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intentions de M. Saint-Hilaire, à ses louables tentatives de rapprochement et de conciliation, il ne partage pas son indulgence ou son éclectisme en matière de doctrines ni dans les luttes de la foi et de la raison. Il se prononce pour la foi : « Le respect de toutes les religions indistinctement est bien près de l'indifférence, dit-il; trouver toutes les religions également bonnes équivaut à les trouver toutes également mauvaises. >

On le voit, à la première épreuve et chez des esprits spéculatifs, les mieux préparés à les bien accueillir, les idées conciliantes de M. Saint-Hilaire provoquent la contradiction sinon la guerre; que sera-ce chez des esprits absolus et belliqueux? Dans cet accord de la religion et de la philosophie, ils ne verront que l'illusion d'une intelligence élevée sans doute, mais par trop désintéressée, le rêve d'une âme honnête, candide, amie de la paix avant tout. Mais cette paix si précieuse, si désirable entre les personnes, pourrait-elle s'appuyer sur l'accord entre les choses? M. de Rémusat en doute. Cependant, à ses yeux, la solution de M. Saint-Hilaire au grave problème qu'il se pose, est pleine de sagesse. « Il faut l'accepter, tout au moins comme un bon conseil, ajoute-t-il avec une fine courtoisie, surtout si Voltaire a eu raison de dire que la paix

Est d'un prix aussi grand que la vérité même.

Vous l'entendez, philosophe, même aux yeux de la critique à qui tout fanatisme répugne, vous semblez préférer la paix à la vérité.

Quant à M. Merlet, il se contente d'effleurer le problème posé par M. Saint-Hilaire, pour s'en tenir spécialement à Mahomet et à l'islamisme : le sujet est vaste et vaut la peine qu'on s'y intéresse. Un Arabe de basse extraction, pasteur de troupeaux, comme Moïse, avant de devenir pasteur de peuples, qui vit quarante ans dans la solitude, la méditation et la chasteté, qui, embrassant avec l'impétuosité d'une âme énergique la mission à laquelle il se croit appelé par l'ange Gabriel sur le mont Hira, entre en lutte par la prédication d'abord, par les armes ensuite, contre l'idolâtrie fétichique des Arabes, lui substitue la foi au Dieu unique, détruit en quelques années cette idolâtrie qui avait résisté au mosaïsme et au christianisme pendant une longue suite de siècles, qui éclaire, civilise, convertit au monothéisme des hordes turbulentes et meurtrières, et les réunit en corps de nation, leur donnant à la fois un culte et

une patrie;

une doctrine religieuse qui, née dans le désert, se répand sur le monde avec la vélocité d'un incendie, embrase les âmes d'une même croyance, et suscite des cités et des empires sur son passage, qui compte aujourd'hui plus de cent millions de sectateurs et se maintient en face de l'Europe civilisée et chrétienne : une telle religion, et celui qui l'a fondée, méritent une place dans l'admiration de l'histoire. « Désormais, écrit M. Saint-Hilaire, Mahomet apparait à l'impartiale histoire comme un des hommes les plus extraordinaires et les plus grands qui se soient montrés sur la terre. »

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Il va plus loin: absolvant le prophète des trop justes reproches adressés à l'homme d'État et au politique, il accepte les moyens dont Mahomet s'est servi pour réaliser sa pensée : Ou son œuvre religieuse avortait, dit-il, ou elle n'était possible que par les voies qu'il a employées. Tout impures qu'elles sont, il vaut mieux qu'il ne s'en soit pas abstenu. » « Nous ne discuterons pas ces lignes, s'écrie M. de Vogué; l'histoire est là pour répondre. » Il y a dans l'islam un fait et une doctrine; on ne doit pas les isoler dans le jugement qu'on en porte; il faut apprécier l'arbre aux fruits qu'il donne: A fructibus eorum cognoscetis eos. « Les faits se chargent de montrer, à l'honneur de l'éternelle justice, que les voies impures ne pouvaient produire et n'ont produit qu'une œuvre impure et mauvaise. Et le critique condamne l'islamisme « comme un fléau qui a fait le malheur des peuples qui l'ont embrassé, » et son fondateur « comme un homme dont on pourrait dire : Mieux eût valu qu'il n'eût jamais existé. »

Je trouve le philosophe et le catholique aux prises et je les y laisse. Mais que penser maintenant de cet accord si désirable entre la religion et la philosophie, entre la foi et la raison! C'est le cas de s'écrier avec un poète :

Vous m'avez réveillé, messieurs, d'un bien beau rêve!

Sortons du rêve et rentrons dans l'histoire. Mahomet n'était pas un imposteur, un charlatan aux instincts sanguinaires. Il avait une foi ardente dans sa mission, et selon M. de Rémusat, cil a été l'un des plus sincères parmi les instituteurs du genre humain. » Il était naturellement doux, bon, enclin « aux simples tendresses du cœur. Il aimait les enfants: « Le paradis, disait-il, est aux pieds des mères. » Voici qui fera peut-être sourire; mais il aimait son cheval et sa chamelle, racontent biographes, au point d'essuyer leur sueur avec sa manche;

ses

il se levait pour donner à boire ou à manger à sa chatte; il s'était pris d'affection pour un vieux coq. Dans maintes circonstances, il s'est montré généreux jusqu'à la magnanimité envers ses ennemis, entre autres occasions, après sa victoire sur les Mecquois, qui, pendant vingt ans, l'avaient abreuvé d'outrages et poursuivi de menaces de mort. Il ne s'est pas toujours montré aussi clément; il a commis et laissé commettre des actes de barbarie. Pour faire triompher ses idées, dit M. de Vogué, il n'a pas reculé devant l'imposture et le meurtre, pas même devant l'assassinat. Les apologistes du prophète plaideraient en vain ici les circonstances atténuantes : le fanatisme de son entourage, les influences de race et de climat, les lois de la guerre, les nécessités de la politique: le caractère de l'apôtre chez Mahomet en reste à jamais atteint et diminué. Il a versé le sang à l'exemple des conquérants, mais contrairement aux enseignements de Jésus-Christ, dont il se donnait cependant pour le continuateur. Le divin crucifié, lui, en fait de sang, n'a répandu que le sien.

Toutefois, pour rester justes, n'oublions pas qu'à côté du révélateur chez Mahomet, il y avait le fondateur d'empire. Il a subi ce dernier rôle bien plutôt qu'il ne l'a ambitionné ou même prévu. « La volonté n'avait fait de lui qu'un prophète, dit M. de Rémusat, la nécessité et l'occasion en firent un capitaine.» Dans le Coran on ne voit pour ainsi dire pas trace d'une pensée politique, d'un dessein de domination par les armes. Il n'était pas né guerrier ni conquérant; il le devint très-tard et à contre-coeur : curieuse originalité! S'il tira le sabre à plus de cinquante ans, ç'a été contraint par les circonstances et pour défendre sa vie et sa mission également mises en péril par des adversaires acharnés. Une tentative d'assassinat avait été faite contre sa personne. Sauver ses jours, c'était sauver la religion qu'il avait à fonder. Il fit donc la guerre malgré lui, mais il la fit à outrance. Une fois lancé dans cette voie, il ne s'arrête plus : le Coran d'une main, le cimeterre de l'autre, il pratique en grand le compelle intrare. C'est par les armes que l'islam s'est propagé; c'est par la force, dès l'origine, qu'il s'est imposé aux consciences: mauvais commencement pour une religion.

L'islamisme au berceau reçut le baptême du sang.: c'est là

sa tache indélébile.

Qu'est-ce donc que l'islamisme? La foi en un Dieu unique et personnel, clément et miséricordieux, créateur et maître absolu

de l'univers, père de l'homme sur lequel il veille et qu'il comble de biens, rémunérateur et vengeur dans une autre vie, toutpuissant, éternel, infini, présent partout, voyant nos plus secrètes pensées, et présidant à la destinée entière de ses créatures dans ce monde et dans l'autre. Voilà la doctrine ou l'islam, c'est-à-dire l'abandon le plus humble et le plus confiant à la volonté de Dieu. Le culte se borne à la prière répétée pluseurs fois le jour, aux ablutions, à la pratique de toutes les vertus, surtout l'aumône, au pèlerinage à la Mecque, enfin à la croyance et à la soumission au prophétisme de Mahomet. Le credo musulman se résume en ces mots : Il n'y a de Dieu qu'Allah, et Mahomet est l'envoyé d'Allah.

Symbole et dogme, rien de plus simple, rien de moins surnaturel que l'islamisme : pas de merveilleux, pas de miracles; en fait de prodiges, tout se réduit à un songe et à la vision sur le mont Hira. Mahomet ne se reconnaît pas le don des miracles; il se refuse, non sans quelque dédain, à pratiquer les prodiges que des incrédules le somment de produire comme preuves de sa mission. Pour convaincre, il prétend ne s'adresser qu'à la raison, il n'a pas recours au surnaturel : « Il veut que l'islam soit une religion sans miracles. » Voilà son originalité, et certes elle est d'un ordre très-élevé.

L'is'amisme, en effet, bien qu'issu du judaïsme et du christianisme, semble un retour au théisme simple et primitif; il se réduit, selon M. de Rémusat, à une sorte d'unitarianisme théorique et pratique : « C'est la religion révélée la plus voisine du pur déisme qui ait jamais été enseignée au monde. » De plus, Mahomet ne se donne pas pour un novateur, mais pour le continuateur de ces grands Envoyés de Dieu qui l'ont précédé, et dont il ne parle jamais qu'avec admiration et tendresse : Abraham, Moïse, David, Jésus-Christ. Il vient reproduire et compléter leurs enseignements. Il est le sceau de la doctrine et des prophètes antérieurs. S'il renverse l'idolâtrie, c'est pour rétablir sur ses ruines et ses pratiques sacriléges la vraie religion que les temps ont obscurcie, que les hommes ont méconnue et défigurée. Interprète du Ciel, il vient la faire revivre dans sa pure lumière, telle qu'Abraham l'a reçue de Dieu et pratiquée; il vient la rallumer dans l'âme des hommes et leur en laisser les préceptes dans le Coran, le livre qui résume et confirme les Écritures, le livre de la loi définitive, écrit et donné par Dieu même, et que l'ange Gabriel, durant un somextatique, a déposé sur son cœur. »

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Le Coran en arabe signifie récitation. Le livre connu sous ce nom est le recueil des prédications, des révélations verbales de Mahomet, recueillies de mémoire par ses amis et ses auditeurs, et consignées depuis par écrit. Ce sont des discours sur Dieu et sur l'immortalité de l'âme, sur des points de foi, de morale, de législation et même d'hygiène. La lecture en est fatigante, si elle est, en somme, édifiante: peu d'idées neuves ou profondes, peu de métaphysique et de poésie, mais une foi vise et militante, des sentiments de charité pratique et de manscétude fraternelle, une morale plutôt bumaine et indulgente qu'élevée et religieuse, car elle s'accommode des sensualités de la passion. Quant au dogme de la fatalité, il ne se trouve pas dans le Coran, à moins qu'on n'entende par fatalisme l'absolue soumission de l'homme à la volonté de Dieu. L'intolérance ne s'y formule pas davantage en un dogme explicite; on y lit ces belles paroles : « Ne faites point de violence aux hommes à cause de leur foi. » Cependant, « de ce code de liberté morale et de fraternelle mansuétude, les musulmans sont parvenus à déduire le fatalisme, l'intolérance, le fanatisme persé cuteur; comment s'y sont-ils pris ? C'est l'éternel secret des sectateurs.

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Voilà comment, en se faisant le critique des critiques, M. Aug. Lacaussade éclaire tour à tour la figure de Mahomet de toutes les lumières qui jaillissent des divers points de vue exclusifs, ou l'assombrit de toutes les ombres que les systèmes amassent autour d'elle. Avec M. Barthélemy Saint-Hilaire et M. de Vogué, il reproche sévèrement au fondateur de l'islamisme l'institution de la polygamie, et les caprices voluptueux de vieillard qu'elle lui permit de satisfaire; il attribue à cette indulgence d'une religion pour le vice une partie de sa force dans les pays où elle règne et l'aversion qu'elle inspire dans les contrées où domine une plus austère morale, et il adhère volontiers à cette opinion de l'historien de Mahomet : « Pour nous, si sa doctrine est irréprochable, sa vie ne l'est pas, et tout en étant bienveil lant et juste envers lui, nous ne pouvons pas cependant le voir autrement que les mains teintes de sang et dans le cortége impudique de ses femmes. »

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