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en effet l'action se termine au milieu des ravages récents du choléra à Marseille.

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On nous parle du dévouement déployé par tout le monde,

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depuis M. le comte de Maupas jusqu'au dernier employé, » et du zèle du clergé, à la tête duquel une fatale maladie empêchait Mgr Cruice de se montrer. Le spiritisme est le ressort de l'intrigue. Ceux qui le pratiquent ne sont pas seulement des mystificateurs, ce sont quelquefois des fripons. Ils conspirent à la fois contre notre raison et notre bourse. Le charlatan, l'escroc qui s'en est servi, échappe au châtiment en fuyant en Amérique. Les maisons de santé sont remplies de ses victimes; l'armée, le barreau, les arts en sont infestés. Le socialisme, le communisme, dans nos plus mauvais jours, n'étaient pas plus coupables aux yeux de la bourgeoisie effrayée que ne l'est le spiritisme à ceux de M. de Caston. « C'est un danger sérieux, un mal social. Il attaque la religion, la société, la famille, le gouvernement.... Il est antichrétien et antilogique.... Il ferait désespérer de la Divinité! »

Ce ton et ces façons de discuter font comprendre le tour que M. de Caston devait donner à son roman de Tartusse spirite. On conçoit qu'il se soit fait un « devoir de combattre cette fatale jonglerie que des fripons ou des insensés veulent élever à la hauteur d'un nouveau dogme; » et l'on voit comment il se tient, lui, à la hauteur de sa mission. Et dire que j'extrais ces lignes pompeuses d'une dédicace à M. Edmond About! La déclamation et l'emphase peuvent-elles se mettre sous le patronage du bon sens armé à la légère par l'esprit ?

M. Alfred de Caston nous offre encore un autre livre, heureusemen moins grave, et que je ne puis séparer du précédent ce sont les Vendeurs de bonne aventure1. Dans

1. Librairie centrale, in-8, 318 pages.

une suite de scènes, l'auteur nous fait voir les différentes manières d'exploiter à Paris la curiosité et la sottise. Ici, on tire les cartes; là on donne une séance de double vue; ailleurs, on renouvelle les faits et gestes des sorciers; plus loin, les tours de force ou d'adresse des hercules et des prestidigitateurs sont mis sur le compte des esprits. Voici notamment, c'est le sujet du livre, la Société Davenport et compagnie, ou la grande exploitation de la bêtise humaine et de la crédulité publique.

Notre auteur n'était pas homme à se laisser prendre aux miracles que venaient accomplir, sous les yeux de tout Paris, ces fameux médiums américains. C'était l'hydre de la superstition spirite qui dressait la tête, il fallait l'écraser. M. de Caston revint exprès à toute vapeur de Baden-Baden à Paris. Il adressait sur-le-champ aux deux frères un défi qui fut le premier coup porté contre eux; et, le soir même, le public faisait prompte et bonne justice d'un charlatanisme sacrilége.

Le volume des Vendeurs de bonne aventure contient l'art de la dire. Il y a un livre, le livre de Thot, à l'aide duquel on a construit le jeu de tarot, contenant toutes les révélations qu'on peut demander aux cartes. C'était le grand livre de l'avenir, où, dans chaque temple, tous les oracles se trouvaient consignés. Il se composait de lames d'or et d'argent portant en frontispice les noms des sages de la Grèce, des fondateurs d'empires, des prophètes, etc. Chacune de ces lames avait un sens particulier, que faisaient varier à l'infini les combinaisons du hasard. Les cartes ont hérité du rôle antique de ces feuilles précieuses, et, aujourd'hui encore, l'art de les tirer n'est autre que celui qu'on suivait pour formuler les prédictions et les oracles à l'aide du livre sacré. L'exposition de cet art, avec ses tableaux figuratifs et leurs explications, semées de réflexions narquoises qui veulent être spirituelles, occupe plus du tiers du volume et en est la meilleure partie. Quand les hommes spéciaux se mêlent

de faire des livres, leurs explications techniques valent mieux que leurs fantaisies littéraires ou philosophiques et que leurs romans.

M. de Caston, avant d'avoir recours, pour combattre le spiritisme, à la forme du roman, l'avait attaqué, dans un pamphlet très-vif, intitulé : les Marchands de miracles; histoire de la superstition humaine1. J'avoue que le titre m'avait fait croire à une protestation du bon sens moderne contre d'autres adversaires. Les spirites ne sont, depuis quelques années, ni les seuls ni les premiers marchands de miracles. Il y a eu des apparitions plus fameuses et plus lucratives que les prétendues évocations des tables tournantes, et le trafic du merveilleux spirite est loin d'atteindre à la prospérité commerciale des exhibitions miraculeuses offertes de temps en temps à la piété de nos femmes et de nos filles. De part et d'autre, l'escroquerie, si elle se produit, est du ressort de la police correctionnelle; mais contre les mystificateurs une juridiction suffit: celle du bon sens.

M. de Caston combat la soi-disant science surnaturelle du spiritisme, au nom de la foi, à laquelle elle fait concurrence, plutôt qu'au nom de la raison, dont le moindre souffle suffirait pour renverser tant de fantômes. Il reproche aux spirites de rivaliser d'une façon sacrilége avec les révélations de l'Église. « Ils refont, dit-il, la Genèse, commentent les saints Évangiles et expliquent l'Apocalypse. »

Il dit encore: « Dans ce siècle à faible croyance, ces imposteurs créent un culte nouveau, qui est un véritable danger pour la société.» Il est effrayé des ravages du spiritisme; il nous montre la folie et l'onanisine comme ses résultats Ses dupes expient leur crédulité dans les maisons de fous.

A côté de ces nouveautés mystérieuses, exploitées par des habiles au détriment de la raison des faibles, M. Alfred

1. Dentu, in-18, 3° édition.

de Caston nous montre sous le jour le plus flatteur les vieilles croyances catholiques, dont les fidèles représentants s'en vont, avec un humble héroïsme, dans tous les rangs de la société, guérir tous les maux produits par une orgueilleuse superstition. Son livre a des titres édifiants comme ceux ci: Un Apôtre de la charité; le Bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis; le Doigt de Dieu, etc. Le contenu des chapitres n'est pas moins édifiant que les titres. Nous ne voyons pas ce que la forme romanesque peut ajouter d'intérêt à ce manifeste orthodoxe contre le spiritisme. Nous aurions mieux aimé que M. Alfred de Caston se fût borné à démasquer, avec l'autorité spéciale qui lui appartient, des mystifications et des jongleries. Il n'est pas nécessaire, pour combattre les tartufferies du spiritisme, de caresser d'autres faiblesses à la mode et non moins fécondes en hypocrisies.

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Les romans populaires d'Erckmann-Chatrian. Un auteur
en deux personnes.

Les deux auteurs qui ont réuni leurs noms d'une façon inséparable, MM. Erkmann-Chatrian, ont acquis, dans ces derniers temps une telle notoriété dans le roman d'histoire contemporaine, que nous devons signaler tout ce qui sort de leur plume. Après la période républicaine et impériale, représentée par Madame Thérèse, ou les Volontaires de 1792, le Conscrit de 1813, l'Invasion et Waterloo, ils se rapprochent de l'époque actuelle dans l'Histoire d'un homme du peuple1.

Leur héros, orphelin élevé à Saverne par la charité, va à l'école, entre en apprentissage chez un menuisier, devient

1. Librairie internationale, in-18.

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ouvrier à son tour, et arrive à Paris où il est mêlé à la vie des classes laborieuses. C'est un garçon de cœur et de sens qui défend sa pensée des utopies et sa conduite des excès. Il prend assez de part à la révolution de 1848 pour la raconter, en témoin occulaire, et peindre exactement toute la lutte, l'effervescence populaire, les préjugés, les illusions, les entrainements enthousiastes et aveugles. Le récit s'arrête à la proclamation de la République à l'Hôtelde-Ville; ce n'est qu'un commencement, les auteurs nous donneront plus tard le tableau de toute la période républicaine et particulièrement de l'émeute de juin.

On trouve dans cette première partie de l'Histoire d'un homme du peuple, les qualités qui ont valu à MM. Erkmann-Chatrian tant de sympathies: l'exactitude minutieuse des peintures et la simplicité émue du récit. Ils semblent pourtant moins chez eux à Paris qu'en Alsace; leur menuisier, Jean-Pierre Clavel, apporte et conserve au faubourg son allure provinciale et ne donne pas suffisamment le ton, la mesure des classes ouvrières parisiennes. C'était sur le pavé même de la grande ville qu'il fallait faire éclore et grandir le véritable type de l'ouvrier, celui de l'atelier, du club et des barricades.

Les derniers succès de MM. Erkmann-Chatrian ont attiré l'attention sur leurs personnes. Ils sont sortis de l'ombre discrète où ils s'étaient tenus jusque-là. Ils ont eu les honneurs de la biographie et du portrait dans les journaux populaires. La nouvelle édition du Dictionnaire des Contemporains leur a donné toute la place due à leur notoriété. On sait aujourd'hui que ces deux frères siamois de la littérature sont nés tous les deux dans le département de la Meurthe. M. Émile Erkmann à Phalsbourg, le 20 mai 1822, et M. Alexandre Chatrian, au hameau de Soldatenthal, dans la commune d'Abreschviller, le 18 décembre 1826. Le hasard ne devait les réunir que beaucoup plus tard.

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