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rhythmes plus libres, il fournit le titre de tout un recueil de poésies, les Virelais de M. Daniel Bernard1. Un échantillon rappellera ce genre vieillot à ceux qui l'ont oublié. et suffira pour faire connaître l'auteur.

LE CONCERT RIDICULE.

Elle était assise au vieux clavecin,

Vieux!

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comme un début de poëme épique!
Elle estropiait un air. Le serin

En cage, sifflait cet air magnifique.
Le serin était, de la République,
Le plus furieux et le plus chagrin.
Car il entendait, le soir, le matin,
En russe, en anglais, en grec, en latin,
Cet air où l'ennui donnait la réplique!
Elle était assise au vieux clavecin,
Vieux!

Comme un début de poëme épique!

Je la regardais tandis que sa main
Traduisait la note hiéroglyphique.
L'ivoire était jaune et la mécanique
Fatiguée, hélas! restait en chemin.

« - Demain, dit la belle au chant inhumain,
Vous m'écouterez de nouveau. << Demain,
J'attends un parent venu d'Amérique. »

Elle était assise au vieux clavecin,
Vieux! comme un début de poëme épique!

Comme je bâillais, elle dit : — « Voisin,
Vous êtes, ce soir, d'humeur prosaïque.
Ma romance est-elle un soporifique?
Vous êtes aussi galant qu'un cousin. »
Et moi, déroulant un œil assassin :

C'est, mademoiselle, au fond de mon sein,
Que chante la voix de votre musique ! »

Elle était assise au vieux clavecin,

Vieux !

comme un début de poëme épique.

Nous n'attachons pas à ces tours de force de rimes plus

1. Dentu, in-18.

d'importance qu'il ne convient. Ce sont des amusements poétiques qui ont leur prix pour ceux qui s'intéressent aux choses de l'archéologie littéraire.

Je donnerai volontiers l'hospitalité de mon livre à un poëte mort jeune et inconnu, mais dont les pages intimes recueillies par des mains amies, témoignent de dispositions heureuses et heureusement cultivées. Voici en quels termes M. Évariste Bavoux annonce, dans le Moniteur1 la publication des Poëmes de J.-M. Jouffroy, par M. Gohier?

« Un jeune homme, Jean-Marie Jouffroy, doté par ses père et mère de quelque fortune, et par le ciel du don de la poésie, épouse la femme qu'il aime; chante ses amours légitimes; c'est le chant du cygne. Il meurt à trente-deux ans, laissant quelques feuillets, à peine colligés, de vers mélodieux, tendres, philosophiques, que la main pieuse d'un ami recueille et livre à la publicité.

Tel est tout ce poëme, simple et touchant, empreint des aspirations les plus saintes de la nature humaine : la poésie, l'amour, l'amitié, le sentiment du devoir; et pour couronne, une mort prématurée. »

Ces hommages funéraires, pour ainsi dire, d'une plume amie ne sont pas la seule recommandation des Poëmes de J.-M. Jouffroy. Des citations nous permettent d'apprécier nous-même le poëte. J'en détache une qui montre le sentiment de la nature uni aux impressions profondes de

l'amour.

Coteaux, ravins profonds, taillis, forêts ombreuses,
Dont j'ai foulé parfois les routes sinueuses,
Déjà sur vous l'automne abaisse un dôme obscur.
La cime des grands bois de brumes s'est drapée,
Et de l'onde, qu'un soir ma rame avait frappée,
Se ride et se ternit l'azur.

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Les brises ont fait place à de froides haleines;
L'alouette aux corbeaux abandonne les plaines.
Plus d'insectes sous l'herbe et d'étoiles aux cieux.
Jouet d'un vent glacé, sans rayon qui l'essuie,
La feuille, qu'a rouillée une incessaute pluie,
Se heurte et roule au pied des murs silencieux.

Mais j'oublie aujourd'hui tes brises, tes étoiles,
Les fleurs, riches joyaux dont tu couvres tes voiles,
Ta voix même qu'hier j'écoutais à genoux!
Retiens ou fais couler le flot de ta richesse,
Que Mai pare ton front ou qu'Octobre le blesse,
Il ne m'importe plus!... Mon cœur depuis un jour
Cesse de refléter ta langueur et ta joie :

Dans la sphère où ma vie à présent se déploie,

Nature! ton soleil pâlit devant l'amour.

J'aime ! Elle est tout pour moi, fleurs, ombre, étoile et brise,
Mon âme rajeunie à la sienne est soumise;
Où s'éteint son regard finit mon horizon...

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Aux différentes pièces de vers que j'ai vues de J.-M. Jouffroy, j'aurais deviné, sans que M. Ev. Bavoux en insinuât l'aveu, qu'il n'a peut-être pas « toujours assez de force, d'énergie, de grandeur; mais je crois volontiers « qu'il a habituellement une adorable gràce, une exquise sensibilité. » Originaire, par son père, des montagnes du Jura, le jeune poëte était peut-être, par le sang, de la famille du philosophe Théodore Jouffroy; mais il n'avait pas été troublé, comme ce dernier, par le sentiment des problèmes philosophiques autrement, les nobles et parfois douloureuses inquiétudes de la destinée humaine auraient ouvert à sa poésie des horizons plus vastes et donné à sa voix un accent plus profond.

Je regrette de n'avoir que quelques vers à citer d'un poëte dont j'ai eu le malheur de ne pas goûter les œuvres et les traductions autant que l'Académie française, qui les a maintes fois couronnées. M. de Ratisbonne a publié, cette

année, un recueil de poésies les Figures jeunes1 dont les journaux ont donné divers extraits. La plupart ont consacré à l'auteur ces articles aux formes louangeuses où la critique se glisse discrètement, à moitié dissimulée par l'éloge. On a remarqué dans ce recueil la Source, fantaisie poétique d'après le tableau si populaire de M. Ingres, et la Valseuse, souvenir de Schiller.

Lorsque Dieu les lança dans les airs dispersés,
Aux mondes ses enfants, il dit ce mot: Valsez.
De ce jour tout valsa dans la vie infinie,
Depuis le soleil d'or sur son axe vermeil,
Jusqu'au grain de poussière en un fil de soleil.

1

On retrouve dans les Figures jeunes, beaucoup de réminiscences des poëtes étrangers, et ce n'est pas la plus mauvaise part du bagage poétique de M. Ratisbonne. Ici, comme dans la Comédie enfantine, l'absence de la note virile se fait regretter. Le trait dominant de M. Ratisbonne, dit, par euphémisme peut-être, M. Challemel-Lacour, c'est la bonté, et il ajoute avec non moins d'euphémisme : « Poésie de famille dont l'écueil est l'excès d'ingénuité. » Ai-je dit autre chose?

Je terminerai ce chapitre où la citation domine par des extraits des Pages intimes de M. Eugène Manuel'. Quoiqu'elles soient un livre de début, elles ne sont pourtant pas inconnues de nos lecteurs. Quelques pièces détachées ont été insérées, il y a trois ans, sous ce même titre dans la Revue. des Deux-Mondes, et elles nous avaient paru dignes

1. Michel Lévy, in-18.

2. Voy. le Temps du 31 octobre 1865. Il faut lire dans deux livraisons consécutives de la Revue contemporaine le double compte rendu consacré à l'auteur des Figures jeunes par un spirituel et sincère critique, M. A. Claveau. On jugera combien il est difficile de satisfaire les poëtes en matière d'éloges.

3. Michel Lévy, in-18, iv-244 pages.

d'être recueillies, pour leur grâce simple et vraie. L'auteur les a reproduites, avec beaucoup de pièces nouvelles, dans un de ces charmants volumes, où, de nos jours, la poésie reçoit de l'art typographique un relief de plus. Les vers de M. Eugène Manuel sont de ceux qu'on peut se dispenser de louer, en se donnant le plaisir de les citer. Quelle plus délicate introduction que ce premier sonnet adressé au lecteur et qui, si j'en crois les indiscrets, devait porter et donner au volume le titre de la Source cachée.

Sous la mousse et sous les roseaux,
L'avez parfois rencontrée,

La petite source ignorée,

Connue à peine des oiseaux?

De ses invisibles réseaux,
Nul ne suit la trame azurée,
Nul ne s'informe où vont ses eaux
Dans la forêt désaltérée.

Longtemps elle court sans dessein;
Un jour, on lui creuse un bassin :
Lecteurs vous achevez l'histoire !

A travers bois, ma source fuit,
Elle est humble et fait peu de bruit;
Mais elle est pure, on y peut boire.

J'avais craint d'après les extraits déjà publiés des Pages intimes, que la grâce, la sensibilité tournant à la mélancolie, ne produisissent de la monotonie dans un recueil d'une certaine étendue. Cette crainte était mal fondée : les Pages intimes ne manquent pas de variété; l'idée se fait jour à côté du sentiment et au besoin arrive à la force et à l'éclat. L'auteur se montre au complet dans la pièce suivante. Elle est un peu longue peut-être, mais son originalité nous excusera de l'avoir reproduite.

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