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Ta beauté n'aura point de temple;
On te marchandera ton corps :

La forme sans âme aux yeux morts
Seule est digne qu'on la contemple.

Dispute aux avares ton pain

Et la laine dont tu te couvres;

Les femmes de pierre ont des Louvres,

Les vivantes meurent de faim.

Ce que j'ai dit, en vile prose, de l'utilité des citations dans un livre comme l'Année littéraire, on me l'écrit en

vers.

Dans ce jardin où tant de fleurs,
Par vos soins actifs recueillies,
Font briller leurs mille couleurs,

Que les miennes soient accueillies....

Telle est la requête que m'adresse l'auteur des Loisirs d'un aveugle1. M. E. Lemerle, de la Martinique, ancien magistrat. Je regrette, sur la foi du titre, la malheureuse infirmité qui attriste la retraite studieuse de l'auteur; mais on peut être aveugle et faire de bons vers, témoin Homère; on peut même, lorsqu'on ne voit plus, admirablement décrire les sites qu'on a vu jadis, et c'est dans cette conviction sans doute que M. Lemerle, revenu de la Martinique, chante une foule de pays lointains : les Antilles, Cuba, Panama, le Niagara, l'Océanie, le mont Himalaya. Cependant ce n'est pas par le coloris et la verve qu'il brille: il paraît mettre l'idée au-dessus de la forme et demande volontiers ses inspirations au sentiment chrétien. On en jugera par l'ode suivante sur Pompéi, où il a mis en rhythme sonore les révélations des fouilles récentes exécutées dans cette antique cité ensevelie et conservée jusqu'à nous par la mort même.

1. E. Maillet, in-18, 248 p.

VIII 3

POMPÉI.

Quand du volcan l'on vit descendre Le feu sur le sol envahi,

Et qu'un vaste manteau de cendre
Se répandit sur Pompéi,

Oh! dans cette nuit émouvante,
Quelle dût être l'épouvante
Du peuple en sursaut réveillé!
La foule qui se précipite,
Cherche son salut dans la fuite;
Mais chacun tombe foudroyé.

Puis, sous le linceul qui la couvre,
La ville dort dix-huit cents ans,
Jusqu'à ce que la terre s'ouvre
Et mette à nu ses monuments.
Ainsi, dans cette nécropole
Dont Rome fut la métropole,
L'œuvre de l'homme, encor debout,
Montre tout ce que le temps mine
Préservé contre la ruine

Par la tombe où tout se dissout.

Ici du char on voit l'empreinte
Sur la dalle du grand chemin;
Plus loin c'est une fresque peinte
Dans une salle de festin.

Le bois est préparé dans l'âtre;
Près d'une baignoire d'albâtre
Le lit sollicite au repos.
Voici l'arme au mur appendue,
La lampe aux plafonds suspendue
Et les papyrus en rouleaux.

Tandis que chez le statuaire
Vingt chefs-d'œuvre sont retrouvés,
Dans la cendre, horrible suaire,
On voit des traits humains gravés.

Spectacle étrange, fantastique!
Le fléau, dans cet art plastique,
Avec l'homme lutte d'efforts,
Et les formes sont reproduites
Par le feu qui les a détruites
Quand elles revêtaient des corps.

O merveilleuse renaissance
D'une curieuse cité

Qui révèle à notre science
L'ancien monde ressuscité!
Mais ce foyer du paganisme
Connût-il le christianisme
Si près encor de son berceau?
Oui, dans un temple de Minerve,
Un crucifix d'or se conserve,
Symbole du monde nouveau.

Sans doute, en ce danger suprême,
Dans le temple réfugié,

Un chrétien au visage blême
Priait le Dieu crucifié.

D'autres invoquaient la déesse
Qui présidait à la sagesse....
Dix-huit siècles sont écoulés :
La croix seule aujourd'hui subsiste,
Et Pompéi, désert et triste,

Songe aux dieux qui s'en sont allés.

C'est ainsi que l'ancien magistrat, aveugle et poëte, jette dans un rhythme vieilli des souvenirs où le regret du passé tient plus de place que l'aspiration vers l'avenir.

M. André Lefèvre est un des poëtes qui gagnent à être cités ; c'est par des extraits que nous avons déjà fait connaître les qualités révélées dans son premier recueil la Flûte de Pan. Nous voudrions traiter de même son dernier volume la Lyre intime composée de poëmes et de dédicaces. Les poëmes sont un peu longs pour être reproduits et ne peuvent guère se juger sur des fragments. Nous nous bor

nerons à quelques strophes de la dédicace de l'un d'eux à M. Sainte-Beuve. La critique en accueillant les jeunes talents ne fait pas toujours des ingrats.

Vous daigniez sourire à ma muse,

Quand, sous les bois, au fond des eaux,
Pour rhythmer la rumeur diffuse,
Pan lui confiait ses roseaux.

Nymphe ardente et chaste prêtresse,
Dryade ensemble et druidesse,
Tantôt elle chantait l'ivresse,
Des fleurs que visite le vent,
Et tantôt son oreille austère,
Épiant l'éternel mystère,
Entendait le sein de la terre,
Palpiter comme un cœur vivant.

Aujourd'hui ma muse recueille,
Les bruits de l'humaine forêt,
Où chaque esprit est une feuille
Que tourmente un souffle secret,
Mais la mélodie est la même,
Tout vit, tout désire et tout aime;
Le désir est la loi suprême

Partout dévoilée aux penseurs,

L'amour, attraction féconde,

Commande à l'homme ainsi qu'au monde,

De par cette unité profonde,

Ma FLUTE et ma LYRE sont sœurs.

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Si l'abeille attique a des ailes,
C'est pour accroître son trésor.

L'artiste qui marche et qui pense
Avec son temps, ne vieillit pas;
Et c'est là votre récompense.
L'instinct du jour guide vos pas;
Toujours tourné vers la lumière,
Vous laissez gémir en arrière
Ceux qui défendent leur ornière
Contre les oiseaux du réveil;
Heureux, vous qui vîtes éclore,
Un jour dont l'éclat dure encore,
Si notre vague et pâle aurore
Égalait votre ancien soleil.

La Lyre intime justifie pourtant moins complétement que la Flûte de Pan la déclaration de principes que l'auteur reprend dans sa préface et développe une fois de plus. « Pas de salut dans l'art sans la forme, sans l'alliance mesurée du contour et de la couleur; la poésie est une peinture qui marche, peinture du monde intérieur comme du monde visible. »

.7

Les citations des poëtes (suite), MM. D. Bernard, J.-M. Jouffroy, L. Ratisbonne, E. Manuel.

C'est aussi par une citation que je veux montrer sans discussions superflues, comment les genres savamment ou naïvement artificiels de nos anciens siècles poétiques, sont aujourd'hui en faveur. Le sonnet surtout a été cultivé. Il forme à lui seul des volumes et s'affiche en grosses lettres sur leurs couvertures. Un genre plus rare, le virelai en fera-t-il autant? Il s'est hasardé quelquefois dans nos journaux littéraires. Aujourd'hui, mêlé à des sonnets et à quelques

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