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mée. Dans Mademoiselle de Malavieille1, l'auteur des Courbezon et de Julien Savignac n'a pas adouci, cette fois, comme de coutume, les traits de son esquisse. Les deux figures principales sont fortement accusées, et d'ailleurs avec leur physionomie étrange, il était impossible qu'il en fût autrement.

Guerreros, le héros du roman de M. Fabre, est un émigré espagnol, dévoué à la cause de don Carlos, qui, après avoir combattu vaillamment pour la défense des droits de son roi légitime, l'a suivi dans son exil et cache un grand nom sous le costume et la profession d'un rustique tondeur de moutons. Mlle de Malavieille, fille d'un paysan enrichi qui a épousé la dernière descendante d'une noble famille, procède des deux races qui lui ont donné la vie. Fière, hautaine, ambitieuse comme sa mère, elle a, comme son père, un esprit droit, une volonté énergique, et ce courage entreprenant et frondeur qui sent le vilain d'une lieue. On a voulu la marier à un bourgeois du pays, et tout un monde de bas intrigants, d'entremetteurs intéressés s'agite autour d'elle. Cependant, elle aime Guerreros et, sans s'en douter, elle est aimée de lui. Mais le tondeur de moutons, naguère encore duc de Barraméda, n'ose avouer son amour. C'est à peine s'il sait se placer à temps entre celle qu'il adore et les ennemis qui menacent son repos, N'a-t-il pas promis au roi Charles V de ne pas se marier sans son consentement, et de rester à tout jamais le fidèle soldat de la légitimité espagnole? - Charles V, en exigeant un tel serment, a compté sans la jeunesse et l'amour, sans la volonté persévérante de Cyprienne, qui finit par se sentir aimée, et qui, avec son énergie habituelle, pousse à bout le méfiant hidalgo. Une tentative d'assassinat sur la personne de Guerreros, par les amis et alliés du bourgeois qui devait épouser Cyprienne, augmente encore l'intérêt

1. Hachette et Cie in-18, 406 pages.

qu'elle porte à notre héros. Elle soigne la blessure du chevaleresque jeune homme, et lui arrache enfin le mot des. dieux et des hommes: Je t'aime! qui termine tous les romans, et qui, dans le livre de M. Ferdinand Fabre, se fait bien attendre.

Cette lenteur vient du caractère presque farouche du duc de Barraméda, qui n'a jamais connu que le devoir, et pour lequel la fidélité au prince légitime a tenu lieu de tout autre sentiment. Cette mise en scène et ce panégyrique d'un soldat du droit divin est plus près qu'on ne le pense des études cléricales que nous a données précédemment M. Ferdinand Fabre. Il y a dans tous les romans comme un parfum d'héroïsme monarchique et catholique qui trahit, malgré qu'il en ait, l'auteur de Julien Savignac. On sent, derrière l'habile romancier qui nous captive, un défenseur quand même du sacerdoce et du droit divin, qui dissimule sa thèse sous les précautions oratoires, et qui la noie dans les détails d'une analyse fine et attachante. Le style lui-même se ressent de ces préoccupations, en s'obscurcissant de réticences et d'allusions, ou en revêtant une certaine roideur dogmatique. Voici un échantillon d'un des meilleurs chapitres du livre.

Mlle Cabrol de Malavieille avait vingt ans environ; elle était blonde, plutôt petite que grande. Ce n'était pas la beauté gracieuse, fine, délicate. N'eût été le front, dont le dessin énergique attestait une singulière puissance de volonté, à la considérer dans son miroir, on eût cru voir un joli pastel de Latour appendu dans un panneau de boiseries contournées. Deux petites mouches, posées, l'une au coin de l'œil droit, l'autre un peu au-dessus de la lèvre supérieure, achevaient la ressemblance du visage de Cyprienne avec les mignons portraits du siècle dernier. Son nez était d'une forme exquise: C'était tout à fait le nez légèrement renflé de sa mère, le nez hautain des Malavieille. Ses yeux, à reflets changeants comme les vagues de la mer, sombres ou d'un vert profond, selon des jeux de la lumière, étaient grands, doux, et avaient cette

expression divinement farouche de la pudeur facilement alarmée que la peinture cherche encore à traduire. La bouche s'entr'ouvrait comme une rose, et laissait voir deux rangées de petits diamants enchâssés dans des rameaux de corail. Le menton délicieusement arrondi, se reliait aux joues par une courbe d'une suavité et d'une mollesse adorables. Mais ce qui donnait à cette tête véritablement attachante un incomparable charme, c'était la splendeur de la peau, où ne s'apercevait pas la moindre ride, où pointillait un duvet aussi fin, aussi brillant que la poussière dont le soleil répand à profusion les grains éblouissants sur les ailes de l'abeille, du papillon et dans le calice des fleurs. Sa physionomie vive, spirituelle avait un air de tristesse langoureuse, qui provenait moins de sa nature que des malheurs au milieu desquels elle avait vécu. Mlle de Malavieille (tout, dans son attitude comme dans ses traits, conspirait à imposer cette conviction), était moins faite pour la rêverie que pour l'action, et en cela, elle tenait de son père, paysan travailleur, turbulent, affairé, ne dormant jamais que d'un œil. Du reste, son geste était bref et impératif, despotique comme sa parole, et Guerreros l'avait devinée tout entière quand, exalté par ses dédains, il l'avait jugée digne du trône d'Espagne.

On voit par cette seule page comment M. F. Fabre tient parmi nos romanciers de l'école littéraire la place que ses livres de début lui ont faite.

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Le roman d'art et de fantaisie. MM. J. Noriac; A. de Chancel.

Entre les peintures de genre encadrées dans de courtes nouvelles et les grands romans-feuilletons, M. J. Noriac s'est choisi une forme intermédiaire qui a tout le charme des études littéraires sans exposer à la satiété qui suit les complications dramatiques sans fin ni mesure. La Bêtise humaine, le Grain de sable, la Dame à la plume noire, sont des échantillons de ce genre heureusement équilibré, fait

pour plaire aux esprits délicats et pour en grossir le nombre. Des mœurs bien observées, une fine satire, une pensée philosophique discrètement contenue, une émotion vraie mais sans violence, un style simple, naturel, toujours français, recommandent ces diverses œuvres, parmi lesquelles Mademoiselle Poucet est venue, cette année, prendre place'.

Ce roman parisien, » comme l'auteur l'appelle, nous introduit dans le monde des arts, et nous y ramène après quelques excursions dans d'autres régions sociales, le monde de la richesse et les classes populaires. L'histoire est simple comme un conte et invraisemblable comme un fait divers. Mlle Poucet a été adoptée par les élèves d'un atelier dont elle fait le ménage, avant d'y prendre rang comme artiste. Elle en est l'âme, elle en est la joie, elle en est l'orgueil. C'est une bonne et aimable nature que chacun respecte, malgré la familiarité d'une affectueuse camaraderie.

Elle inspire une double passion; un pauvre avorton d'artiste a trouvé en elle un bon ange qui a jeté dans sa triste existence tout ce qu'elle comportait de douceur et de sérénité. Il l'aime d'une passion malheureuse à laquelle la jeune fille ne peut répondre que par une douce pitié. Elle cède à un sentiment plus tendre pour un compagnon d'atelier qui se trouve avoir, sans qu'elle s'en doute, cinquante mille livres de rente en se mariant. A peine devenue grande dame, Mlle Poucet se montre la plus insupportable des créatures à qui la richesse fait tourner la tête. Despote envers son mari, hautaine envers ses valets, prodigue jusqu'à la folie, elle rend la vie très-dure à l'ancien artiste, qui finit par s'enfuir de son hôtel et va porter sa douleur et ses regrets auprès de ses vieux camarades.

Là, une heureuse surprise l'attend. Il retrouve au mimilieu de l'atelier, à son chevalet et dans son costume d'artiste, sa propre femme qui lui déclare, en l'embrassa nt,

1. Michel Lévy, in-18, 338 pages.

qu'elle n'a jamais cessé de l'aimer. C'était une comédie qu'elle avait jouée, pour en faire sortir la leçon que voici : « Je voulais mon Adelphin heureux.... Nous ne pouvions pas trouver le bonheur au milieu de riches qui nous méprisaient et nous appelaient parvenus; nous ne pouvions vivre entourés de pauvres : notre richesse leur crevait le cœur.... Nul n'est heureux hors de sa condition et sans le travail. Cela prouve, chers amis, qu'on ne quitte pas impunément la famille que Dieu donne à ceux qui n'en ont pas. Pour nous le bonheur est ici; il fallait y revenir. J'ai employé un moyen cruel pour y ramener Adelphin; mais c'était le plus court; il a réussi, et maintenant à l'ouvrage. » La joie est rentrée à l'atelier, désormais au grand complet. Le pauvre bossu, qui a tant souffert par l'ainour, veut seul le quitter, mais il reste pour aimer les enfants de Poucet comme il l'a aimée elle-même.

Comme exemple du fantastique emploi que nos écrivains font quelquefois d'un cadre romanesque, on peut citer le Livre des Blondes de M. Ausone de Chancel1. La donnée en est fort simple, et l'auteur en a tiré un assez agréable parti. Il s'agissait de ne pas présenter sous une forme didactique ou dogmatique, une série de divagations plus ou moins spirituelles sur la beauté féminine et en particulier sur la beauté blonde.

Si vous croyez que je vais dire

Qui j'ose aimer,

Je ne saurais pour un empire
Vous la nommer.

Nous allons chanter à la ronde,
Si vous voulez

Que je l'adore et qu'elle est blonde
Comme les blés.

M. Ausone de Chancel le chante si longtemps que pour

1. Hachette et Cie, in-18, 254 pages.

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