne change pas.

Cœlum non animum mutant, qui trans mare currunt.

Mme de Gasparin, autrement dit l'auteur des Horizons prochains, aurait pu prendre ce vers pour épigraphe de la longue série de voyages publiée sous le titre assez singulier de Bande du Jura1. Quatre volumes ont été consacrés déjà aux exploits vagabonds de la petite société de touristes que désigne le mot sinistre de bande: société peu redoutable qui se compose de belles et bonnes jeunes filles françaises ou suissesses, de dames respectables ayant une certaine malice que la bonté d'âme tempère, et un esprit que la dévotion mystique ne parvient pas à éteindre. Le sexe fort accompagne ou plutôt suit gravement, sous prétexte de la patronner, cette aimable colonie vagabonde qui se patronnerait bien elle-même.

L'auteur des Horizons prochains et ses compagnes de promenade nous font l'effet d'une petite église ambulante dont les adhérentes sont à la fois mondaines et curieuses, comme il convient à leur sexe et à leur rang social; vives et un peu étourdies comme il sied à la jeunesse; instruites, sérieuses, préoccupées de l'œuvre du salut, jusque dans les distractions du voyage, comme le demande la rigidité de l'éducation protestante. En signant ces récits de promenades de son pseudonyme un peu emphatique, l'auteur des Horizons prochains nous prépare à trouver dans de nouveaux voyages de Topffer les grâces un peu recherchées et la tournure apocalyptique de son esprit.

Tout cela nous est amplement fourni dans les quatre volumes de la Bande du Jura, sous ces titres particuliers: les Prouesses de la bande du Jura, Premier Voyage chez les Allemands et chez nous, enfin, A Florence. Dans ces di

1. Michel Lévy, in-18, tomes I-IV; 302-298-410-392 pages.

verses excursions, Mme de Gasparin trouve mille occasions de montrer son talent descriptif et son remarquable sens des beautés de la nature. Son livre de Vesper était déjà d'un poëte en prose. Le journal de la bande du Jura arrive souvent au ton poétique; le sujet lui interdisait de s'y tenir constamment. Dans le cours d'un voyage, il y a mille détails qui appartiennent à la vie vulgaire, et malgré l'habitude invétérée du style tendu, l'écrivain qui rend compte des faits et gestes de chaque jour, est forcé de descendre des hauteurs qui lui sont familières. On retrouvera dans la Bande du Jura, sauf des éclaircies de simplicité, toute la manière ordinaire de Mme de Gasparin, c'est-à-dire, comme nous l'avons tant de fois remarqué, le reflet constant de celle de M. Michelet. Voici quelques échantillons du style descriptif qui domine :

Maintenant les nuages déchirés voguent par les cieux, la reinette trille aux prairies, quelques étoiles scintillent, la caille appelle dans les blés. Il est onze heures, bientôt minuit. La bande marche, marche, encore, légère, de frais arrosée, un peu crottée, belle toujours. Elle repasse rieuse par les rues du village: un gai murmure, un fròlement plein de mystère !

La Chaux-de-Fonds, vue en détail, ressemble à la Chaux-deFonds, vue en gros. Ici une masure, des murailles sordides, un toit éventré; là une énorme habitation à quatre étages, surchargée d'ornements prétentieux; plus loin des terrains vagues; puis trois maisons, trois quilles plantées dans le désert; après, un fumier; après, une rue de capitale; la montagne au travers, dedans, dehors, tel est l'endroit.

Partout la préoccupation de l'image, et partout les mêmes combinaisons de style pour obtenir les mêmes effets.

Un bouillonnement étrange se fait entendre: nous passons devant Nesso-di-Sotto. Là-haut, parmi les lauriers, un pont jette son arche; la rivière se lance dessous en nappe d'argent ; une grande ombre tombe sur le bassin; notre nacelle glisse dans la poussière d'eaux folles, nuage éblouissant et frais. Les

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