Ta beauté n'aura point de temple; La forme sans âme aux yeux morts Dispute aux avares ton pain Et la laine dont tu te couvres; Les femmes de pierre ont des Louvres, Les vivantes meurent de faim. Ce que j'ai dit, en vile prose, de l'utilité des citations dans un livre comme l'Année littéraire, on me l'écrit en vers. Dans ce jardin où tant de fleurs, Que les miennes soient accueillies.... Telle est la requête que m'adresse l'auteur des Loisirs d'un aveugle1. M. E. Lemerle, de la Martinique, ancien magistrat. Je regrette, sur la foi du titre, la malheureuse infirmité qui attriste la retraite studieuse de l'auteur; mais on peut être aveugle et faire de bons vers, témoin Homère; on peut même, lorsqu'on ne voit plus, admirablement décrire les sites qu'on a vu jadis, et c'est dans cette conviction sans doute que M. Lemerle, revenu de la Martinique, chante une foule de pays lointains : les Antilles, Cuba, Panama, le Niagara, l'Océanie, le mont Himalaya. Cependant ce n'est pas par le coloris et la verve qu'il brille: il paraît mettre l'idée au-dessus de la forme et demande volontiers ses inspirations au sentiment chrétien. On en jugera par l'ode suivante sur Pompéi, où il a mis en rhythme sonore les révélations des fouilles récentes exécutées dans cette antique cité ensevelie et conservée jusqu'à nous par la mort même. 1. E. Maillet, in-18, 248 p. POMPÉI. Quand du volcan l'on vit descendre Le feu sur le sol envahi, Et qu'un vaste manteau de cendre Oh! dans cette nuit émouvante, Puis, sous le linceul qui la couvre, Par la tombe où tout se dissout. Ici du char on voit l'empreinte Le bois est préparé dans l'âtre; Tandis que chez le statuaire Spectacle étrange, fantastique! O merveilleuse renaissance Qui révèle à notre science Sans doute, en ce danger suprême, Un chrétien au visage blême D'autres invoquaient la déesse Songe aux dieux qui s'en sont allés. C'est ainsi que l'ancien magistrat, aveugle et poëte, jette dans un rhythme vieilli des souvenirs où le regret du passé tient plus de place que l'aspiration vers l'avenir. M. André Lefèvre est un des poëtes qui gagnent à être cités; c'est par des extraits que nous avons déjà fait connaître les qualités révélées dans son premier recueil la Flûte de Pan. Nous voudrions traiter de même son dernier volume la Lyre intime composée de poëmes et de dédicaces. Les poëmes sont un peu longs pour être reproduits et ne peuvent guère se juger sur des fragments. Nous nous bor nerons à quelques strophes de la dédicace de l'un d'eux à M. Sainte-Beuve. La critique en accueillant les jeunes talents ne fait pas toujours des ingrats. Vous daigniez sourire à ma muse, Quand, sous les bois, au fond des eaux, Nymphe ardente et chaste prêtresse, Aujourd'hui ma muse recueille, Partout dévoilée aux penseurs, L'amour, attraction féconde, Commande à l'homme ainsi qu'au monde, De par cette unité profonde, Ma FLUTE et ma LYRE sont sœurs. Si l'abeille attique a des ailes, L'artiste qui marche et qui pense La Lyre intime justifie pourtant moins complétement que la Flûte de Pan la déclaration de principes que l'auteur reprend dans sa préface et développe une fois de plus. « Pas de salut dans l'art sans la forme, sans l'alliance mesurée du contour et de la couleur; la poésie est une peinture qui marche, peinture du monde intérieur comme du monde visible. » .7 Les citations des poëtes (suite), MM. D. Bernard, J.-M. Jouffroy, L. Ratisbonne, E. Manuel. C'est aussi par une citation que je veux montrer sans discussions superflues, comment les genres savamment ou naïvement artificiels de nos anciens siècles poétiques, sont aujourd'hui en faveur. Le sonnet surtout a été cultivé. Il forme à lui seul des volumes et s'affiche en grosses lettres sur leurs couvertures. Un genre plus rare, le virelai en fera-t-il autant? Il s'est hasardé quelquefois dans nos journaux littéraires. Aujourd'hui, mêlé à des sonnets et à quelques |