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Sous un prétexte faux, traverfant les deferts,
Vous vous êtiez unis pour des complots couverts.
Mais repetez encor vôtre frivole hiftoire.
Le menfonge fe nuit; il trouble la memoire.

SIMEON.

Nous vous avons parlé fans feinte & fans détour.
Un même. Pere à tous nous a donné le jour.
La verité fincere eft fur nôtre vifage;

Et nos traits reffemblants en font le témoignage.
Vos yeux feuls auroient pû vous en perfuader;
Si vous aviez daigné, Seigneur, nous regarder.
Helas! nous habitions ces Rivages tranquiles,
Où le Jourdain baignoit des Campagnes fertiles,
Libres d'ambition, uniquement inftruits

A nourrir nos Troupeaux, à cultiver nos Fruits.
Nos cœurs des premiers temps confervant l'innocence,
Tous les biens parmi nous couloient en abondance.
L'Autheur de l'Univers nous a dicté fa Loy.
Le Chef de la Famille entre nous eft le Roy.
Les Armes en nos mains ne font jamais d'ufage
Sinon pour repouffer l'injustice & l'outrage.
Suivi de fes Pafteurs, Abraham nôtre Ayeul,
Contre cinq Rois armez a combattır lui feul ;
Il courut reprimer leurs fureurs infolentes,
Arracha 'de leurs mains des dépouilles fanglantes.

Et vainqueur, rendant grace au celefte Secours,
De fes paifibles foins reprit foudain le cours.
Ifac, fon digne fils, n'a point eu d'autre envie,
Seigneur, que d'imiter fes vertus & fa vie ;
Et Jacob nôtre Pere a marché fur leurs pas.

JOSEPH.

Perfides, vous pouvez ne leur reffembler pas.

SIMEON.

Alces mêmes Emplois nos ames font bornées.
Dans les champs paternels nous paffions nos années.
Mais au courroux du Ciel ces beaux lieux exposez,
De falutaires eaux ne font plus arrofez;

Tout feche, tout perit, & la fource eft tarie
Des humides trefors dont la terre eft nourrie;
Les Guerets endurcis, le Ciel rendu d'airain,
Ont armé contre nous la dévorante Faim!

JOSEPH.

Cher Hely, que je fouffre à cette trifte image

SIMEON.

Implorant nôtre Dieu dans ce cruel ravage, Un jour de l'Esprit faint nôtre Pere infpire; » Il eft, s'écria-t-il, un fecours affuré.

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Le grand Sophoncas a par fa prévoyance

"Maintenu dans l'Egypte une heureufe abondance.

C'est trop peu de pourvoir, par fes travaux heureux, » Aux immenfes befoins d'un peuple fi nombreux, "Il étend fes regards aux rives étrangeres,

» Et des Peuples divers foulage les miferes.

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Il fçait qu'un nou commun unit tous les Humains

Tout difperfez qu'ils foient en des climats lointains; Que ceux à qui le Ciel fes largesses dispense, »Doivent des malheureux foulager l'indigence. De ces grains précieux qu'il a fait renfermer, "La quantité s'égale au fable de la mer; »Et vous verrez fur nous fa pitié fecourable, → Ouvrir de fes trefors la fource inépuifable. Partez, allez, mes fils, allez lui demander "Le fecours que lui feul il peut vous accorder.

JOSEPH.

Devicz-vous tous ainfi laiffer vôtre vieux Pere
En des tems malheureux, defolé, folitaire ?
Qui peut dans ces momens foulager fon ennui?

SIMEON.

Le plus jeune de nous étoit auprès de lui.

JOSEPH.

Et pourquoi le plus jeune ? Il étoit incapable
D'aider & de fervir ce Vieillard vencrable
Mais de ce jeune frere on fait un vain recit.
Je defirois le voir, ne vous l'ai-je pas dit ?

Je veux de vos difcours une preuve certaine

SIMEON.

Du malheureux Jacob, helas! quelle eft la peine!
Peut-être il ne veut pas expofer Benjamin,
Aux perils du voyage, aux longueurs du chemin,
Ce fils, le cher objet de toute fa tendreffe,
Eft l'unique foûtien de fa trifte vieilleffe.

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Dans quel bonheur il vivoit autrefois Pere de douze fils, tous unis fous fes loix ! Depuis qu'à l'un de nous la clarté fut ravie, D'éternelles douleurs ont affligé fa vie.

JOSEPH.

Quel nom avoit ce frere? Et comment est-il mort?
SIMEON.

Il fe nommoit Jofeph. Né pour un trifte fort,
Egaré dans les bois, fa jeuneffe imprudente
Affouvit des Lions la rage devorante.

JOSEPH,

Vous dites que ce font ces Animaux cruels;
Et des Hommes peut-être ont été criminels.
Peut-être qu'au milieu d'une plaine deserte
De lâches ennemis ont confpiré fa perte.

Les Hommes, trop fouvent par leur malignité
Des plus affreux Lions paffent la cruauté.

SIMEON fe trouble.

Mais pourquoi vous offrir cette idée importune?
Pouvez-vous fi long-tems oüir nôtre infortune?
Ces incidens communs qu'ici vous écoutez,
Abusent trop, Seigneur, de vos rares bontez.
Et je ne conçois pas quel interest peut prendre
Un Miniftre fi grand à ce qu'il vient d'entendre!
JOSEPH.

J'en prends à vos difcours plus que vous ne penfez
Et par vôtre menfonge enfin vous m'offenfez.
Peut-être ignorez-vous que je lis dans les ames,
Et perce les replis de vos perfides trâmes.
J'ai dans votre difcours connu des traits menteurs
Et je ne vous tiens plus que pour des impofteurs.
Vous penfez m'abufer par des hiftoires vaines;
Mais vous m'en répondrez à loifir dans les chaînes.
Et quiconque aujourd'hui voudra vous reffembler
Par vôtre trifte exemple aura lieu de trembler.
Allez.

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