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les premières pages, je n'ai plus donné mon attention qu'au sujet lui-même.

Une femme jeune encore, restée fille par suite des vices nombreux de son éducation, s'éprend, à la dernière heure, d'un violent amour pour un jeune homme ami de sa famille, qu'elle rencontre aux bains de mer. Elle ne sait rien de son passé et n'en aurait vraisemblablement jamais rien su, sans une circonstance particulière qui éveille en elle une ardente jalousie et lui fait commettre le plus grave des abus de confiance. Elle fouille les papiers d'Ambroise, viole le secret de ses lettres, y trouve de nouveaux aliments pour sa jalousie, et finit, dans son exaspération, par outrager mortellement et trahir sans pudeur celui qu'elle aime.

Sa trahison ne portera pas tout le fruit qu'elle en espérait. La femme qu'aime Ambroise est l'antipode de Clarisse la puritaine. Autant celle-ci est sèche, roide, pédante, sans extérieur, sans charme, sans grâce; autant celle-là est simple, bonne, élégante, femme du monde et du meilleur. Autant Clarisse repousse par sa froideur les prétentions aux sciences abstraites, son esprit mathématique, son goût pour les spéculations vaines; autant Laurence atțire par son cœur, sa tendresse exubérante pour tout ce qui souffre, l'infinie délicatesse de ses sentiments, la distinction native de ses manières, la sympathie de sa conversation. Chez l'une une âme ardente, sauvage, est renfermée dans un disgracieux fourreau dont elle s'efforce vainement de percer la rude enveloppe; chez l'autre toutes les grâces de la femme s'épanouissent et se révèlent par un extérieur admirablement fait pour la nature dont il est le cadre. C'est l'étude de cette antithèse constante, les piquants détails qu'elle fournit, qui font tout l'intérêt des Confidences d'une puritaine.

Clarisse d'ailleurs ne nous cache rien de ses fureurs concentrées, de ses tortures intimes en présence de sa rivale, en devinant le secret de sa puissante influence sur l'âme d'Ambroise. Se sentir femme par la passion, avoir du cœur

à l'état latent, sans pouvoir le prouver autrement que par des maladresses; n'être comptée par ses amis les plus chers, par celui-là même qu'elle adore que comme une bonne fille dont les boutades, les caprices, la présence même dans les moments d'épanchement les plus intimes, ne tire point à conséquence; voir son dévouement inaperçu, et ne recevoir en récompense des mille sacrifices de dignité et d'orgueil qu'elle fait à toute heure, que le témoignage équivoque d'une pitié dédaigneuse ou d'une affectueuse protection quel plus terrible supplice!

Cette douleur racontée heure par heure par Clarisse elle-même est vraiment touchante, et Mme Max Valrey a su faire parler à cette nouvelle victime de la fatalité le langage qui convient le mieux à sa triste situation. On s'intéresse à cette déshéritée du sort, plus qu'à la grâce, à la beauté de sa rivale, parce qu'elle dit bien la souffrance qu'elle éprouve, et qu'elle souffre mille fois plus qu'elle ne le dit.

M. Hector Malot continue la série de ses études sur les situations douloureuses produites dans la vie par une passion qui semble n'avoir d'autre objet que notre bonheur. Sa seconde partie des Victimes d'Amour a pour titre les Époux1. L'amour sanctionné par la société et la loi a son calvaire, comme l'amour illégal, et nous en arrosons souvent les stations de nos pleurs et de notre sang. La vie est là pour offrir aux peintres des modèles vivants; la fantaisie peut s'inspirer de la réalité, et l'une et l'autre peuvent contenir des leçons de morale que l'art n'a pas besoin de réduire en formules.

Les Époux de M. Hector Malot ont débuté par toutes les

1. Michel Lévy frères, in-18, 376 pages. Voyez l'analyse de la première série, les Amants, dans le tome II de l'Année littéraire, pages 120-125, et celle des Amours de Jacques dans le tome III, pages 129-131.

joies et toutes les promesses de l'amour. Mais leur bonheur est détruit par son excès même; la satiété a produit le dégoût; l'oisiveté a creusé dans l'âme du mari un vide que la dissipation et la vanité n'ont pu remplir. Là où le travail sérieux, la règle, le devoir ont manqué, le plaisir même s'est évanoui; la dignité morale a chancelé, les faiblesses ont conduit aux tentations et les tentations aux chutes. L'homme a succombé le premier : il souffre et fait souffrir davantage. Il méconnait la loi du sacrifice enseignée à la femme par l'amour maternel qui succède à l'autre amour. La mère est obligée de se défendre elle-même, pour défendre son enfant contre la dégradation morale qui a frappé le compagnon de sa vie. Elle fuit le foyer où elle avait le droit de trouver le bonheur; élevée dans l'opulence, elle accepte le travail manuel pour assurer à sa fille du pain, et la mettre à l'abri d'un funeste exemple.

M. Hector Malot fait un tableau saisissant de cette odyssée douloureuse, dont la vie présente plus d'exemples qu'on ne croit. Peut-être en multiplie-t-il arbitrairement les péripéties. Il y a trop d'incidents dans une histoire qui, moins compliquée, serait plus vraie et plus profonde. Il est difficile de concilier les agréments du roman d'aventures avec le mérite des études de mœurs, et c'est à ce dernier genre que l'auteur des Victimes d'Amour est prédestiné par ses habitudes d'esprit et la nature de son talent.

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Romans d'intrigues et d'aventures. MM. E. Berthet et F. Fabre.

Je n'ai plus rien à dire à mes lecteurs sur M. Élie Berthet, sur l'auteur habile des Catacombes de Paris, de la Falaise Sainte-Honorine, de la Bête du Gévaudan, d'Odilia, etc., dont l'Année littéraire a donné à plusieurs reprises des

analyses détaillées et des appréciations étendues1? Le talent de M. Élie Berthet est sûr de lui-même; il connaît le fin du fin de la mise en scène d'un personnage et du développement d'un caractère. Plus n'est besoin de mettre en relief ses qualités; quant à ses défauts ils sont inhérents à sa manière même, et je ne crois pas qu'il ait la prétention de les corriger.

Un de ses derniers livres, le Jurė 2, est un de ces drames intimes que les écrivains du tempérament de M. Élie Berthet aiment à développer avec toutes les péripéties qu'ils comportent; et la couleur un peu violente de l'auteur des Catacombes de Paris, ne messied pas aux tableaux de cette nature. Il s'agit d'un assassinat commis par un noble et riche propriétaire de province dont la responsabilité retombe sur un misérable sabotier son voisin, grâce à des circonstances singulières. Les apparences sont contre le pauvre diable, et c'est le véritable assassin qui est nommé président du jury chargé de le juger. La donnée est dramatique et M. Berthet en tire parti avec un véritable talent. Le portrait des deux principaux personnages mis en présence dans des rôles si différents à la suite du crime dont la justice poursuit la répression, est une page qui donne bien la mesure de ce que peut M. Berthet.

...... Debout entre deux gendarmes, l'accusé François Chéron, assisté de son avocat était présent pour exercer son droit de récusation contre ceux des jurés qu'il ne lui conviendrait pas d'avoir pour juges. Chéron avait pris un certain embonpoint dans la prison, l'ordinaire des détenus étant de beaucoup plus succulent que les galettes de sarrasin et les pommes de terre, dont il avait fait autrefois sa nourriture habituelle. D'ailleurs, la placidité de sa physionomie, même dans ce moment de crise, témoignait que l'inquiétude n'avait pu nuire en rien à l'action de l'oisiveté et d'une meilleure nourriture sur

1. Voir particulièrement tome IV de l'Année littéraire, pages 81 et suiv.; tome V, p, 129; tome VI, p. 114.

2. Hachette et Cie, in-18, 350 pages.

sa grossière organisation. Il avait mis une blouse neuve, des souliers et une chemise blanche; enfin il était rasé de frais et s'était fait beau pour la circonstance. Il regardait toutes choses avec plus de curiosité que de crainte et semblait se demander comment tant de personnages importants pouvaient s'occuper d'aussi peu que lui.

Parmi les jurés qui se pressaient autour de la table, se trouvait M. de la Southière. Il était vêtu avec beaucoup plus de soin qu'à l'ordinaire; ses grandes bottes, son habit à boutons de métal, avaient été remplacés par une redingote et un pantalon noirs. Ce costume sévère faisait ressortir son extrême pâleur et l'altération profonde de ses traits, altération qui n'avait jamais été aussi visible qu'en ce moment. Il évitait de parler et ne paraissait pas entendre les observations oiseuses de certains de ses collègues. Un d'eux l'ayant en quelque sorte obligé de répondre avait été frappé du timbre particulier de sa voix. La Southière, après s'être débarrassé de l'importun, attendit avec d'horribles battements de cœur, les noms que le président allait appeler à mesure qu'ils sortiraient de l'urne. Son nom sortit le premier. Par ce seul fait, M. de la Southière se trouvait chef du jury et ne pouvait manquer d'exercer une grande influence sur ses collègues.

On devine les luttes qui s'ensuivent; M. de la Southière est un homme violent, mais un honnête homme qui ne peut supporter in extremis son horrible position. Il finit par écrire la vérité au procureur général. Il s'agit pourtant de l'honneur de sa fille, car l'homme qu'il a tué dans un mouvement d'indignation paternelle, était un séducteur. Heureusement qu'il se trouve là, à point nommé, un amoureux pour le bon motif qui est trop heureux d'épouser la cause et d'obtenir la main de la jolie Palmyre, et après les horribles péripéties du drame, après l'acquittement de M. de la Southière, tout finit en idylle comme il convenait à un roman de bonne maison,

Aux études de mœurs cléricales que nous a données jusqu'aujourd'hui M. Ferdinand Fabre succède un roman plus mâle, où la passion se révèle avec une violence inaccoutu

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