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d'abondance; chaque vallon présente une image de l'Éden dans les replis verts des montagnes.»

L'enthousiasme est un bon et utile compagnon de voyage. Il soutient, il ranime; il inspire le mépris des fatigues ou les fait oublier. Quand il survit aux voyages, il communique aux récits et aux peintures du livre, un reflet de la poésie des lieux parcourus. Les récits d histoire et de voyage qui composent la Haute-Savoie ne sont pas un guide, un itinéraire, mais un recueil d'impressions personnelles et de souvenirs. On y retrouve sans doute le pays visité, mais plus encore le visiteur, avec ses qualités à lui et les défauts de ses qualités. M Francis Wey est ici, comme dans Dick Moon en France, à un moindre degré, un penseur et un écrivain. On n'est pas toujours d'accord avec lui sur les idées ou les effets de style, mais on lui sait gré de ses efforts pour atteindre au relief des unes et des autres. Quoiqu'il soit dangereux de viser à l'originalité, la récompense de ceux qui la cherchent toujours est de la rencontrer quelquefois.

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Les voyages de fantaisie. Moralistes et causeurs.
MM. M. Cortambert et J. Claretie.

Il y a chaque année des circonstances qui donnent à certaines études de géographie ou d'ethnographie un intérêt d'actualité. Le voyage des ambassadeurs japonais en Europe a été de ce nombre et a fait rechercher les livres qui traitaient de leur lointaine patrie. Un jeune auteur, homme d'esprit plus encore que géographe, a profité de l'occasion pour publier les Impressions d'un Japonais en France1. Il a toujours été piquant de faire faire par un étranger la revue

1. A. Faure, in-18, 208 pages.

de nos mœurs, de nos lois, de nos usages, surtout lorsque le visiteur nous arrive de pays très-lointains et représente une civilisation peu connue. C'est un cadre ingénieux de peintures ou de satires que l'auteur des Lettres persanes a consacré.

M. Richard Cortambert, mettant en scène les délégués de l'empire du soleil, nous donne en passant quelques notions intéressantes sur les hommes et les choses du Japon, mais les révélations de l'interprète des délégués japonais sur les mœurs et les usages de leur pays tiennent ici beaucoup moins de place que leurs impressions sur nos usages et nos mours. On comprend combien des Japonais doivent ouvrir de grands yeux en arrivant chez nous, en parcourant à toute vapeur nos lignes de chemin de fer, en visitant nos ateliers et nos usines, en se faisant expliquer tant bien que mal les miracles de l'industrie moderne. Mais là n'est pas leur plus grand sujet d'étonnement. Ces immenses créations du dernier quart de siècle les intéressent moins que les traits permanents de la civilisation européenne, nos idées, nos institutions, notre religion, nos lois, toutes nos relations sociales.

Un Japonais apporte en France la manière de voir qu'un Français porterait au Japon. A ses yeux tout ce qui se fait chez lui est naturel et raisonnable; tout ce qui se fait autrement ailleurs, est contraire à la nature et à la raison. Chaque peuple est convaincu qu'il représente la civilisation et le progrès, et son rêve est de les importer dans les pays les plus lointains. L'un de nos ambassadeurs, voyant par exemple l'état de la religion catholique chez nous, se propose d'introduire le bouddhisme en Occident. < Rentré au Japon, dit-il, j'engagerai plusieurs bonzes à venir prêcher en Europe; je leur prédis du succès.... Gloire céleste! Confucius et Bouddha vont faire le tour du monde et s'implanter dans cet Occident, hier si orgueilleux de sa religion chrétienne. »

Les ambassadeurs japonais visitent, cela va sans dire,

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nos monuments, nos musées, nos bibliothèques, nos théâtres, et disent leurs impressions sur chaque chose; je remarque celles qu'ils éprouvent à la Bibliothèque impériale. A voir dans une salle immense des travailleurs acharnés sur des livres autour de longues tables, ils demandent si ce sont là ces grands hommes qui rendent notre littérature. si célèbre. Leur guide leur répond que la plupart de ces lecteurs infatigables sont absolument inconnus. « Sontce donc des novices et des ignorants? demandent-ils de nouveau. Non certes, réplique le guide avec autant d'esprit que de justesse, ils sont pour la plupart très-savants : c'est précisément pour cela qu'ils sont complétement inconnus. En France, les littérateurs ressemblent aux chevaux; ils vont d'autant plus loin que leur bagage est plus léger. C'est ainsi que dans le journal du Japonais KouenFou, se déroule le tableau critique de notre civilisation; celui de mœurs japonaises n'y est introduit que pour le

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contraste.

Il faut prendre les fantaisistes pour ce qu'ils sont et pour ce qu'ils se donnent, quand ils ont le bon esprit de n'avoir pas de prétentions. M. Claretie écrit les Voyages d'un Parisien, et nous conduit un peu partout, soit en France, soit au delà de nos frontières, mais il porte toujours avec lui l'agréable bagage du journaliste chroniqueur, et de ses rapides excursions il rapporte seulement quelques variations de plus sur des thèmes familiers aux virtuoses de la littérature légère.

En France il a vu Lyon et Cherbourg, et se fait naïvement le Christophe Colomb de la seconde capitale de la France et de son premier port militaire. Il nous révèle, après M. Esquiros, Londres et les Anglais; il a été glaner aux Charmettes quelques souvenirs échappés à M. Arsène Houssaye; il a

1. Faure, in-18, 314 pages.

passé huit jours en Belgique et exploré, après MM. Quinet, Charras et Tiers, le champ de bataille de Waterloo. M. Claretie aurait volontiers intitulé son livre : A pied et en wagon, si le titre n'avait été pris par M. Deschanel dent il envie le talent de conteur.

Il ne se prend pas au sérieux comme voyageur, et il en croit en être plus Français. « Une excursion à Saint-Cloud. dit-il, nous paraît un voyage au long cours, et le Savoisien Xavier de Maistre avait devancé l'annexion en écrivant le Voyage autour de ma chambre : c'était une façon de se naturaliser Français. Nous nous le tenons pour dit, les Voyages d'un Parisien sont d'un homme qui n'a pas assez vu pour avoir beaucoup retenu, mais qui croit que rêver et causer vaut mieux que courir le monde. L'imagination a tant de priviléges! En passant à Nancy, que notre voyageur trouve aussi régulier que Versailles, il se remémore ce vers qui n'est pas neuf:

L'ennui naquit un jour de l'uniformité,

et en homme d'imagination, il l'enlève à son auteur véri table, pour l'attribuer à la Fontaine et en tirer une épigramme contre Boileau. « C'est la Fontaine qui le dit, et c'est l'uniforme Boileau qui a dû le penser. Ces deux illustres écrivains en sont également innocents; le fameux vers proverbe est du fabuliste Lamothe-Houdard. Rien n'était plus fréquent jadis que de pareilles erreurs; mais depuis le charmant volume de l'Esprit des autres, de M. Édouard Fournier, il n'y a plus pour les commettre que ceux qui courent à travers les livres aussi lestement que M. Claretie à travers les pays.

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Les guides et itinéraires. MM. A. Joanne, Alph. Esquiros
et Ach. Fillias.

Les touristes ont de grandes obligations à M. Joanne, l'infatigable directeur de la grande collection qui porte son nom, et l'auteur d'un grand nombre des meilleurs livres dont elle se compose. Je n'en suis plus à apprendre à mes lecteurs le bien que je pense de cette œuvre immense, difficile, toujours à refaire, mais toujours refaite avec autant de savoir que de courage. Je ne puis me refuser à donner, chaque année, au moins un souvenir aux ouvrages nouveaux qui, au prix de tant de travaux, de soins et de fatigues, viennent enrichir la bibliothèque des voyageurs.

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Tout ce travail n'est pas fait pour des ingrats, et peu de publications ont reçu de la presse un meilleur accueil, ont été de la part du public qui s'en sert, l'objet de plus de reconnaissance. Les témoignages sont unanimes. Le célèbre voyageur fantaisiste Topffer, l'auteur des Voyages en zigzag, a horreur des « ciceroni, ces industriels, dit-il, qui vous vendent leur insignifiant radotage. » Il a une horreur égale pour les itinéraires, mais il excepte de la proscription Joanne, Ébel et Murray, « qui ne sont pas des guides bavards, ajoute-t-il, mais bien plutôt des compagnons instruits et sensés. Notre illustre romancière George Sand, qui sait si bien voir en courant et si bien peindre, est plus explicite encore; elle a beau se montrer exigeante dans le choix d'un guide, M. Ad. Joanne et plusieurs de ses collaborateurs ont su la satisfaire.

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Un itinéraire sans défaut, c'est la pierre philosophale, et il faut dire aux personnes éprises de voyages que l'exactitude

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