Images de page
PDF
ePub

LA PATRIE remplit ensuite trois volumes entiers avec Richard II, Henry IV, première et deuxième partie (tome XI), Henry V, Henry VI, première partie (tome XII), Henry VI, seconde et troisième partie, et Henry VIII (tome XIII). Pour clore toutes ces séries, viennent LES FARCES qui comprennent les Joyeuses épouses de Windsor, la Comédie des erreurs et le Soir des Rois ou Ce que vous voudrez (tome XIV). Le dernier volume comprend des sonnets, des poésies diverses, et non des pièces de théâtre.

Il ne faut pas discuter trop sérieusement une classification inspirée par le caprice: les poëtes sont fidèles à la fantaisie jusque dans l'érudition. Ici la fantaisie est palpable. Que de pièces pourraient passer d'une catégorie dans une autre ! Celle des Tyrans ne pourrait-elle pas être grossie de quelques héros, chargés de représenter la Société et la Patrie? Les Jaloux ne pourraient-ils pas prêter ou prendre quelques sujets aux Amants tragiques? Toutes les comédies ne sont-elles pas plus ou moins des Comédies de l'Amour?

Sans doute, une idée générale se dégage de chacune des œuvres du génie, mais non avec la netteté, la précision d'une formule, avec l'abstraction d'un concept philosophique. Chose curieuse : l'école romantique a toujours reproché aux classiques de diviser ce qui est uni, de distinguer des genres que la nature a confondus, de créer des limites arbitraires, de faire, dans l'art, la part du rire, la part des larmes, celle du grotesque et celle du noble langage. M. Vacquerie a recommencé la guerre, dans ses Profils et Grimaces, contre toutes les distinctions du théâtre classique1, et voici qu'un romantique, le fils même du chef de l'école, invente tout un système de divisions arbitraires pour les besoins d'un ordre artificiel et apparent.

Ces procédés factices n'auraient pas d'inconvénient dans une étude de critique sur Shakespeare. Elles en ont un

1. Voy. ci-dessus, p. 256 et suiv.

grand dans une édition complète de ses œuvres : on ne sait plus où retrouver une pièce dout on ne connaît que le titre ou dont le caractère n'est pas aussi tranché pour vous que pour l'éditeur.

Dans quel groupe, et, par suite, dans quel volume irezvous chercher Beaucoup de bruit pour rien, Tout est bien qui finit bien, le Marchand de Venise ou Mesure pour mesure ? C'est ici que le besoin d'une table se fait sentir, et sur quelque principe qu'elle reposàt: ordre chronologique ou ordre alphabétique, elle serait la condamnation et la réparation en même temps du désordre systématique adopté. Les éditeurs paraissent avoir horreur de ces auxiliaires utiles; ils n'ont pas même à la fin du tome dernier une table générale de toute la publication. En sorte que, pour retrouver une pièce quelconque ou ses appendices, il faut feuilleter quinze volumes. Il répugne de relever ces misères, mais quand on se donne le rôle d'éditeur, il faut en accepter la tâche jusqu'au bout. On annonce comme complément des Œuvres de Shakespeare, un volume qui contiendra les Apocryphes, c'est-à-dire Périclés, Titus, Andronicus et les Deux nobles parents. Espérons que ce tome complémentaire contiendra, sinon un index analytique, vrai travail de bénédictin, devant lequel il est permis de reculer, du moins une table générale assez détaillée des matières. Il ne suffit pas d'élever un monument à la gloire, il faut le rendre accessible.

Il n'est pas sans intérêt de remarquer en finissant, les dédicaces de chacun des volumes de la traduction de Shakespeare par M. Fr. V. Hugo. Plusieurs ne sont peut-être pas sans quelque relation cherchée avec les sujets. D'autres au contraire n'indiquent évidemment aucune intention de rapprochement. Les deux Hamlet sont dédiés «A ma mère»; les Féeries, à Celle qui est restée en exil, la sœur du traducteur; les Tyrans, à mon père les Jaloux, à Charles Hugo, et à Auguste Vacquerie; les Comédies de l'Amour,

« à Paul Meurice; les Amants tragiques, « à Jules Janin » ; les Amis à Paul de Saint-Victor»; la Famille, « à Alexandre Dumas ; la Société, « à Louis Blanc »; la Patrie, «à Eugène Pelletan» «à Michelet» et «à Giuseppe Garibaldi »; les Farces, à Miss Emily de Putron »; enfin le XV volume (sonnets, poëmes, testament) « à la mère Patrie ». Un travail aussi considérable ne pouvait être placé sous trop de patronages et se présenter sous les auspices d'un trop grand nombre de noms sympathiques.

[ocr errors]

α

5

Le libre échange entre les langues. Nos importations anglaises.
M. A. Kervigan.

La philologie n'a pas d'ordinaire la prétention d'être amusante; les grammaires et les dictionnaires ne rient pas. L'étude des langues est le préambule sévère de celles des littératures, elle est par elle-même peu littéraire. Ne nous plaignons pas de lui voir prendre, par exception, une tournure plus attrayante. C'est à ce titre que nous signalerons L'Anglais à Paris, histoire humoristique de son introduction dans notre langue et dans nos mœurs, par M. Aurèle Kervigan'. C'est moins un livre de philologie que d'impressions de voyage, une étude de mœurs comparées, à propos de mots, de locutions ou de maximes empruntées à l'Anglais. La plupart des signes et des formules recueillis par l'auteur ne sont point entrés dans notre langue, comme il l'annonce, mais ils résument les usages, les idées, les institutions britanniques, et donnent naturellement lieu à cette nouvelle esquisse de l'Angleterre et de la vie anglaise : l'idiome national n'est là que pour la relever et lui donner plus de couleur locale.

1. Dentu, in-18, 350 pages.

M. A. Kervigan a réuni dans son livre au moins six cents mots et locutions que, l'anglomanie aidant, nous finirons par faire passer tous dans notre langue. Il donne de chaque terme, de chaque proverbe, le sens, l'étymologie, la prononciation; mais il évite la roideur et la sécheresse des dictionnaires, et, dédaignant l'ordre rigoureux de l'alphabet, il présente dans une suite arbitraire et quelquefois pêlemêle, les observations et les anecdotes que chaque mot peut suggérer. Il a voulu tirer de là « une diversité de tableaux d'un intérêt égal à celui du fond même de l'ouvrage. » Le caractère humouristique de ce petit cours d'anglais déguisé tient surtout aux scènes de mœurs qui paraissent toujours étranges au lecteur français qui n'a point visité la société britannique. Malgré les emprunts que nous faisons à nos voisins, à leur langue, à leurs usages, à leur modes, à leur industrie, à leur commerce, à leurs institutions publiques, des différences énormes séparent toujours John Bull de Jacques Bonhomme. Il ne nous faut que deux heures pour traverser la Manche; il faudra peut-être des siècles encore pour confondre les deux langues et réunir les deux peuples.

Jusqu'ici les locutions anglaises qui nous sont le plus familières, marquent plutôt les différences que les ressemblances d'esprit et de caractère. Le plumpudding restera longtemps un plat anglais, le criket, un jeu anglais, le Great-Eastern, un navire anglais, les inexpressibles, une pudeur anglaise, le self government, oublié, est-ce à dessin? par M. Kervigan, une institution anglaise. Les proverbes Times is money, Goahead et autres n'auront de longtemps tout leur sens que pour l'Angleterre ou pour ses enfants d'Amérique. Tout un caractère national s'y reflète. Celles de leurs maximes qui rappellent les nôtres sont, chez eux, les moins en faveur, témoin celle-ci :

To bebornwith a silver spoon in the mouth, « être né avec

Ce proverbe qui a le est commun aux

une cuillère d'argent dans la bouche. même sens que le nôtre : « étre né coiffé, Américains et aux Anglais, mais ils y croient moins qu'à la puissance féconde du travail. Chez ces deux peuples de race anglo-saxonne, peu d'hommes comptent sur la chance, chacun n'a d'espoir que dans ses efforts personnels; ce qui s'appelle self-reliance, s'appuyer sur soi-même.» La chance, disait un jour devant moi un Américain, est un mot vide de sens, à l'usage des oisifs et des peureux. Ces gens-là espèrent que leur blé poussera sous l'ardeur de leurs désirs, ou que l'incendie qui dévore leur maison va s'éteindre sous l'abondance de leurs larmes.

M. A. Kervigan a noyé son érudition anglaise dans les développements complaisants du voyageur et du conteur. L'index qui termine le livre, et qui contient, avec la prononciation figurée, toutes les expressions et locutions expliquées ou commentées, ne permet pas même de les retrouver dans le volume. Outre que l'ordre alphabétique n'en est pas rigoureux, l'indication des pages manque complétement. Une table qui n'indique pas les pages, à quoi sertelle? Je veux bien que l'esprit humoristique se donne carrière dans tout le cours de l'ouvrage, mais il faudrait au moins qu'un répertoire alphabétique permît d'y rechercher un souvenir.

4

La langue régulière et l'argot. M. Lorédan Larchey.

La charge si fort à la mode dans l'art et la littérature de notre temps, qui fait le succès des théâtres et des journaux pour rire, qui inspire M. Offenbach et donne à Mlle Thérésa son originalité, la charge se glisse dans la conversation, dans le style: on parlait argot, on commence à l'écrire. Sœur Philomèle, Renée Mauperin ont donné droit de cité à ces expressions pittoresques et hasardeuses que Gavarni

« PrécédentContinuer »