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en trois éclats.

Dans cette poétoration contre le luxe universel, il y a une assez curieuse épigramme contre le moraliste sénateur qui a attaché le grelot.

En acceptant d'un coup, deux places argentines
Dupin s'est tout couvert d'immenses crinolines,
De robes, de bonnets, et d'habits galonnés
Dont le luxe éblouit les luxes couronnés.

Cette même année, au Supplice d'une femme de MM. Émile de Girardin et Alexandre Dumas fils, M. Gagne avait répondu par le Supplice d'un mari, où il montrait

comment l'époux en grève contre l'amour légitime commence par abolir son adultère pour que la femme abolisse le sien. Plus tard encore, au moment où les nouveaux journaux littéraires du soir se mirent à fourmiller, M. Gagne opposa au Soleil de M. Millaud, son Archi-Soleil dont il fut à lui seul l'éditeur, le rédacteur, l'administrateur, et, dit-on, le porteur.

Craignant d'être traité d'ambitieux, M. Gagne déclare, en vers et en prose, que « son but est seulement de cirer l'esprit du monde, crotté du plus infernal crétinisme. »

Pour toute ambition, dans l'amour qui m'inonde,
J'aspire à devenir le décrotteur du monde.

Mais en voilà assez et plus qu'il n'en faut sur M. Gagne, poëte. Je promets de n'y pas revenir de longtemps; cependant je ne puis résister à l'envie de le faire connaître comme prosateur en reproduisant une lettre adressée par lui au directeur d'un petit journal du soir.

A monsieur le directeur du journal Les Nouvelles.

L'archithéâtre plein de paroles fécondes

Est l'unique salut des lettres moribondes!

Monsieur,

Dans les intéressantes Nouvelles du 6, vous dites, spirituelment, que je suis l'auteur anonyme de l'Archiadultéricide que

le théâtre du Gymnase répète; je ne sais pas, monsieur, si, dans un moment de rêve, j'ai porté un pareil drame à M. Montigny, mais ce que je sais positivement, c'est que le Gymnase est un des quatorze théâtres de Paris où j'ai porté le Supplice d'un mari, les Deux luxes, la Grèvéide et autres drames ou tableaux, éclats et éclairs que, dans mes lettres d'accompagnement, je déclarais donner aux directeurs en leur offrant de jouer moi-même une douzaine de rôles. Je renouvelle mon offre généreuse aujourd'hui, et j'engage tous les directeurs à faire appel aux poëtes et prosateurs pour qu'ils viennent euxmêmes déclamer ou poétorer les passages choisis de leurs œuvres sur les diverses scènes, sous le titre de l'ARCHITHEATRE. C'est le seul moyen de faire des expositions littéraires et de sauver les théâtres et les lettres à l'agonie. J'offre de poétorer des tirades des femmes-muses que j'avais réunies il y a quelques années, au nombre de neuf, dans un congrès littéraire, de manière à être absolument comme Apollon au milieu des neuf Muses! J'ai étudié toute ma vie l'art oratoire, j'ai joué plusieurs grands rôles, et je ne crains pas de me proclamer l'architalma-Gagne du monde!

Je crois, monsieur, que les théâtres feraient fort bien d'accepter mes propositions et de ne jouer que mes pièces et poëmes dramatiques; l'Unitéide en 12 chants et 60 actes, le Calvaire des rois, régi-tragédie formidable, le Congrès sauveur, salutéide ou poëme opéra de salut en 24 chants, et autres cuvres, peuvent fournir des tragédies, des drames, des comédies de premier ordre à tous les théâtres pendant des années, et cela ne coûterait rien et je jouerais supérieurement plus de cinquante rôles! Je vous prie, monsieur, de faire goûter et agréer ces immenses avantages à messieurs les directeurs et à tous les gens de lettres.

J'ose espérer, monsieur, qu'en vertu de la bienveillance et du droit de réponse, vous voudrez bien insérer, dans les spirituelles Nouvelles, cette lettre, qui a un but très-glorieux pour tout le monde! Je vous en conserverai une reconnaissance. J'ai l'honneur d'être, etc.

Qu'on n'accuse plus maintenant notre époque d'indigence en fait de poésie, ni les lettres d'indifférence pour la moralisation et le salut du monde!

ROMAN.

Nombre et variété des formes du roman contemporain.

J'ai déjà eu occasion de dire, et plutôt plusieurs fois qu'une, que le genre littéraire favori de ce temps, c'est le roman. Il y a des romans de toutes sortes, comme des almanachs romans d'intrigue et d'aventures, romans d'amour, romans de cape et d'épée, romans d'histoire et de voyages, romans d'art et de fantaisie, romans de philosophie et de religion, romans d'enseignement et d'éducation. Il y en a pour toutes les classes du public et pour toutes les régions de la société. Il y a le roman populaire, celui du grand monde, celui du demi-monde surtout; il y a celui du salon, du boudoir, de l'alcôve, de l'atelier, du cloître, de la sacristie, du confessionnal même. On met en roman sa vie, celle des autres, ses idées, quand on en a, celles qu'on croit avoir. Par des romans, on soutient des thèses, on les combat; on enseigne, on vulgarise; on scandalise, on édifie; on ébranle et on rassure la société, on en démolit et on en refait tout l'édifice. On se livre, à coups de romans, des duels, des batailles terribles. On met à nu l'envers et l'endroit de toutes les grandes questions du moment.

Ce que le roman perd ou gagne à cette invasion des discussions sociales, philosophiques ou religieuses, je ne puis le redire aussi souvent que l'occasion s'en présente. Car, il

ne s'écoule guère d'années sans que de grosses publications ne viennent appeler la critique littéraire sur les terrains belliqueux où les idées passent avant la forme, les intérêts de parti avant les questions de goût, où les livres ne sont plus que des armes.

Le philosophe peut applaudir à cette transformation des œuvres d'art; l'homme de goût aime mieux les belles pages que les puissants arguments. Le critique d'art préférerait le beau au bien et au vrai, si ces trois immortels compagnons pouvaient ne pas marcher ensemble.

C'est dans le roman surtout que l'on voudrait voir l'art désintéressé, et, il faut en convenir, c'est par l'art seul que le roman peut vivre. La vérité des situations, des caractères et des sentiments fait plus pour cela que l'excellence de la thèse et la justice de la cause défendue. Le mieux, au point de vue de l'art, est qu'il n'y ait ni thèse, ni cause à défendre, ou du moins qu'elles ne se laissent point voir. Les idées philosophiques de Diderot ont nui quelquefois à son merveilleux talent de conteur. Un souffle de passion vraie, une situation bien étudiée ont suffi à l'auteur de Manon Lescaut pour faire une œuvre immortelle.

Sous le bénéfice de ces remarques générales et sans les reprendre à propos de chaque cas particulier, nous allons passer en revue non pas tous les romans de l'année 1865, il s'en faut de beaucoup, mais un assez grand nombre d'échantillons et d'assez variés pour donner une idée de toutes les classes qu'embrasse aujourd'hui ce genre trop fécond de production littéraire.

2

Le roman de caractères et de situations. Mme Max Valrey;
M. H. Malot.

Malgré l'abondance toujours plus grande des romans de mœurs, et la satiété qu'un genre en ce moment protégé par le mode, est bientôt menacé d'inspirer, on sera toujours séduit par une étude bien faite, où la passion se mêle à l'action dans des proportions suffisantes, où la figure d'un personnage domine le drame, moins par la description du personnage lui-même, que par sa manière d'agir, de penser, de se présenter sur toutes ses faces au spectateur attentif. Les Confidences d'une puritaine de Mme Max Valrey1 sont un exemple dé la séduction contagieuse qu'exerce un roman passionné.

Le titre seul m'avait offusqué : je croyais y retrouver comme un écho des Mémoires et Confidences de toutes sortes qui nous envahissent à qui mieux mieux, depuis qu'il est devenu de mode, dès que l'on tient une plume, de raconter au public, de quelle manière on la tient, et quelle est la qualité du papier sur lequel on la pose. Je ne parle pas des détails dans lesquels veulent bien entrer nos petits messieurs et nos petites dames. J'ai donc été agréablement surpris de voir que le livre de Mme Max Valrey n'était autre chose qu'un roman sans prétentions dans la forme, qu'une suite de notes, d'impressions, de souvenirs fixés au jour le jour par l'héroïne et son histoire. Le cadre est si vieux qu'il m'a paru nouveau, et d'ailleurs l'auteur ne me laissait pas le temps d'en discuter la valeur ou l'opportunité : immédiatement intéressé par le caractère qui s'y développait dès

1. Hachette et Ci, in-18, 281 pages.

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